« Comme nos ancêtres les Normands, buvons du cidre! » Un bref tour d’horizon de l’histoire de Christin Limitée, un producteur de boissons gazeuses québécois qui a perduré pendant plus d’un siècle, sous divers noms, partie 3
Je vous offre un bonjour bien pétillant, ami(e) lectrice ou lecteur.
Êtes-vous prêt(e)es à compléter notre exploration de l’histoire de Christin Limitée, un producteur de boissons gazeuses de Montréal, Québec, et des firmes qui l’ont précédée pendant plus d’un siècle? Vermouilleux!
J. Christin & Compagnie Limitée change de nom en décembre 1946 pour devenir Christin Limitée. Elle ne semble nullement avoir souffert du petit scandale entourant son acquisition illégale de sucre granulé mentionné la semaine dernière.
En septembre 1948, cette firme inaugure une bonne partie d’une toute nouvelle usine, plus spacieuse et plus moderne, à Montréal évidemment. Le maire de la ville, le bien connu Camillien Houde, un gentilhomme mentionné dans un numéro de septembre 2023 de notre incroyaaable blogue / bulletin / machin, participe à l’événement, ce qui est fort compréhensible.
La présence du recteur de l’Institut catholique de Toulouse, à… Toulouse, France, l’archevêque Paul Marie Bruno de Solages, un théologien / professeur d’université qui s’illustre pendant la Seconde Guerre mondiale par son opposition au gouvernement collaborationniste de Vichy et à la persécution des personnes de religion juive, est un peu moins facile à expliquer.
S’il est vrai que de Solages se trouve au Québec pour environ un mois, il est tout aussi vrai qu’il est venu en Amérique du Nord pour enseigner à l’Université de Montréal, à… Montréal, pas pour assister à l’inauguration d’une usine de production de boissons gazeuses, aussi moderne et bien outillée soit-elle.
La présence d’un membre de la Societas Jesu / Compagnie de Jésus, le directeur de l’École sociale populaire et fondateur des Semaines sociales du Canada, Joseph-Papin Archambault, n’est pas non plus facile à expliquer. Enfin, passons.
Euh, vous ne savez pas de quoi il est question, n’est-ce pas, ami(e) lectrice ou lecteur? Soupir… Sachez donc que l’École sociale populaire est un organisme fondé en 1911 dont les membres cléricaux et laïcs ont pour but d’appliquer en sol québécois la doctrine sociale de l’église catholique, apostolique et romaine. La dite doctrine a elle-même pour buts d’améliorer le sort de la classe ouvrière urbaine et de freiner la montée du socialisme / communisme dans les milieux industriels et urbains.
Les Semaines sociales du Canada, quant à elles, sont des colloques culturels organisés, fort souvent au Québec, entre 1920 et 1964, par la dite église pour faire connaître sa doctrine sociale.
La dite doctrine, de son côté, tire ses origines de l’encyclique Rerum Novarum, publiée en mai 1891 par la pape Leo XIII / Léon XIII, né Vincenzo Gioacchino Raffaele Luigi Pecci, mais revenons à nos boissons gazeuses.
La nouvelle usine de Christin peut remplir environ 15 000 bouteilles de boissons gazeuses par heure. Une flotte d’une trentaine de camions livre ces produits partout sur l’île de Montréal. Elle les livre également dans un rayon d’environ 80 kilomètres (environ 50 milles) autour ce celle-ci.
Compte tenu des changements qui affectent Christin depuis plusieurs années, on est en droit de se demander si des membres du personnel et / ou de la direction notent les décès, en février 1950 et mai 1952, de deux anciens présidents de la firme, Albert Hudon et Joseph Adolphe Christin, respectivement âgés de 77 et 79 ans.
Toujours consciente de la nécessité de demeurer présente à l’esprit du plus grand nombre de personnes possible, Christin collabore au plus tard en avril 1948 avec la station radio montréalaise CKVL dans le cadre de son émission musicale hebdomadaire Article Douze. Pour assister à l’enregistrement de l’émission, il suffit en effet de se présenter à la salle paroissiale de l’église Saint-Stanislas de Kostka de Montréal avec 5 capsules de boissons gazeuses Christin.
Cette émission est animée par le chanteur / animateur québécois bien connu Fernand Robidoux, un des premiers promoteurs de la chanson québécoise et époux de l’actrice québécoise Jeanne d’Arc « Zézette » Couet, une dame mentionnée dans la seconde partie de cet article. L’acteur / annonceur / humoriste / monologuiste québécois Gilles Pellerin tient le rôle de maître de cérémonie.
Article Douze semble rester en ondes jusqu’au printemps 1950.
Christin collabore également avec la station radio montréalaise CKAC, alors propriété du grand quotidien La Presse, lui aussi de Montréal, pour lancer le Radio-Concours Christin en octobre 1950.
L’émission éponyme, si, si, Radio-Concours Christin, en ondes le matin, les lundis, mercredi et vendredis, offre de la musique agréable à ses auditeurs et auditrices. L’animateur, Louis Bélanger, chef annonceur à CKAC, donne par ailleurs la définition d’un mot mystère, tirée d’un dictionnaire, que ces personnes doivent identifier.
Les personnes qui souhaitent participer au concours n’ont qu’à poster leur nom et adresse aux bureaux de CKAC. Toute personne gagnante dont la lettre contient 5 étiquettes de produits Christin verrait son prix doubler.
Bélanger se fait un plaisir de remettre un prix à chaque émission à la personne dont le nom est tiré au hasard et qui a la bonne réponse. Il remet par ailleurs un prix spécial les vendredis.
L’épouse de J. Aurélien Raymond de Montréal, Québec, acceptant le grand prix du Radio-Concours Christin de la main de Louis Charles Gascon, un membre de la haute direction de Christin Limitée de Montréal. Anon., « Montréal. » Radio Télévision ‘51, 21 juillet 1951, 4.
L’épouse de J. Aurélien Raymond de Montréal remporte le grand prix du Radio-Concours Christin, décerné en juin 1951 par un membre de la haute direction de Christin, Louis Charles Gascon. Le prix en question est d’une valeur de 500 $, une somme qui correspond à environ 5 525 $ en devises de 2024, ce qui n’est pas mal du tout.
Toujours consciente de la nécessité de demeurer présente à l’esprit du plus grand nombre de personnes possible, Christin s’associe à CKVL pour lancer l’émission radiophonique hebdomadaire Le Ralliement Christin. Cette émission destinée à aider les jeunes (moins de 21 ans?) artistes entre en onde en novembre 1953.
Son animateur est nul autre que l’animateur (radio et télévision ) québécois Roger Baulu, le prince des annonceurs et un géant de la radio et télévision québécoise mentionné dans des numéros de novembre 2019, août 2022 et mai 2023 de notre inestimable blogue / bulletin / machin.
Plusieurs des jeunes personnes qui se rendent à l’auditorium de CKVL espèrent évidemment gagner une des magnifiques bicyclettes fournies chaque semaine, je pense, par Majestic Bicycle and Supply Company Limited de Montréal.
Près de 65 jeunes artistes sont ainsi mis en vedette entre novembre 1953 et mars 1954.
La grande finale de la saison 1953-54 se tient en juin 1954. Environ 45 participantes et participants sont en lice. Le réalisateur de Le Ralliement Christin, le réalisateur / producteur / bassiste / acteur québécois Paul-Émile Corbeil, tient le rôle de maître de cérémonie.
La quinzaine de gagnant(e)s se partage alors 10 bourses d’études d’une valeur totale de 1 000 $, une somme qui correspond à environ 11 200 $ en devises 2024.
Des prix récompensent par ailleurs une vingtaine de jeunes participantes et participants. Un d’entre eux rentre chez lui avec une bicyclette alors que plus d’une quinzaine d’autres gagnent une montre. Mieux encore, deux jeunes personnes rentrent chez elles avec des deux prix.
Certaines des boursières et boursière font par la suite de remarquables carrière en musique. Mentionnons par exemple l’accompagnatrice / pianiste / professeure / répétitrice québécoise Marie Marthe Monik Grenier (21 ans en 1953), la chanteuse / professeure ontarienne Claire Grenon (20 ans) et le violoniste québécois Edward Kudlack (17 ans).
Remarquez, d’autres personnes présentes ce jour-là se tirent également très bien d’affaire. Il suffit de songer au Québécois Boris Brott (9 ans en 1953), qui gagne une bicyclette. Brott devient par la suite chef d’orchestre. Ce gentilhomme compte parmi les chefs d’orchestre québécois et canadiens les plus reconnus de son époque à l’échelle internationale.
Parlant (tapant?) d’échelle internationale, saviez-vous que Kudlack joue pour les Orchester der Wiener Staatsoper et Wiener Philharmoniker de Vienne / Wien, Autriche, pendant les années 1970?
Le personnel de Christin ne peut certainement pas manquer de noter le centenaire de la firme, un anniversaire qui fait grand bruit en mai 1955. En effet, ce n’est pas tous les jours qu’une firme québécoise, que dis-je, une firme québécoise appartenant à des francophones, atteint un âge aussi avancé. De fait, croiriez-vous que l’hebdomadaire montréalais Le Petit Journal consacre 8 pages (!) d’une édition de mai 1955 à Christin, à son histoire et à ses opérations? Je ne plaisante pas.
À bien y penser, Christin peut fort bien être le plus vieux producteur de boisson gazeuses encore en existence au Canada en 1955. Chapeau!
De fait, une plaque commémorant l’événement et apposée à la nouvelle usine est dévoilée en présence d’une foule nombreuse, qui inclut le maire de Montréal, Jean Drapeau. Si, si, Jean Drapeau. Le Drapeau de l’Exposition internationale et universelle de Montréal, ou Expo 67, qui a lieu d’avril à octobre 1967, à… Montréal, une incroyaaable exposition universelle mentionnée dans plusieurs numéros de notre formidable blogue / bulletin / machin depuis novembre 2020.
Votre humble serviteur a la chance de visiter brièvement cette exposition universelle en 1967, grâce à la gentillesse d’un oncle et d’une tante qui ne sont malheureusement plus parmi nous.
Une vue d’ensemble de la mezzanine et du rez-de-chaussée de l’usine d’embouteillage de boissons gazeuses de Christin Limitée de Montréal, Québec. Les réservoirs de la mezzanine et deux embouteilleuses du rez-de-chaussée sont bien visibles. Anon., « Christin célèbre ses 100 ans. » Le Petit Journal, 15 mai 1955, 68.
Une vue d’ensemble de la salle d’embouteillage du rez-de-chaussée de l’usine d’embouteillage de boissons gazeuses de Christin Limitée de Montréal, Québec. Anon., « Christin célèbre ses 100 ans. » Le Petit Journal, 15 mai 1955, 69.
La phase finale de la production des boissons gazeuses par deux employés de Christin Limitée de Montréal, Québec : la mise des bouteilles dans des porte-bouteilles en carton utilisés, je pense, depuis une période de temps relativement limitée. Anon., « Christin célèbre ses 100 ans. » Le Petit Journal, 15 mai 1955, 68.
Aussi fier qu’il soit des réalisations de Christin, Charles Auguste Gascon note avec tristesse que les Québécois francophones « demeurent éblouis par les noms anglais et leur puissante machine de publicité. Coca-Cola, Gurd, etc. les épatent et les mettent en confiance. Christin les laisse froids. Il leur semble impossible qu’une maison canadienne-française puisse avoir une valeur égale, et parfois supérieure, aux maisons d’autres races. »
« Que répondre à ces paroles?, » souligne Roland Lorrain, un journaliste québécois / pionnier du ballet au Québec qui rédige un long article sur Christin paru dans le quotidien montréalais Le Devoir en août 1955. « Elles se passent de commentaires, car chacun sent leur vérité. »
Et oui, aux dires de Gascon, c’est ce manque d’appui de la majorité francophone du Québec qui explique le fait que l’usine inaugurée en 1948 n’est pas encore tout à fait complète en 1955.
Eh oui, encore, l’utilisation du terme races peut surprendre, voire même choquer, mais le fait est qu’il est encore largement utilisé dans la presse québécoise francophone de l’époque : au moins 300 fois entre janvier 1951 et décembre 1955 dans l’expression race canadienne-française comparé à au moins 900 fois entre janvier 1931 et décembre 1935 et au moins 95 fois entre janvier 1971 et décembre 1975.
Croiriez-vous que le Québec est le premier producteur de boissons gazeuses au Canada en 1955? On n’y produit pas moins d’environ 192 750 000 litres (environ 42 400 000 gallons impériaux / environ 50 900 000 gallons américains) de ces produits en 1953 par exemple, et ce à une époque où la population de cette province est d’environ 4 270 000 personnes.
Compte tenu de ces chiffres, chaque année, chaque personne au Québec, du plus jeune nouveau-né à la personne la plus âgée, se tape théoriquement l’équivalent de 60 (!) bouteilles de vin remplies de boissons gazeuses, un sacrilège je l’admets.
Si le nom de Coca-Cola Company vous est sans doute familier, celui de Charles Gurd & Company Limited de Montréal ne l’est sans doute pas autant, et c’est bien dommage. Ce producteur de boissons gazeuses voit en effet le jour en 1868. Son histoire mérite d’être racontée en ces lieux et j’espère pouvoir vous proposer un article avant la fin du siècle.
Veuillez noter que ce qui suit est bien horrible.
Votre humble serviteur s’en voudrait si je ne mentionnais pas que l’expert conseil de Christin en matière de qualité des produits en 1955 est apparemment nul autre que Paul Zareh Bedoukian, né P’vol Zareh Petukean, un Arménien Canadien qui, à peine sorti des couches, survit au génocide commis en 1915-17 contre son peuple par les monstrueux yahous / criminels qui dirigent alors l’Empire Ottoman.
Bedoukian et les membres de sa famille ayant survécu aux massacres arrivent au Canada vers 1926. Il entame une formation en génie chimique à McGill University de Montréal en 1932. Bedoukian obtient son baccalauréat en 1936. McGill University lui décerne un doctorat en chimie organique, je pense, en mai 1941.
Au fil des ans et décennies, Bedoukian devient une sommité mondiale en matière de chimie des parfums et saveurs. Il devient par ailleurs une sommité mondiale en matière de monnaies arméniennes anciennes.
En 1955, Bedoukian est basé aux États-Unis depuis déjà quelques / plusieurs années.
Publicité de Christin Limitée de Montréal, Québec, pour le concours lancé en décembre 1962. Anon., « Christin Limitée. » La Presse, 22 décembre 1962, 6.
Christin poursuit sa route sans trop faire parler d’elle jusqu’en décembre 1962. La firme lance alors un concours dans le cadre duquel les consommatrices et consommateurs sont invité(e)s à jeter un coup d’œil sous le liège des capsules de boissons gazeuses Christin.
Toute personne trouvant un disque d’or sous le dit liège n’a qu’à poster celui-ci au siège social de Christin et la firme lui enverra 1 $, en argent comptant ou sous forme de chèque (ou de timbres?) je ne saurais dire. Toute personne trouvant un Lion d’or, par contre, recevra 25 $. Ces sommes correspondent respectivement à environ 9.90 $ et 247.50 $ en devises de 2024.
Ce concours semble se poursuivre jusque vers février 1963.
En décembre 1963, Christin lance un nouveau concours. Toute personne trouvant un jeton, dit capsucado, sous le liège d’une capsule de bière d’épinette Christian n’a qu’à se pointer chez un détaillant pour obtenir gratuitement 6 bouteilles de breuvages Christin. Cinq types de breuvages semblent être disponibles dans le cadre de ce concours, dont les Orange Pampa et Pampa Cola.
Une digression potentiellement délicate si je peux me le permettre. Cet intérêt de Christin pour des concours visant à mousser les ventes pourrait-elle être causée par des difficultés financières? Je vous dis ça comme ça, moi.
Coup de théâtre en juin 1966 : Allan’s Beverages Limited de Montréal acquiert certains actifs et marques de commerce de Christin. Ce producteur de boissons gazeuses fondé en 1882 acquiert par ailleurs tous les droits de distribution des produits de cette firme. Soit dit en passant, les dits produits seraient distribués par la division Nesbitt d’Allan’s Beverages.
En fait, votre humble serviteur se demande si le Nesbitt en question n’est pas en fait Nesbitt’s Orange (Montreal) 1961 Limited de… Montréal, mais je digresse.
La direction d’Allan’s Beverages explique en partie sa décision par le fait que la consommation de boissons gazeuses par personne dans la région de Montréal est, dit-on, supérieure à celle de toute autre région de la Terre. Wah!
Le susmentionné Gascon, oui, Charles Auguste Gascon, survit à ce tournant drastique de quelques années. Il quitte ce monde en juillet 1975, à l’âge de 89 ans.
Petit coup de théâtre en juillet 1986 : Breuvages Cott Limitée de Montréal, la filiale canadienne du producteur de boissons gazeuses américain Cott Corporation, annonce son intention de ressusciter deux boissons gazeuses très populaires en leur temps, soit les nectar mousseux et bière d’épinette Christin, deux produits éliminés par Allan’s Beverages à un moment donné parce qu’elle vendait des breuvages similaires.
Comment est-ce possible, demandez-vous, ami(e) lectrice ou lecteur? Une bonne question. Voyez-vous, au cours des semaines, mois et années qui suivent l’achat des droits de production, vente et distribution des produits d’Allan’s Beverages, euh, de Breuvages Allan Limitée à l’époque en fait, par Breuvages Cott, en mars 1981, quelques / plusieurs firmes souhaitent acquérir les droits concernant le nectar mousseux et la bière d’épinette Christin. Sentant la bonne affaire, la direction de Breuvages Cott décide de relancer leur production.
Votre humble serviteur ne saurait dire quand cette résurrection prend fin.
Christin est officiellement dissoute en 1989.
Prenez-bien soin de vous, ami(e) lectrice ou lecteur, car l’hiver vient. Il sera là dans… 279 jours.