Ils sont parmi les premiers à tendre la main et toucher quelqu’un : Un regard sur un des premiers réseaux téléphoniques au Canada
Salutations, ami(e) lectrice ou lecteur zélé(e), un accueil causé par le fait que je vois une main sortir de l’éther. Vous avez une question? Vermouilleux! Y a-t-il une faute de frappe dans la référence de la photo qui lancera ce numéro de notre magnifique blogue / bulletin / machin, demandez-vous? L’année 1878 est un peu trop de bonne heure, dites-vous. Elle est certes de bonne heure, mais pas trop tôt. La vérité est qu’un des premiers réseaux téléphoniques au Canada est créé à Montréal, Québec, en 1878, je pense. Je ne plaisante pas.
Notre histoire commence à une date indéterminée. En effet, votre humble serviteur ne sait pas quand les créateurs du dit réseau ont ouï du téléphone mis au point par Alexander Graham Bell avec l’aide de Thomas Augustus Watson, et… Euh, oui, ami(e) lectrice ou lecteur, vous avez bien raison. Bell est mentionné à quelques / plusieurs reprises dans notre blogue / bulletin / machin, et ce depuis octobre 2018. Watson l’est quant à lui dans un numéro de novembre 2021. Et non, Bell n’a jamais été Canadien. C’est un Écossais, c’est-à-dire un sujet britannique, qui devient citoyen américain naturalisé en 1882. Mais revenons à notre sujet.
Et non encore une fois, Bell n’est pas le seul et unique inventeur du téléphone. Des conspirationnistes d’alors et d’aujourd’hui vont jusqu’à affirmer que ses avocats en brevet obtiennent en catimini certaines informations provenant d’un document concernant une demande de brevet à venir et ce avant que celui-ci ne soit entré dans le registre du United States Patent Office, le 14 février 1876, par l’ingénieur électricien américain Elisha Gray ou son avocat en brevet. La demande de brevet de Bell est alors modifiée au grand galop et entrée dans le registre du dit bureau des brevets en ce même 14 février 1876, environ 2 heures avant l’entrée au dit registre du document de Gray. Ces conspirationnistes sont évidemment dans l’erreur, n’est-ce pas? S’il vous plaît, dites (tapez?) qu’ils sont dans l’erreur. Mais revenons à notre histoire.
Les premiers articles de journaux québécois concernant le téléphone trouvé par votre humble serviteur paraissent en février 1877, dans les quotidiens La Minerve de Montréal et Le Journal de Québec, ainsi que dans le semi-quotidien La Gazette de Sorel et les semi-hebdomadaires Courrier de Saint-Hyacinthe et Le Journal des Trois-Rivières. Un premier article en anglais paraît au plus tard en janvier 1877, dans le quotidien The Gazette de Montréal. Le premier périodique québécois consacré à l’éducation, le mensuel Journal de l’Instruction publique, consacre par ailleurs un article à cette question dans son numéro de janvier 1877 – une première québécoise à ce qu’il semble.
Ces textes parfois pour ainsi dire identiques décrivent le téléphone comme étant un télégraphe parlant.
Croiriez-vous que cette invention compte parmi les merveilles présentées dans le cadre de la International Exhibition of Arts, Manufactures, and Products of the Soil and Mine qui se tient à Philadelphie, Pennsylvanie, de mai à novembre 1876?
Il est à noter que Bell est de passage à Montréal vers la fin juillet 1877. Cette visite passe pour ainsi dire inaperçue, ce qui est tout de même un peu curieux compte tenu de l’intérêt d’un certain public pour le téléphone. À bien y penser, ça n’est peut-être pas si curieux que ça. Vous voyez, Bell épouse Mabel Gardiner Hubbard environ 2 semaines avant leur passage à Montréal. Le nouveau couple est probablement en lune de miel lorsqu’il arrive dans la métropole du Canada, mais je digresse.
La première démonstration de téléphonie en sol québécois se déroule à Montréal un peu avant la mi-août 1877, entre les bureaux du représentant québécois de Bell, City and District Telegraph Company de Montréal, et une station du Département du feu de la métropole du Canada. Un opérateur se trouvant dans cette station lit des extraits d’un journal. Les personnes se trouvant au bureau de la firme de télégraphie affirment comprendre tout ce qu’il dit. La démonstration dure environ 15 minutes.
Et oui, votre humble serviteur réalise fort que l’utilisation de termes tels que première / premier ou dernière / dernier est pour le moins périlleuse. Il se peut en effet qu’un petit rigolo vienne corriger la pontification de l’expert qui s’imagine tout savoir. Je retiens par conséquent mon souffle en espérant que le ciel ne me tombera pas sur la tête, par Toutatis, par Bélénos ou par hasard. Désolé. Revenons à notre histoire. Ceci, soit dit en passant, était un gag astérixien et si vous ne connaissez pas Astérix, vous ne savez pas ce que vous manquez.
Soit dit en passant, en 1877, les droits d’utilisation des brevets de Bell pour le Canada appartiennent au père de l’inventeur, le chercheur, conférencier et professeur Alexander Melville Bell, et à Charles Williams, Junior, le propriétaire de l’atelier américain qui fabrique les tout premiers téléphones Bell.
Deux autres démonstrations de téléphonie se déroulent à Montréal en août 1877, dans les bureaux de la firme montréalaise Montreal Telegraph Company et dans un local du Saint Lawrence Hall Hotel. Le papa de Bell, qui séjourne alors dans ce dernier établissement, peut, je répète peut, participer à ces démonstrations.
Soit dit en passant, encore, la première application pratique du téléphone au Canada peut, je répète peut, être une ligne privée installée à Ottawa, Ontario, entre le bureau du premier ministre et ministre des Travaux publics, qui est alors Alexander Mackenzie, et la Résidence du Gouverneur général, qui est alors le comte de Dufferin, né Frederick Hamilton-Temple-Blackwood. La dite ligne est mise à l’essai fin août ou début septembre 1877, par Mackenzie et son secrétaire, William Buckingham.
Bell père et fils ne vendent pas ces 2 téléphones. Nenni. Ils les louent à raison d’environ 20 $ pièce par année, soit environ 670 $ en devise 2022. Combien payez-vous votre service téléphonique, ami(e) lectrice ou lecteur?
En septembre 1877, Robert Watson et un certain M. Badger participent à la première conversation téléphonique longue distance en sol québécois. Le premier se trouve alors à Québec, Québec, et le second, à Montréal. La longueur des fils de Dominion Telegraph Company, une firme de Toronto, Ontario, utilisés pour cette expérience peut atteindre 325 kilomètres (200 milles), peut-être. Les voix des 2 hommes sont clairement entendues.
Une des premières, sinon la première expérience de téléphonie en sol québécois impliquant la transmission de musique se déroule à Québec en ce même mois de septembre. Un petit orchestre avec 2 chanteuses se trouvent dans le fameux magasin de musique de Jean Moïse Arthur Lavigne, né Tessier. Leur prestation est transmise dans les bureaux de City and District Telegraph grâce à une ligne installée pour l’occasion. Quelques électriciens et habitants importants de Québec, dont quelques dames, se trouvent dans les dits bureaux. Ils peuvent fort bien entendre la musique et les chansons, une demi-douzaine en tout apparemment. En retour, certaines de ces personnes interprètent quelques chansons qui sont bien audibles dans le magasin de Lavigne. Les 2 groupes se disent fort impressionnés par la qualité du son transmis par la ligne téléphonique.
Comme vous pouvez l’imaginer, les démonstrations vont se poursuivre au cours de l’automne 1877 et de l’hiver 1877-78.
Mentionnons par exemple celle qui se déroule à Montréal en octobre, entre la demeure d’un certain professeur Johnston, possiblement James A. Johnston, un médecin, où se trouvent plusieurs membres du Athenaeum Club of Montreal, et les bureaux de City and District Telegraph, où se trouvent quelques autres membres de ce même club. Des conversations se déroulent sans anicroches et certaines personnes y vont de quelques chansons.
Alors que les participants font silence, une voie inconnue se fait entendre. C’est la stupeur. Ce gentilhomme interprète une chanson avant de se présenter et d’expliquer que, ayant vu la ligne téléphonique, qui par hasard se trouve près de chez lui, il a tout bonnement accroché un fil entre sa demeure et la ligne installée par City and District Telegraph. Ce gentilhomme inconnu peut bien avoir effectué la première écoute téléphonique illégale en Amérique du Nord. La première mais certes pas la dernière. (Bonjour, M. « Big Brother! »)
Parlant (tapant?) de fils et de lignes, le fait est que City and District Telegraph peut, je répète peut, installer des lignes entres quelques résidences et firmes de Montréal avant même la fin de 1877, et…
Que dites-vous, ami(e) lectrice ou lecteur? Vous souhaitez lire en ces lieux des informations concernant 1 ou 2 autres exemples de démonstrations accomplies au tournant des années 1877 et 1878? Vos paroles sont un baume à mon cœur. Si, si, elles le sont.
En mars 1878, un petit concert présenté à Buffalo, New York, est diffusé via les lignes télégraphiques de Montreal Telegraph. Les personnes qui écoutent cette prestation se trouvent principalement à Toronto et Montréal, mais aussi à St. Catherines, Ontario, tout près de Buffalo. Environ 640 kilomètres (près de 400 milles) séparent Montréal de Buffalo. Pas mal pour 1878, n’est-ce pas?
L’intérêt pour le téléphone est tel que le directeur du Department of Physics de Tufts University, le physicien et inventeur américain Amos Emerson Dolbear, publie un livre intitulé The Telephone: An Account of the Phenomena of Electricity, Magnetism, and Sound, as Involved in its Action - With Directions For Making A Speaking Telephone avant même la fin de 1877. On peut se demander combien de bricoleurs assemblent leur propre machin truc à l’aide de cet ouvrage, le tout premier à être consacré au téléphone. Et oui, Dolbear compte parmi les personnes qui contribuent à la mise au point du téléphone avant que Bell ne gagne le gros lot.
Un des bricoleurs qui ne semble pas faire appel à l’ouvrage de Dolbear est un brillant, joaillier, inventeur et horloger de Québec. Cyrille Duquet conçoit un téléphone, supérieur à celui de Bell, dit-il, en raison de la puissance du son qui en sort. De fait, il en installe des exemplaires dans sa joaillerie / bijouterie et dans un magasin qu’il possède avec un certain Louis Dallaire, et ce vers novembre 1877.
En janvier 1878, Duquet fait la démonstration d’un lien longue distance entre Québec et Montréal. Au tournant des mois de janvier et février 1878, il fait la démonstration d’un lien longue distance entre Montréal et Ottawa. Les surintendants de district pour Montréal et Ottawa de Montreal Telegraph supervisent la tenue de cette démonstration. Ils sont enchantés des résultats. Croiriez-vous que Duquet obtient, en février 1878, un brevet d’invention canadien concernant des améliorations au téléphone?
Duquet installe par la suite (en 1879?) quelques lignes téléphoniques à Québec, vers le domaine de Spencer Wood, la résidence du lieutenant-gouverneur du Québec, à l’époque Luc Letellier de Saint-Just ou Théodore Robitaille, par exemple, de même que vers le Couvent Jésus-Marie de Sillery, Québec, où étudie une de ses filles. L’inventeur québécois supervise par ailleurs l’installation d’une ligne entre le Cimetière Notre-Dame-des-Neiges à Montréal et le Séminaire de Montréal. Et non, je ne vois pas non plus pourquoi une telle ligne téléphonique serait utile.
Les téléphones utilisés par les clients de Duquet peuvent fort bien être les premiers au monde combinant l’émetteur et le récepteur dans un seul boitier, en bois dans ce cas-ci. Et oui, c’est peut-être un Québécois qui invente le combiné téléphonique.
Duquet et quelques associés fondent la Compagnie de téléphone de Québec et Lévis en 1881. La loi provinciale qui officialise cette fondation est sanctionnée en juin. La firme de Duquet n’est toutefois pas promise à un brillant avenir.
Croiriez-vous que Canadian Telephone Company de Montréal, la toute nouvelle filiale canadienne de la firme américaine National Bell Telephone Company / American Bell Telephone Company qui détient les brevets de Ball au Canada et loue l’équipement à une seconde filiale fondée elle-aussi en 1880, Bell Telephone Company of Canada Limited de Montréal, poursuit Duquet en justice en 1880 pour contrefaçon de brevet? Celui-ci perd sa cause en 1882 mais ne paye en fin de comptes que 10 $ en dommages-intérêts. Vous voyez, Canadian Telephone souhaite ardemment mettre la main sur les forts intéressants brevets de Duquet. L’inventeur québécois reçoit non moins de 2 100 $ pour le tout – un peu plus de 72 000 $ en devise 2022, ce qui n’est pas tant que ça si vous y réfléchissez.
Avant que je ne l’oublie, National Bell Telephone est la firme qui détient les précieux brevets de Bell aux États-Unis.
Soit dit en passant, Dolbear publie dans le numéro de novembre 1897 du magazine The American Naturalist un article intitulé « The Cricket as a Thermometer, » en français le criquet en tant que thermomètre, qui note la corrélation entre la température d’une belle journée d’été et la vitesse à laquelle les grillons mâles pépient. La formule mathématique présentée dans cet article devient connue sous le nom de loi de Dolbear. Je ne plaisante pas. Utilisée avec la coopération d’un grillon amoureux mâle, cette formule permet de calculer au degré Fahrenheit près la température de notre belle journée d’été. Non, non, je ne plaisante toujours pas.
La température se calcule comme suit. Comptez le nombre de pépiements par minute. Soustrayez 40 de ce nombre et divisez le résultat de ce calcul par 4. Ceci fait, ajouter 50 au résultat de ce calcul. Si votre gryllidé en quête de compagnie féminine pépie 148 fois par minutes, par exemple, vous soustrayez 40 de 148, ce qui vous donne 108. Ce 108 divisé par 4 vous donne 27. Ajoutez 50 à ce 27 et vous obtenez 77. La température de votre journée d’été est donc 77 degrés Fahrenheit, ou 25 degrés Celsius. Tadaa.
Et oui, il existe une version métrique un peu moins précise de la loi de Dolbear capable de calculer la température de notre belle journée d’été au degré Celsius près. La dite température se calcule alors comme suit. Comptez le nombre de pépiements par minute. Soustrayez 40 de ce nombre et divisez le résultat de ce calcul par 7.2. Ceci fait, ajouter 10 au résultat de ce calcul. Si votre gryllidé en quête de compagnie féminine pépie encore une fois 148 fois par minutes, vous soustrayez 40 de 148, ce qui vous donne 108. Ce 108 divisé par 7.2 vous donne 15. Ajoutez 10 à ce 15 et vous obtenez 25. La température de votre journée d’été est donc 25 degrés Celsius (77 degrés Fahrenheit). Re-tadaa.
Que voulez-vous que je vous dise? J’aime bien les grillons.
Oserais-je dire que votre alimentation pourrait inclure des grillons, ou de la farine de grillons, avant trop, trop longtemps? Ne l’oublions pas, l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture nous dit que les grillons ont besoin de beaucoup moins d’aliments que les bovins (12 fois moins), les moutons (4 fois moins) et les porcs et poulets de chair (2 fois moins) pour produire la même quantité de protéines? Dégueulasse, dites-vous? Jamais je n’en mangerai, dites-vous? Et les crevettes? Vous les aimez, les crevettes, ou le homard, ou le crabe? Que croyez que c’est un crabe, homard ou crevette, sinon un parent éloigné du grillon que vous trouvez dégueulasse?
Mais qu’en est-il du réseau téléphonique au cœur de cet article, dites-vous? Patience, votre humble serviteur y arrive. Et je comprends fort bien que vous cherchiez à changer de sujet, petite nature que vous êtes, ami(e) lectrice ou lecteur.
Votre humble serviteur ne sait pas quand ce projet naît dans l’esprit d’un jeune électricien montréalais. On peut supposer que Mathias F. Jannard soumet son idée à un quatuor d’amis en 1877 ou 1878. Georges Bélanger, Louis Dansereau, Henri Arthur Dauphin et le Dr Sydney Craig jugent l’idée excellente. Jannard est élu ingénieur en chef du groupe. Celui-ci installe bientôt son central téléphonique dans la demeure de Bélanger. Le réseau peut, je répète peut, entrer en fonction en 1878.
L’installation des lignes téléphoniques n’est pas une petite affaire. Alors que s’achèvent les années 1870, les rues où demeurent les membres de l’équipe sont relativement peu peuplées. Il y a un grand nombre de lots vacants, surtout dans un coin de pays occupé par des vergers qui appartiennent apparemment à l’ex-avocat, homme d’affaires et politicien Côme Séraphin Cherrier. Confrontée à une absence de poteaux utilisables, Jannard et ses amis attachent leurs lignes téléphoniques à des cheminées du mieux qu’ils peuvent et les isolent avec des bouts de tube en caoutchouc provenant peut-être, je répète peut-être, de roues d’un type de bicyclette connu sous le nom de grand-bi – en anglais, un penny-farthing / ordinary / high wheeler / high wheel. Le fil qui complète le circuit communique avec le réseau d’aqueduc de Montréal.
Le téléphone proprement dit consiste en une petite boîte en acajou. L’ouverture qui s’y trouve sert à la fois à la transmission et à la réception. En d’autres termes, quiconque veut parler doit placer la dite boîte près de sa bouche et quiconque veut entendre doit la placer contre une oreille. Aux dires des personnes concernées, ces équipements fort simples, pour ne pas dire primitifs, fonctionnent fort bien.
Les téléphones du groupe constituent un sujet inlassable d’amusement pour leurs ami(e)s, parent(e)s et voisin(e)s. Dans les jours et semaines qui suivent l’entrée en service du réseau, de nombreuses personnes viennent en effet se payer le plaisir d’une conversation. Une personne a même la bonne idée de placer un téléphone près d’un piano afin que tous les membres de l’équipe puissent écouter un morceau de musique à la mode dans le confort de leur foyer. Ce type de transmission peut, je répète peut, avoir lieu plus d’une fois.
Ce réseau ne représente qu’une petite fraction des centaines de téléphones installés en sol canadien, dans plus de 40 municipalités, surtout en Ontario et au Québec, et ce avant même la fin de 1879. Les susmentionnés Bell senior et Williams éprouvent alors de plus en plus de difficultés à garder leurs comptes à jour et à maintenir les téléphones en état de marche, les véritables téléphones Bell seulement bien sûr et non pas les copies illégales. Ils décident par conséquent de vendre les brevets de Bell à une firme canadienne. La susmentionnée Dominion Telegraph les envoie poliment promener. Croiriez-vous que le tout aussi susmentionné Duquet tente de recueillir les fonds nécessaires, sans succès d’ailleurs, les banques et le monde des affaires de Québec et Montréal ne croyant pas qu’il y du pognon à faire avec le téléphone?
Ne pouvant trouver aucun interlocuteur canadien acceptable avec qui négocier, Bell et Williams contactent la susmentionnée National Bell Telephone qui accepte volontiers de payer la forte somme demandée, comme il est dit (tapé?) plus haut. La dite somme est apparemment de 100 000 $, soit un peu plus de 3 400 000 $ en devise 2022, ce qui n’est pas une énorme somme d'argent si vous y réfléchissez, mais je digresse.
À cette époque, National Bell Telephone n’est toutefois le seul joueur sur l’échiquier téléphonique canadien. Nenni. Montreal Telegraph, une firme contrôlée par un très puissant et influent capitaliste, financier et magnat du transport maritime, sir Hugh Allan, entre dans la course en 1879. Les droits du téléphone qu’elle entend vendre appartiennent à un géant américain autrement puis puissant que National Bell Telephone, Western Union Telegraph Company. Le dit téléphone vient d’être mis au point par le susmentionné Gray, qui n’entend se faire évincer par Bell, et par un géant américain sans peur et sans pitié, le formidable Thomas Alva Edison. Le succès de National Bell Telephone au Canada, voire même aux États-Unis, serait-il en danger? (Musique dramatique)
Et bien, non. Bell poursuit Western Union Telegraph pour contrefaçon de brevet et remporte sa cause, en 1879.
La susmentionnée Bell Telephone Company of Canada se porte acquéreur de Dominion Telegraph en juillet 1880. Elle acquiert par ailleurs Montreal Telegraph au cours de l’automne de cette même année. Avant même la fin de 1881, Bell Telephone Company of Canada contrôle à toute fin utile toutes les firmes opérant les quelques 3 100 téléphones en sol canadien.
Le réseau téléphonique mis en place par Jannard, Dauphin, Dansereau, Craig et Bélanger disparaît fort probablement bien avant la fin de 1881. Aucun d’entre eux ne souhaite être poursuivi pour contrefaçon de brevet. La téléphonie canadienne va demeurer la chasse gardée / monopole lucrative de Bell Canada Limited, une raison sociale adoptée en 1968, jusqu’en 1992. Le capitalisme non restreint n’est-il pas tout simplement magnifique, à condition d’être celle ou celui qui a le doigt sur le bouton, bien sûr?
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