En achètent-ils ou non? Seul leur épicier le sait avec certitude : Un bref coup d’œil sur une imitation de crème glacée à moindre coût parfois connue sous le nom de mellorine
Aimez-vous la crème glacée, ami(e) lectrice ou lecteur? Votre humble serviteur ne peut pas dire que j’aime beaucoup ce dessert glacé. J’ai peut-être mangé 3 fois de la crème glacée au cours des 12 derniers mois. Ceci étant dit (tapé?), je sais qu’un grand nombre de personnes aiment vraiment / follement / profondément la crème glacée mais détestent avec le même enthousiasme les joules et graisses énergétiques qu’elle contient, et…
Pourquoi ce regard perplexe, ami(e) lectrice ou lecteur? Ne savez-vous pas que l’unité du Système international d’unités, qui est l’itération moderne de ce qu’on appelle communément le système métrique, utilisée pour mesurer l’énergie est le joule, une unité nommée d’après le physicien et brasseur anglais James Prescott Joule, pas la calorie? Nous sommes déjà passé(e)s par là, vous savez. Gardez le rythme.
Étant donné cette relation d’amour et haine à la Ianvs / Janus, j’ai pensé qu’il pourrait être intéressant de creuser dans l’histoire d’une imitation de crème glacée / crème glacée synthétique à moindre coût parfois connue sous le nom de mellorine. Prenez un bol et une cuillère et rejoignez-moi dans la batcave. J’ai un pot de sorbet.
Et oui, votre humble serviteur sait que Ianvs / Janus est la divinité romaine des transitions, du temps, des portes, des portails, des passages, des fins, de la dualité, des débuts et du changement. Pourquoi pensez-vous que je l’ai mentionnée? Il y a une méthode derrière la folie, vous savez. Parfois.
Votre humble serviteur n’aimerait rien de plus que de radoter sur le récit d’origine de la crème glacée faite de graisse végétale. Malheureusement, je n’ai guère de temps. Ceci étant dit (tapé?), le fait est que ce récit d’origine se déroule aux États-Unis. La première recette connue est publiée en 1899, par exemple, dans Guide for Nut Cookery, par Almeda Lambert. Elle utilise des amandes ou arachides. Un des scientifiques afro-américains les plus éminents du début du 20ème siècle et professeur au Tuskegee Institute, George Washington Carver, fabrique de la crème glacée à base d’arachides au plus tard en 1921. En 1930, la Scientific Food & Benevolent Association de Jethro Kloss vend ce qui peut bien être la première crème glacée non laitière commerciale au monde. Cette crème glacée au soja est disponible en saveurs vanille, fraise et chocolat.
À ce qu’il semble, le rationnement alimentaire aux États-Unis pendant la Seconde Guerre mondiale force un certain nombre de fabricants de crème glacée à étirer leur ration de gras de beurre en faisant entrer en douce de la graisse végétale dans divers produits. De fait, la production d’imitations de crème glacée commence en 1942 aux États-Unis.
Dans les années qui suivent la fin de la Seconde Guerre mondiale, le gras de beurre s’avère si cher aux États-Unis que des fabricants de crème glacée craignent que de nombreuses personnes réduisent leur consommation ou, bonté gracieuse, arrêtent complètement d’acheter de la crème glacée. Face à cette situation potentiellement très inquiétante, certains d’entre eux commencent à expérimenter des produits moins chers : crème glacée faible en matière grasse, flan surgelé, lait glacé, sorbet, etc.
J’aime bien le sorbet, au fait, même si j’en ai peut-être mangé trois fois l’année dernière. En fin de compte, je préfère les biscuits. Je peux avoir un biscuit une fois par semaine, peut-être, mais je digresse.
Certains des expérimentateurs mentionnés ci-dessus sont basés au Texas. Les produits qu’ils inventent vers 1947-48 utilisent des graisses végétales comme des huiles de soja et de coton américaines, ainsi que de l’huile de noix de coco importée. Ces produits sont commercialisés sous les noms de Frosty Kreme par Frosty Kreme Company, en 1949, de Mello Kream par… Lilly Ice Cream Company, en 1950, etc., et s’avèrent très populaires auprès des familles. Elles sont, après tout, environ 25 % moins chères que la crème glacée et peuvent être produites dans toutes les saveurs de la vraie crème glacée. À l’été 1952, par exemple, à Saint-Louis, Missouri, une imitation de crème glacée aurait capturé la moitié du marché.
Pourquoi les imitations de crème glacée sont-elles moins chères, demandez-vous, ami(e) lectrice ou lecteur soucieuse / soucieux d’économie? Laissez-moi vous le dire. Les graisses végétales utilisées dans ces produits coûtent de 4 à 5.5 fois moins cher que le babeurre vers 1953. Initialement, votre humble serviteur est horrifié par ce que je percevais comme un cas flagrant d’escroquerie envers les consommatrices et consommateurs. Enfin, une économie de seulement 25 % quand les graisses végétales coûtent de 4 à 5.5 fois moins cher que le babeurre? Je me suis alors rappelé que les dites graisses ne représentent qu’un très petit pourcentage du contenu d’un cornet d’imitation de crème glacée, mais je digresse. Encore. Vieille habitude…
Et oui, la crème glacées à la graisse végétale est à la vraie crème glacée ce que la margarine est au beurre.
Croiriez-vous qu’un fabricant (d’imitation de crème glacée?) mène un essai à l’aveugle dans lequel la plupart des consommatrices et consommateurs pensent que la dite imitation est la chose véritable? L’essai est-il arrangé avec le gars des vues, demandez-vous, ami(e) lectrice ou lecteur sceptique? Qui sait, affirmai-je?
Quoi qu’il en soit, à la fin de l’hiver 1950-51, Dairy Products Institute of Texas Incorporated intervient pour maîtriser l’industrie naissante des imitations de crème glacée, ne serait-ce que parce que certains fabricants qui ne comptent pas parmi ses membres vendent leurs produits en tant que crème glacée. La norme d’identité du dit institut préparée pour la crème glacée faites de matières grasses végétales précise que sa teneur minimale en matières grasses ne peut pas être inférieure à 6 %, contre 8 % pour la vraie crème glacée. Et oui, cela signifie qu’il n’y a pas beaucoup de babeurre, ou de graisse de légumes du reste, dans votre bol ou cône, mais revenons à notre histoire.
En octobre 1951, l’agent de santé du Texas / directeur du Texas Department of Public Health, George Washington Cox, décrète que toutes les imitations de crème glacée vendues au Texas devront être appelées mellorine. Leur teneur en matières grasses peut également être mentionnée sur l’emballage, je pense. Et oui, ami(e) lectrice ou lecteur rusé(e), l’édit de Cox signifie que les fabricants de mellorine ne peuvent plus utiliser le mot anglais cream ou tout équivalent phonétique de celui-ci (kream, kreme, etc…) pour étiqueter, marquer, publiciser ou vendre leurs produits.
Le mot mellorine, apparemment concocté par Dairy Products Institute of Texas, n’est pas immédiatement adopté en dehors du grand état du Texas. Les résident(e)s de l’Illinois, par exemple, peuvent ingérer un dessert glacé à base de graisse végétale si elles ou ils le désirent. Quel que soit le terme ou expression utilisée, les gouvernements des états où la crème glacée non laitière est vendue peuvent s’être assurés que la nature de ces produits est clairement indiquée aux consommatrices et consommateurs.
Et non, votre humble serviteur ne sait pas comment le mot mellorine est concocté. Ceci étant dit (tapé?), le mot latin mellō signifie faire ou récolter du miel, ou mel en latin.
Quoi qu’il en soit, au plus tard au début de 1953, de grands fabricants de crème glacée et de grandes laiteries américaines comme Beatrice Foods Company, Borden Company (ou Borden Ice Cream Company?), Carnation Evaporated Milk Company, Foremost Dairies Incorporated et National Dairies Incorporated produisent des imitations de crème glacée dans le sextuor d’états où ces produits sont légaux, ou non interdits, ce qui est le cas dans 18 états. Et oui, 24 des 48 états des États-Unis interdisent la vente de produits similaires à la mellorine au début de 1953. Ce nombre tombe à 21 à un moment donné en 1953. En 1958, des produits similaires à la mellorine sont fabriqués dans 12 états. Et oui, malgré cela, l’industrie laitière est encore très influente.
Les résidents du susmentionné sextuor d’états (Californie, Illinois, Missouri, Oklahoma, Oregon et Texas) constituent environ 23.5 % de la population totale des États-Unis, ce qui n’est pas un mauvais départ. Deux d’entre eux, l’Oregon et la Californie, gardent cependant une laisse serrée sur le nouveau produit.
Le dit produit peut, je répète peut, être vendu entre 0.40 et 0.50 $ ÉU environ le litre (1.85 à 2.20 $ ÉU environ le gallon impérial / 1.50 à 1.85 $ ÉU environ le gallon américain), alors que la vraie crème glacée se vend pour 0.60 à 0.85 $ ÉU environ par litre (2.80 à 3.85 $ ÉU environ le gallon impérial / 2.30 à 4.00 $ ÉU environ le gallon américain).
Une fois converti en devise canadienne de 2023, le paragraphe ci-dessus se lit comme suit : Le dit produit peut, je répète peut, être vendu entre 6.05 à 7.55 $ environ le litre (28.00 à 33.30 $ environ le gallon impérial / 22.70 à 33.30 $ environ le gallon américain), alors que la vraie crème glacée se vendre 9.10 à 12.85 $ environ par litre (42.35 à 58.25 $ environ le gallon impérial / 34.80 à 50.50 $ environ le gallon américain).
Et oui, votre humble serviteur se rend compte que ces chiffres ne correspondent pas à la différence de coût de 25 % mentionnée ci-dessus. Je suis aussi perplexe que vous. Ceci étant dit (tapé?), les chiffres hyperboliques des paragraphes précédents proviennent d’un article d’octobre 1952 publié dans le principal quotidien de Québec, Québec, Le Soleil.
La source des données de l’auteur n’est pas claire. Elle peut être fournie par deux organisations américaines influentes, les International Association of Ice Cream Manufacturers et National Milk Producers Federation, ou par le National Dairy Council of Canada, une organisation dont le président, John J. Creighton de Tatamagouche, Nouvelle-Écosse, sonne l’alarme contre les imitations de crème glacée et toutes les autres applications de gras végétal, un produit qui menace de détruire l’industrie laitière canadienne. Et oui, la International Ice Cream Manufacturers Association a pour membres des producteurs américains et canadiens.
Une pensée potentiellement controversée si je puis me permettre. Compte tenu de l’importance de l’industrie laitière au Canada, il n’y a pas vraiment de raison pour que le National Dairy Council of Canada devienne hyperbolique comme ça. Après tout, on peut soutenir que les gouvernements provinciaux et fédéral ne l’abandonneraient pas, ne pourraient politiquement pas se le permettre en fait.
Pour un chroniqueur d’un journal québécois, prendre une trajectoire aussi hyperbolique est d’autant plus déconcertant que le gouvernement du Québec a dans les livres une loi, adoptée en mars 1949 et modifiée en décembre 1952, qui interdit la production et la vente de margarine, à l’époque un produit fabriqué principalement avec de l’huile végétale non canadienne. Cette loi est adoptée à la suite d’une décision de la Cour suprême du Canada de décembre 1948 selon laquelle la margarine peut être fabriquée et vendue, mais non importée, au Canada. Voyez-vous, le gouvernement fédéral a apparemment outrepassé sa compétence. La margarine et le beurre relèvent apparemment du domaine provincial.
Croiriez-vous que la décision de la cour est liée à l’union de Terre-Neuve avec le Canada, en mars 1949. Je ne plaisante pas. Voyez-vous, encore, la margarine est produite dans ce dominion dépendant depuis 1883, à partir de l’huile de divers types de créatures marines, principalement des poissons et phoques en fait. (Bonjour, EG!) Au moment où les négociations sur l’union avec le Canada commencent pour de bon, en 1947, la margarine est devenue une denrée essentielle à Terre-Neuve. Cette essentialité devient immédiatement un problème.
Voyez-vous, une loi adoptée par le gouvernement fédéral du Canada au printemps 1886 interdit la production et vente de margarine. Une autre loi votée au cours de l’été 1903 interdit la vente, production et importation de tels produits. Et oui, si je peux paraphraser, Anakin Skywalker / Dark Vador, hors contexte bien sûr, la Force est bel et bien puissante avec l’industrie laitière, mais je digresse.
Ne voulant pas mettre fin à son interdiction, de peur d’encourir la fureur de l’industrie laitière et de ses nombreux partisans, le gouvernement fédéral accepte d’ignorer la dite interdiction et de permettre la poursuite de la production de margarine à Terre-Neuve après son union avec le Canada. Mieux encore, il choisit de violer temporairement un article de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique de 1867 en interdisant à la nouvelle province d’exporter sa margarine vers les 9 autres provinces du pays.
Cette violation temporaire de la loi même qui donne naissance au Canada est réglée dans l’Acte de l’Amérique du Nord britannique modifié de 1949 et, comme vous l’avez lu il y a quelques instants, ami(e) lectrice ou lecteur, l’interdiction de 1886 est rendue sans objet par la Cour suprême du Canada. Tout va maintenant bien dans le dominion.
Votre humble serviteur a-t-il mentionné que, pendant des années / décennies, des contrebandiers canadiens et / ou terre-neuviens font passer en fraude de la margarine fabriquée à Terre-Neuve vers la Nouvelle-Écosse et d’autres provinces? Je ne plaisante pas. De la margarine du marché noir est également disponible au Québec, soit dit en passant, en quantités inconnues bien sûr. Il est toutefois possible, sinon probable, que ce produit de contrebande soit d’origine américaine ou, à partir de 1949, ontarienne.
Ontarienne, demandez-vous, ami(e) lectrice ou lecteur? Si, si, Ontarienne, affirmai-je. Voyez-vous, l’usine de Toronto, Ontario, de Lever Brothers Limited, une filiale du géant industriel (margarine et savon) britannique Lever Brothers & Unilever Limited, commence à produire de la margarine pour le marché canadien pas trop, trop longtemps après la décision de la Cour suprême du Canada.
À moins que chaque automobile, camion ou wagon de chemin de fer entrant au Québec ne soit fouillé, il n’y a aucun moyen sur la Terre verte du Monstre spaghetti volant que les contrebandiers déterminés ou chefs de famille en difficulté essayant de joindre les deux bouts puissent être arrêtés et traduits en justice, mais revenons aux grands fabricants de crème glacée et aux grandes laiteries américaines qui commencent à produire des imitations de crème glacée.
Pourquoi ces entreprises fabriqueraient-elles ce produit compétitif, demandez-vous, ami(e) lectrice ou lecteur perplexe? Une bonne question. Vous voyez, à la fin des années 1940, des producteurs américains de margarine commencent à utiliser des sources locales d’huile végétale. Naturellement, les agriculteurs américains qui cultivent les plantes oléagineuses deviennent plus heureux chaque jour qui passe. Les consommatrices et consommateurs sont également ravi(e)s. Après tout, la margarine a tendance à être moins chère que le beurre.
Le hic, c’est que le lobby laitier réussit à convaincre le United States Congress d’adopter une loi en 1886 qui taxe l’oléomargarine, un substitut du beurre à base de graisse animale développé et commercialisé en France vers 1870. La dite loi est amendée au fil du temps pour garder l’industrie laitière en tête. Croiriez-vous qu’elle convainc ce même congrès de taxer la margarine jaune, un produit qui ressemble trop à du beurre à son goût? Ou que certains états obligent les fabricants de margarine à colorer leur produit en rouge, rose, noir ou brun? Je ne plaisante pas. Incidemment, ces lois dites roses sont défenestrées en 1898 par la Supreme Court of the United States.
Malgré cela, au début de 1950, des pressions de diverses directions convainquent le United States Congress d’adopter une loi qui abroge les soi-disant taxes sur la margarine. Le Institute of Shortening and Edible Oils est aux anges. La National Milk Producers Federation ne l’est pas. Du tout. De fait, elle a désormais la ferme intention de lutter contre l’introduction des imitations de crème glacée.
Cela étant dit (tapé?), l’âpre bataille menée, et perdue, par le lobby laitier américain convainc les fabricants de crème glacée et laiteries américaines qu’essayer de légiférer pour éliminer les imitations de crème glacée ne donnerait rien. L’approche qu’ils choisissent peut être résumée par une citation de ce grand ami suprêmement pacifique et d’humeur égale d’un certain petit lapin, Sam le pirate, en anglais Yosemite Sam : « Si tu ne peux pas les vaincre, joins-toi à eux! » Et c’est pourquoi, mon jeune padawan, des fabricants de crème glacée et laiteries américaines commencent à fabriquer des imitations de crème glacée.
Remarquez, le fait est que, en 1950, le gouvernement américain n’a que des normes limitées pour la crème glacée et que chacun des 48 états qui composent alors les États-Unis a sa ou ses propres lois réglementant la fabrication de la crème glacée peut être perçu comme une ouverture, oserait-on dire une faiblesse, qui peut être exploitée. Le fait que certaines des lois d’état ne sont pas trop strictes et que d’autres ne sont pas strictement appliquées est la cerise sur le gâteau de la proverbiale coupe glacée – celle faite avec de l’imitation de crème glacée bien sûr.
Ceci étant dit (tapé?), l’industrie américaine de la crème glacée n’est pas exactement en état de siège. Voyez-vous, alors que 2.115 milliards de litres (465 millions de gallons impériaux / 560 millions de gallons américains) (!!) de crème glacée sont produits aux États-Unis en 1952, seuls 41.5 millions de litres (9.15 millions de gallons impériaux / 11 millions de gallons américains) d’imitation de crème glacée sortent des installations de production alimentaire américaines.
Et oui, les chiffres ci-dessus montrent que chaque Américaine et Américain consomme 13.8 litres (3 gallons impériaux / 3.7 gallons américains) de crème glacée en 1952. Ce chiffre correspond à environ 100 (!) cornets de crème glacée – et une maigre paire de cornets d’imitation de crème glacée.
Comme vous pouvez l’imaginer, l’introduction de l’imitation de crème glacée sur le sol américain ne passe pas inaperçue au Canada. Au Québec, le premier article de journal que votre humble serviteur a trouvé est celui qui paraît au début d’octobre 1952 dans Le Soleil. Oui, celui avec la réaction hyperbolique à l’introduction de l’imitation de crème glacée dans certains états américains.
Qu’adviendrait-il des producteurs laitiers du Québec si l’imitation de crème glacée s’implante en Ontario, affirme l’auteur de l’article, le correspondant parlementaire Henri Dutil? L’apocalypse, semble-t-il, est proche.
On peut supposer que ni Dutil ni les producteurs laitiers du Québec ne sont ravis d’une déclaration de février 1953 de l’Association des consommateurs du Canada. Aussi désireuse qu’elle soit de soutenir des lois qui élimineraient la confusion entre produits laitiers et non laitiers, cette association basée à Ottawa, Ontario, ne peut pas et ne veut pas soutenir des lois qui interdiraient des produits non laitiers simplement parce qu’ils sont en concurrence avec des produits laitiers.
Ce même mois, le chef de l’opposition officielle à l’Assemblée législative du Québec, le notaire et philatéliste George Carlyle Marler, demande si le gouvernement, et / ou la Commission de l’industrie laitière, se préparent pour le jour où l’imitation de crème glacée serait produite au Québec. Le ministre de l’agriculture, l’agriculteur et auteur Laurent Barré, déclare qu’une loi est dans les livres pour empêcher une telle chose – une réponse peut-être un peu vague.
Fin février ou début mars, le président de l’Association des fabricants de crème glacée du Québec Incorporée et copropriétaire de Laiterie Leclerc (Sherbrooke) Limitée de… Sherbrooke, Québec, la ville natale de votre humble serviteur, ainsi que le vice-président de cette association et président de Laiterie Laval Enregistrée de Québec, rencontrent le premier ministre du Québec. Bernard Leclerc et Pierre Côté veulent connaître la position du gouvernement concernant l’utilisation de l’huile végétale dans la fabrication de la crème glacée.
Maurice Le Noblet Duplessis, un individu (trop?) conservateur et autoritaire / autocratique ainsi que populiste / nationaliste / autonomiste mentionné à plusieurs reprises dans notre blogue / bulletin / machin depuis janvier 2018, répond qu’il y a une loi dans les livres qui interdit une telle chose. Il ajoute que son gouvernement va lutter contre l’introduction de tout produit à base d’huile végétale qui concurrencerait les produits laitiers, pas nécessairement par la loi mais par la loi si nécessaire.
Ces assurances sont renforcées par une lettre envoyée à Côté. Une lettre dont le texte est gracieusement fourni à une agence de presse, je crois, par Paul-Émile Bégin, secrétaire de l’Association des fabricants de crème glacée du Québec et directeur des études à l’École de laiterie, de Saint-Hyacinthe, Québec. Un des journaux qui publient la lettre, en couverture d’un numéro de mars 1953 rien de moins, est Le Courrier de St-Hyacinthe, un hebdomadaire publié à… Saint-Hyacinthe.
Fait intéressant, après leur conversation avec Duplessis, Leclerc et Côté rencontrent le solliciteur général du Québec, Antoine Girard, pour obtenir des informations sur l’application de la loi mentionnée par le premier ministre.
Répondant au moins en partie à une demande de l’Union catholique des cultivateurs, ou du moins c’est ce que prétend Barré, le gouvernement du Québec adopte en décembre 1953 une nouvelle loi pour protéger l’industrie laitière de la province, sans doute la plus importante au Canada. Ce texte de loi interdit la production et la vente (et la possession?) d’imitations non laitières de lait, fromage, crème glacée, crème et beurre, ce dernier étant le seul produit laitier dont la part de marché peut, peut-être, être affectée par un revirement gouvernemental.
Dans les jours suivants, le Conseil législatif du Québec, le sénat québécois en quelque sorte, dominé par des députés de l’opposition officielle, ajoute deux amendements à cette loi. L’un d’entre eux empêche les laiteries d’avoir dans leurs locaux des produits pouvant servir à produire des imitations de produits laitiers, éliminant ainsi la production de beurre ou crème glacée frelatées, par exemple. L’autre amendement autorise le Cabinet provincial à autoriser la production et vente de certains produits d’imitation s’il le désire.
Même si la situation au Québec semble bien maîtrisée, Le Soleil publie un article intitulé, en traduction, « L’industrie de la crème glacée est menacée par les succédanés, » en première page d’un numéro de la mi-septembre 1954. Ces paroles sont en effet prononcées, en anglais, à Ottawa, lors de l’assemblée annuelle du susmentionné National Dairy Council of Canada, par un Américain, le président de la susmentionnée International Association of Ice Cream Manufacturers. Bert Sweeting ajoute toutefois que son organisation se battrait bec et ongles pour préserver l’intégrité de chaque cornet de crème glacée nord-américain.
Sweeting ajoute également que des chercheurs canadiens et américains cherchent des moyens de détecter, avec un degré de certitude que les tribunaux trouveraient acceptable, la présence d’huile végétale dans des produits prétendant être de la crème glacée pure. Les résultats de cette recherche seraient d’une importance cruciale pour l’industrie de la crème glacée et les personnes dont le travail consiste à faire respecter la loi.
Dans un éditorial publié ce même mois de septembre dans le quotidien montréalais La Patrie, Alonzo Cinq-Mars, un sculpteur / poète / peintre / journaliste / éditorialiste / caricaturiste mentionné dans un numéro de novembre 2022 de notre blogue / bulletin / machin, pointe que, alors que des mesures drastiques prises aux États-Unis empêchent la vente de lait, fromage et beurre falsifiés / frelatés,
la lutte contre la falsification de la crème glacée paraît moins efficace. Il se vend trop souvent sous ce nom chez nous divers succédanés qui ne contiennent pas de crème mais seulement du lait mêlé à certaines huiles végétales et qui donnent l’illusion du produit réel. Ces prétendues crèmes glacées ne sont certes pas nocives, et elles ont parfois un goût assez agréable, mais enfin c’est de la falsification.
Et oui, à ce qu’il semble, Cinq-Mars ou quelqu’un près de lui réussit à mettre la main, illégalement bien sûr, sur un peu de cette prétendue crème glacée – et l’a goûtée.
Même s’il souhaite certainement voir les producteurs de crème glacée locaux protégés, Cinq-Mars conclut son éditorial par une phrase intéressante : « Sans aller jusqu’à prohiber la fabrication et la vente de succédanés à base d’huiles végétales, il y aurait au moins lieu d’en prohiber la vente sous un faux nom. »
Votre humble serviteur se demande comment la direction de l’Association des fabricants de crème glacée du Québec réagit à cette pensée, et… Je sais, je sais. Je ne suis pas une bonne personne.
La vérité est que l’éditorial de Cinq-Mars est suivi d’un silence. De fait, le fracas autour de l’imitation de crème glacée s’évanouit pour ainsi dire dans les airs, et…
Il y a un petit quelque chose que je ne peux m’empêcher de souligner, même s’il est question de produits de type margarine plutôt que de mellorine.
Lors d’un débat en janvier 1957 à l’Assemblée législative du Québec, le chef par intérim de l’opposition officielle, Joseph Irénée René Hamel, un gentilhomme qui n’aime pas du tout Duplessis, impute que de 3 600 à 4 500 tonnes métriques environ (environ 3 600 à 4 500 tonnes impériales / environ 4 000 à 5 000 tonnes américaines) de margarine sont vendues au Québec chaque année. Mieux encore, ce substitut de beurre devient abondant dans la province après le jugement de la Cour suprême du Canada de 1948 et l’adoption de la loi provinciale de 1949 qui interdit la production et vente de margarine au Québec.
Plus ou moins pendant qu’il bavarde, Hamel a la gentillesse de demander à un messager de l’Assemblée législative du Québec de remettre à Duplessis 3 paquets du produit en question. Le premier ministre n’est pas amusé. Notant que les dits paquets sont emballés dans du papier rouge, il plaisante (?) en disant que chaque fois que la falsification est présente, elle est enveloppée de rouge, la couleur officielle de l’opposition officielle. Passant à un ton plus sombre (menaçant?), Duplessis ajoute que, en tant que procureur général, il peut faire arrêter Hamel pour possession de margarine. À un moment donné, il remet les paquets à un messager qui les ramène à Hamel, qui les cache prestement dans son pupitre.
Croiriez-vous que Duplessis déteste les tripes de Hamel à un point tel que, en février 1955, il bloque la construction d’un pont sur la rivière Saint-Maurice reliant Shawinigan Falls à Shawinigan Sud, dans la circonscription de son ennemi juré, alors simple député d’arrière-ban? Je ne plaisante pas. Mieux encore, ou pis encore, mon choix personnel, désolé, Duplessis déclare publiquement, fin janvier 1956, qu’il n’y aurait pas de pont tant que les électrices et électeurs de Shawinigan Falls voteraient pour Hamel. Ce dernier est naturellement renversé par une telle arrogance, tout comme les nombreuses bonnes personnes de la ville en question.
Au risque de paraître trop partial, votre humble serviteur est heureux, que dis-je ravi, de rapporter que ces personnes renvoient Hamel à l’Assemblée législative du Québec lors des élections générales de juin 1956. Dois-je ajouter que certaines de ces personnes déclarent qu’elles préféraient nager plutôt que de soutenir Duplessis?
Le décès de Duplessis, en septembre 1959, à l’âge de 69 ans, marque la fin d’une époque. La Grande noirceur est pratiquement terminée. La Révolution tranquille est sur le point de commencer. Enfin.
Curieusement, le gentilhomme qui succède au « Chef » comme premier ministre du Québec, le premier ministre du Bien-être social et de la Jeunesse de la province, Joseph Mignault Paul Sauvé, annonce en novembre 1959 que Shawinigan obtiendrait son pont. Quelle surprise… Malheureusement, Sauvé décède en janvier 1960, à l’âge de 52 ans. Il est aussitôt remplacé par le ministre du Travail, Antonio Barrette. Et oui, ami(e) lectrice ou lecteur, Sauvé est mentionné dans des numéros de juillet 2018 et juin 2022 de notre étonnant blogue / bulletin / machin.
Le pont au-dessus des eaux troubles est inauguré en septembre 1962 par Hamel et Jean Lesage, un nouveau premier ministre élu en juin 1960 et un gentilhomme mentionné à maintes reprises dans ce même blogue / bulletin / machin depuis juillet 2018.
Un autre pont est franchi en mai 1961 lorsque le gouvernement Lesage adopte une loi qui permet la vente de margarine au Québec. Fait intéressant, seulement 50 des 95 députés sont à leur place pour le vote. Plus de 15 des 51 personnes élues sous la bannière de Lesage pensent apparemment que ce dossier est un tantinet trop toxique.
Alors, après tout ce verbiage, que peut-on conclure sur l’imitation de crème glacée? Eh bien, les inquiétudes exprimées par l’industrie laitière américaine dans les années 1950 se révèlent infondées. Voyez-vous, en 1960, la crème glacée sans produits laitiers ne représente pas plus de 4.6 % du marché américain des desserts glacés. Ce pourcentage a grimpé à… 4.7 % en 1968. Cela étant dit (tapé?), la part de marché de la crème glacée a bel et bien chuté, passant de 87 % en 1950 à 65 % en 1968. La raison de cette chute est toutefois la montée en puissance spectaculaire du lait glacé. De fait, la part de marché des desserts glacés de celui-ci passe de 3 % en 1950 à 22 % en 1968.
Il y a fort à parier que la situation en sol canadien est un tant soit peu similaire : les inquiétudes exprimées par l’industrie laitière canadienne dans les années 1950 pour ce qui est de l’imitation de crème glacée se révèlent elles aussi infondées.
Et pourtant, la production de crème glacée sans produits laitiers est encore une réalité au cours des années 2020. Le nombre restreint de végétalien(ne)s / végétarien(ne)s (5 % des Nord-Américain(e)s?) n’explique peut-être pas cet intérêt continu, mais le pognon pourrait. Voyez-vous, selon certaines sources, les produits de type mellorine sont de 20 à 40 % moins chers à produire que la crème glacée.
Et non, la crème glacée sans produits laitiers ne contient pas toujours moins de matières grasses que la crème glacée. Pis encore, selon sa source, la graisse végétale qu’elle contient peut ne pas être idéale pour vous, ami(e) lectrice ou lecteur soucieuse / soucieux de votre santé, ou pour l’environnement. L’huile de palme, par exemple, a été et continue d’être un moteur majeur de la déforestation. Certaines des forêts les plus riches en biodiversité de la planète ont été et continuent d’être dévastées pour répondre à la demande. À notre demande. Soupir…
Humm, je suis toujours dans la batcave, vous savez, avec un bol et une cuillère – et un plein pot de sorbet à la framboise fondant. Donc, si je peux citer, en traduction, une campagne publicitaire provocante, mémorable et controversée lancée en février 2006 par Tourism Australia et présentée par le mannequin australien de 19 ans Lara Bingle, où diable êtes-vous donc?!
Incidemment, croiriez-vous que la publicité télévisée préparée pour cette campagne doit être modifiée pour être utilisée au Canada? Vous voyez, les directives à la sainte nitouche que les télédiffuseurs doivent respecter stipulent à toute fin utile que le verre de bière à moitié plein avec sa ligne parlée, en traduction, « Nous vous avons versé une bière, » est un non-non. Remarquez, un télédiffuseur canadien qui restera anonyme indique que l’expression bloody hell, en français la vache / merde, est également problématique si elle est diffusée à des moments où de jeunes humain(e)s pourraient être présent(e)s. Beaucoup d’Australien(ne)s, Canadien(ne)ns, Klingon(ne)s, etc., rigolent si fort qu’elles et ils mouillent leur pantalon.
Incidemment, savez-vous combien de fois « Bloody hell! » jaillit de la bouche d’un certain Ron Weasley, et ce à partir de novembre 2001? Rupert Alexander Lloyd Grint, l’acteur anglais qui joue ce jeune sorcier, a 13 ans en 2001, quand Harry Potter à l’école des sorciers arrive en salle, soit dit en passant. Weasley prononce les mots désormais célèbres à l’écran pas moins de 21 fois entre 2001 et 2011, mais pas une seule fois dans les livres écrits par l’auteure et philanthrope anglaise Joanne « J.K. » Rowling.
Avant que je ne l’oublie, le Français de France qui double la voix de Weasley prononce apparemment les mots ça alors, et non pas la vache / merde. Si je peux me permettre un commentaire, il s’agit là d’une traduction un peu sainte nitouche et…
Ahh, vous êtes enfin là, et vous avez apporté des biscuits?!