Ils étaient tous pareils, frères l’un de l’autre : Francesco Cassani, Eugenio Gabriele Cassani et la Società Accomandita Motori Endotermici (SAME)
Buongiorno, ami(e) lectrice ou lecteur. Dans le cadre des efforts amorcés par votre humble serviteur afin de diversifier le contenu de notre blogue / bulletin / machin, j’aimerais vous offrir en ce jour un texte, un court texte, si, si, court, de nature agricole.
Notre histoire commence en Italie, en avril 1906 et septembre 1909, avec les naissances de Francesco et Eugenio Gabriele Cassani. Leur père, Paolo Cassani, est le propriétaire de la Società Anonima Paolo Cassani e figli, une petite firme de fabrication et de réparation de machinerie agricole qui existe depuis de nombreuses années. De fait, les 2 frères y travaillent dès leur adolescence, alors qu’ils fréquentent une école technique réputée, le Istituto Industriale Milanese Giacomo Feltrinelli, à Milano, Italie – en 2021, le tout aussi réputé Istituto Tecnico Industriale Statale G. Feltrinelli.
Croiriez-vous que Francesco Cassani, alors âgé de 10 ans, devient le bras droit de son grand-père lorsque son père est appelé sous les drapeaux en 1916, alors que la Première Guerre mondiale fait rage? Le jeune garçon s’avère fort doué pour le travail en usine. Mentionnons au passage que la firme familiale fabrique alors des douilles d’obus et / ou de balles pour les forces armées italiennes.
Au tout début des années 1920, semble-t-il, Cassani père confie à son fils aîné le soin de réparer les moteurs défectueux des batteuses à vapeur des environs. L’adolescent excelle dans ce travail.
Cela étant dit (tapé ?), Francesco Cassani songe à faire carrière en aviation. Il obtient un peu d’argent d’un de ses oncles afin d’acheter un moteur d’aéronef usagé. Cassani fabrique alors une automobile volante dont le premier essai, à partir du toit du domicile familiale, se termine sur les bottes de foin placées sur le sol pour amortir le choc d’un atterrissage forcé.
Vers 1922, l’adolescent installe son moteur d’aéronef dans le châssis d’une automobile qu’il a fabriqué à l’aide d’éléments ramassés çà et là. L’adolescent utilise ce véhicule pour aller voir une adolescente dont il s’est épris. Les parents de Cassani refusent toutefois de laisser leur fils, encore mineur, épouser sa petite amie. Ils lui suggèrent plutôt de consacrer ses efforts à l’étude d’un type de moteur relativement peu connu en Italie, le moteur diesel.
Au cours des mois suivants, les frères Cassani fabriquent un prototype de moteur diesel. Ils étudient pour ce faire des livres et magazines en allemand, de même que le moteur d’aéronef monté sue l’automobile de Francesco Cassani. Dès cette époque, les 2 jeunes gens songent à monter leur moteur sur un tracteur agricole.
La Società anonima Officine Italiane Cassani, une raison sociale apparemment adoptée par le père des frères, et ce à une date indéterminée, fabrique une quinzaine de tracteurs de présérie qui sont expédiés dans diverses régions de l’Italie, pour fins d’expérimentations dans des conditions variées.
En 1927, les frères Cassani présentent le tracteur qu’ils ont mis au point, le Cassani 40 CV, au concours national du Trattrice agricola italiana qui se tient à Rome. Ce tracteur à moteur diesel, une première mondiale semble-t-il, remporte la compétition, au grand dam des firmes importantes qui y participent également.
La firme familiale étant trop petite pour fabriquer le Cassani 40 CV, la famille se met en quête d’un fabriquant capable de la dépanner. Elle jette son dévolu sur une firme industrielle réputée. Ce que les Cassani ne savent pas, c’est que Gaetano Barbieri & Compagnia est au bord de la faillite. De fait, la direction de cette firme entend utiliser l’argent qui lui est remis pour éponger une partie de ses dettes. Ce stratagème s’avère en fin de compte insuffisant. En effet, le krach boursier d’octobre 1929 ne tarde pas à affecter l’économie italienne – et Gaetano Barbieri & Compagnia.
Réalisant, mais un peu tard, le bourbier dans lequel ils se trouvent, les Cassani tentent de trouver une porte de sortie. Des pressions politiques ayant mis fin à leur projet de poursuite, Francesco Cassani devient le directeur technique de Gaetano Barbieri & Compagnia. Il supervise la production d’un nombre indéterminé de tracteurs. La famille investit par ailleurs de l’argent dans Gaetano Barbieri & Compagnia afin de la maintenir à flot.
Si Gaetano Barbieri & Compagnia parvient à éviter la faillite, Officine Italiane Cassani disparaît lorsqu’un des actionnaires obtient les actions des jeunes frères, de même que les brevets de Francesco Cassani, en échange du paiement des dettes de la firme.
Les deux frères abandonnent alors la production de tracteurs au profit d’un projet de moteur diesel et, plus encore, de projets de pompes à haute pression. Produites en 1931, les premières pompes fonctionnent plutôt bien mais le quasi-monopole exercé par la firme allemande Robert Bosch Gesellschaft mit beschränkter Haftung ne permet pas aux Cassani de se tailler une place.
Les frères Cassani se tournent alors vers leur projet de moteur diesel. Ufficio tecnico industriale tessili artificiali Società anonima (UTITA), une filiale de la plus importante firme italienne et un des plus importants fabricants de soie artificielle / rayonne au monde, la Società Navigazione Industriale Applicazione Viscosa (SNIA Viscosa), appuie le dit projet. Soucieuse de diversifier ses activités, SNIA Viscosa espère en effet produire des moteurs utilisés pour moderniser une partie de la flotte de camions de l’armée italienne, la Regio Esercito.
Francesco Cassani supervise par ailleurs la conception d’un moteur diesel marin. Le dit moteur remporte la médaille d’or du VIII Concorso motonautico internazionale d’Italia, en 1934. Un exemplaire du dit moteur propulse par ailleurs le bateau qui remporte une compétition en économie de carburant italienne en 1934.
Aussi agréables que soient ces succès, c’est par le biais des moteurs de camions que la marque Ital-Motor, le nom qui va identifier les moteurs de UTITA, va se tailler ou non une place sur le marché. La Regio Esercito ayant décidé de commander des camions neufs, au lieu de moderniser des vieux, la marque Ital-Motor ne parvient pas à se tailler une place sur le marché. UTITA abandonne rapidement la production de moteurs diesels et les frères Cassani se trouvent encore une fois sans emploi, mais pas pour longtemps.
Vous voyez, le président de UTITA, l’industriel et baron Alberto Fassini Camossi, est impressionné par les indéniables talents des frères Cassani. Il accepte de financer la dernière idée de l’aîné : un moteur d’aéronef compact, assez puissant mais fort peu orthodoxe. Seuls 3 exemplaires de ce moteur de marque BAF-Cassani sont fabriqués, vers la fin des années 1930. Les essais au sol révèlent en effet de sérieux problèmes. En juin 1940, peu de temps après l’entrée en guerre de l’Italie fasciste, un coup de poignard dans le dos d’une France écrasée par l’Allemagne national-socialiste, le Ministero dell’aeronautica décrète l’abandon du projet.
Et non, vous avez bien raison, ami(e)lectrice ou lecteur aux connaissances encyclopédiques, ce type de moteur d’aéronef, dont l’apparence ressemble au cylindre d’un révolver, n’a jamais donné de bons résultats lorsque utilisé sur des aéronefs, quelles que soient les équipes d’ingénieurs européens et nord-américains qui le mettent de l’avant au fil des décennies.
En 1936, les frères Cassani fondent la Società Pompe Iniezione Cassani & Affini (SPICA), un fabricant de systèmes d’injection de carburant pour moteurs à essence ou diesel.
Et oui, c’est SPICA qui, environ 30 ans plus tard, met au point le système d’injection de carburant de la voiture de sport italienne Alfa Romeo Montreal, un véhicule mentionné dans un numéro de janvier 2021 de notre blogue / bulletin machin. Le monde est petit, n’est-ce pas? Mais je digresse.
En mars 1938, une réorganisation en profondeur de SPICA fait en sorte que 2 hommes influents deviennent les actionnaires majoritaires. Compensés financièrement, Francesco Cassani et son frère deviennent conseiller technique et chef d’atelier.
Le décès d’un des hommes influents, l’homme d’affaires et ingénieur Luigi Orlando, en 1941, ouvre une porta à la direction de la susmentionnée firme allemande Robert Bosch. Souhaitant prendre le contrôle de l’ennuyeux concurrent qu’est SPICA, elle achète à prix fort les actions détenues par la famille Orlando. Le second homme influent, l’amiral de division Arturo Ciano, refuse toutefois de vendre ses actions. De fait, il demande à son neveu, le ministre des affaires étrangères italien et gendre de Benito Amilcare Andrea Mussolini, le premier ministre / dictateur de l’Italie, de bloquer les efforts de Robert Bosch.
Gian Galeazzo Ciano agit rapidement. Le principal entrepreneur et banquier de l’Italie fasciste, un organisme d’état, le Istituto per la Ricostruzione Industriale, achète les actions de SPICA qui ne sont pas détenues par la firme allemande. Il confie par la suite la gestion de SPICA à une autre firme qu’il possède, la Società anonima Alfa Romeo. Deux personnes choisies par cette dernière ne tardent pas à remplacer les frères Cassani dans leurs postes respectifs. Cela étant dit (tapé?), les 2 frères sont invités à donner un coup de main aux ingénieurs de Alfa Romeo qui se penchent sur des projets de pompes d’injection pour moteurs d’aéronefs.
Votre humble serviteur ne mentionnera pas dans le présent texte que Mussolini, une brute pompeuse et bouffonne, est mentionné dans quelques / plusieurs numéros de notre blogue / bulletin / machin depuis août 2018.
À la demande de Alfa Romeo, Francesco Cassani se retrouve à la tête d’un centre de recherche qui examine l’alimentation en carburant des moteurs d’aéronefs, un champ d’activité qui intéresse (beaucoup ?) la firme. C’est en effet en 1941 que Alfa Romeo fabrique les premiers exemplaires de présérie du moteur Alfa Romeo RA 1000 RC.41 Monsone, la version italienne de l’excellent moteur en V inversé allemand Daimler-Benz DB 601, mais je digresse.
Plusieurs ingénieurs de Alfa Romeo n’apprécient toutefois guère la présence de Cassani qui, rappelons-le, n’est pas un ingénieur diplômé, à la tête du centre de recherche. Certains d’entre eux décident d’agir. Francesco Cassani est accusé d’avoir écrit une lettre anonyme qui diffame un ingénieur consultant de Alfa Romeo. Son frère cadet, quant à lui, est accusé d’avoir volé un tube d’émeri – un crime abominable qui entraîne son renvoi immédiat. Déjà inconfortable dans l’univers bureaucratique rigide de Alfa Romeo, Francesco Cassani remet sa démission vers le milieu de 1941.
En 1942, les frères Cassani fondent la Società Accomandita Motori Endotermici (SAME). Pour être plus précis, Francesco Cassani convainc son frère cadet, qui songe à devenir propriétaire d’un garage, de se lancer dans cette aventure. SAME entame la réparation de véhicules militaires dans les ateliers utilisés autrefois par la firme familiale, inactifs depuis le décès de Paolo Cassani, en 1932. La firme fabrique par ailleurs quelques dizaines de petits moteurs diesels, ainsi que des pompes à incendies.
Lorsque la Seconde Guerre mondiale prend fin, SAME est somme toute en assez bonne situation. Sa première création est un petit groupe électrogène qui comporte de nombreuses pièces tirées de véhicules blindés de la Seconde Guerre mondiale et achetées à bas prix. L’approvisionnement en électricité en Italie en 1945-46 laissant parfois / souvent un peu à désirer, de nombreuses firmes industrielles et hôpitaux achètent toute la production de SAME.
SAME commercialise une petite faucheuses motorisée à 3 roues en 1946. Réalisant fort bien la faible mécanisation de l’agriculture italienne, les frères Cassani la conçoivent de façon à ce que le moteur de ce véhicule polyvalent pour le moins innovateur, également connu sous le nom de tracteur universel, puisse être rattaché à divers types d’outils ou machine agricoles.
Un séjour au Royaume-Uni, vers 1946, est une révélation pour Francesco Cassani. Déjà convaincu par ses lectures de l’importance de la mécanisation en agriculture, il voit de ses propres yeux à quel point les tracteurs agricoles ont transformé l’agriculture britannique.
SAME commercialise un second tracteur universel, plus polyvalent encore, le SAME 3R/10, en 1948. La prestigieuse Accademia di Agricoltura di Torino est à ce point impressionnée qu’elle accorde sa médaille d’or à cet excellent véhicule. Le tout aussi prestigieux magazine hebdomadaire Giornale dell’Agricoltura affirme que le 3R/10 est un joyau de l’industrie italienne. Cela étant dit (tapé?), les fermiers italiens étant pauvres et prudents, la firme ne parvient à écouler le gros de sa production qu’en 1950.
SAME commercialise ses premiers tracteurs à 4 roues en 1950. Un véhicule à 4 roues motrices, le premier tracteur moderne de ce type au monde semble-t-il, suit en 1952.
SAME commence à exporter des tracteurs dès 1954.
En 1956, la firme inaugure une nouvelle usine dont les chaînes de montage s’inspirent de celles de géants américains, vues par Francesco Cassani lors d’au moins une visite récente en Amérique du Nord. Les différents types de moteurs produits dans les ateliers de cette usine compotent un certain nombre de pièces parfaitement interchangeables, une autre leçon tirée du séjour nord-américain de Cassani.
Le décès soudain de Eugenio Gabriele Cassani, en janvier 1959, à l’âge de 49 ans, au cours d’un voyage d’affaires en Argentine, affecte profondément son frère aîné mais n’affecte pas outre mesure les progrès de SAME. Avant même la fin des années 1950, SAME produit en effet divers types d’outillage agricole, des charrues aux pompes d’irrigation. Et oui, la firme produit évidemment des tracteurs de plus en plus perfectionnés au fil des ans.
Croiriez-vous que, en 1973, SAME fait l’acquisition de Lamborghini Trattori Società per azioni, une firme sœur / frère du fameux fabricant d’automobile de sport italien Automobili Lamborghini Società per azioni? Et non, Lamborghini Trattori ne voit pas le jour après Automobili Lamborghini. Cette firme voit en fait le jour une quinzaine d’années avant sa firme sœur / frère (1948 vs. 1963).
Francesco Cassani quitte ce monde en juillet 1973, à l’âge de 67 ans.
En 1979, SAME acquiert l’important fabricant de tracteurs suisse Hürlimann Traktoren Aktiengesellschaft, devenant ainsi le groupe SLH. Le dit groupe est alors le deuxième plus important fabricant italien de tracteurs et une des plus importantes firmes du genre au monde. Et oui, la firme produit évidemment des tracteurs de plus en plus perfectionnés au fil des ans. Le premier exemplaire du tracteur SAME Buffalo, par exemple, celui-là même qui orne l’annonce publicitaire au début de cet article, quitte les ateliers vers 1976.
En 1995, le groupe SLH acquiert la division de machines agricoles Deutz-Fahr du géant industriel allemand Klöckner-Humboldt-Deutz Aktiengesellschaft, devenant ainsi SAME Deutz-Fahr Società per azioni, l’actuel groupe SDF. Celui-ci a en 2021 des usines en Allemagne, Chine, Croatie, France, Inde, Italie et Turquie.
Croiriez-vous que Klöckner-Humboldt-Deutz est une descendante directe de la firme prussienne N.A. Otto & Compagnie, fondée en 1864 – le premier fabricant de moteurs à combustion interne au monde?
Les tracteurs SAME font leur apparition au Québec vers 1975. À l’automne 1978, la firme italienne et l’importateur avec laquelle elle coopère, Les Entreprises Biasotto & Hardy (Canada) Incorporée de Portneuf, Québec, peut-être, obtiennent une accréditation du ministère de l’Agriculture du Québec. En d’autres termes, elle et il ont prouvé au comité responsable qu’ils disposent d’un atelier bien équipé avec un personnel compétent et toutes les pièces de rechange nécessaire.
À cette époque, SAME produit environ 30 000 tracteurs par an, comparé à 4 000 en 1960, des véhicules plus ou moins puissants à 2 ou 4 roues motrices. Ces véhicules se vendent alors en Europe, Asie, Amérique et Afrique.
En 1981, SAME peut compter sur un réseau de 11 concessionnaires accrédités au Québec, dont Les Entreprises Biasotto & Hardy (Canada), une firme connue par la suite sous le nom de Machinerie Agrotech Incorporée. Celle-ci ferme ses portes vers 1995.
Vous serez content(e), ou pas, d’apprendre que les tracteurs du groupe SDF sont encore disponibles au Canada et au Québec en 2021. Il suffit de songer au rôle joué par M&P Farm Equipment Limited de Almonte, Ontario, pas très loin d’Ottawa, Ontario. Cette firme vend des tracteurs Lamborghini et Deutz-Fahr depuis 1996 et 2002. Cela étant dit (tapé ?), le siège social de la filiale nord-américaine du groupe SDF, Same Deutz-Fahr North America Incorporated, se trouve près de Atlanta, Géorgie.
Arrivederci, mio amico di lettura. Abbi cura di te perché l’estate del 2021 potrebbe essere schifoso.