Désherbez-les et récoltez : Leavens Brothers Air Services Limited et les premiers jours de l’aviation agricole en Ontario / au Canada après la Seconde Guerre mondiale
Êtes-vous végétarien(ne), ami(e) lectrice ou lecteur, ou végétalien(ne)? Omnivore, peut-être? Ou frugivore, lacto-végétarien(ne), ovo-végétarien(ne), lacto-ovo-végétarien(ne)? Peu importe.
Pendant des milliers d’années, les peuples de notre planète sphérique, si, si sphérique, ont dépendu des cultures qu’ils faisaient pousser pour leur survie. L’agriculture, comme vous le savez sans doute, est apparue il y a environ 12 000 ans dans une région de la Terre connue sous le nom de Croissant fertile, une région en forme de croissant ancrée sur le Nil, dans l’Égypte moderne à une extrémité, et sur le Tigre et l’Euphrate, 2 rivières de l’Irak moderne, à l’autre.
Pendant tout ce temps, cependant, les humains ont dû combattre une multitude d’ennemis naturels afin de protéger ces vivres vitaux. Ces ennemis étaient principalement de 3 types: les insectes et leurs proches, les mauvaises herbes et les maladies.
Ces agressions ne se limitent pas à un passé lointain. Il y a une infestation majeure de sauterelles en Alberta et en Saskatchewan aussi récemment que dans les années 1930, lorsque ces insectes pullulent en nombres incalculables, mangeant toutes les cultures qui ne sont pas détruites par la sécheresse qui frappe ces provinces canadiennes au cours de cette décennie. La seule arme disponible contre ces insectes voraces consiste en appâts empoisonnés répandus au sol et elle ne s’avère que modérément efficace. Les agriculteurs et entomologistes savent que Mère Nature est toujours leur meilleure alliée dans la lutte antiparasitaire, et que les prédateurs naturels, les parasites et le mauvais temps sont les meilleurs tueurs d’insectes comme les sauterelles.
Aujourd’hui encore, en 2020, en Amérique du Nord, une des régions les plus riches du monde, les insectes et leurs proches, les mauvaises herbes et les maladies posent toujours un problème redoutable. Cela étant dit (tapé?), une arme redoutable bien que controversés existe maintenant pour combattre ces ennemis, à savoir l’aviation agricole.
Une définition de ce que l’on entend par aviation agricole ou, comme on l’appelle également, l’application aérienne, l’agro-aéronautique ou le vol agricole, serait utile avant d’aller plus loin. Même si elle couvre un large éventail d’activités, de l’épandage de graines ou de produits chimiques toxiques sur les champs au vol à travers les plantations d’agrumes pour agiter l’air lorsqu’un temps glacial menace, les principaux objectifs de l’aviation agricole consistent à lutter contre les ravageurs et / ou à nourrir les cultures alimentaires et commerciales. Cela peut être fait soit en poudrant des poudres fines ou en pulvérisant de minuscules gouttelettes.
L’épandage en couverture, l’épandage d’engrais sur de grandes surfaces pour aider à nourrir les bovins et ovins, peut ou non relever de la compétence de l’aviation agricole. De nombreux auteurs le considèrent plus proche de l’élevage que de l’agriculture. Il s’ensuit que la protection des forêts, par le biais de l’aviation forestière, dépasse également le domaine de l’aviation agricole. Contrairement à l’aviation agricole, l’aviation forestière est principalement axée sur la crise plutôt que sur une base prévisible et récurrente.
Même si l’idée d’utiliser une machine volante pour appliquer des produits chimiques toxiques pour lutter contre les ravageurs de divers types est antérieure à la Première Guerre mondiale, l’aviation agricole émerge en fait après le conflit, aux États-Unis. La première démonstration bien documentée a lieu en août 1921. Une invasion de chenilles mangeuses de feuilles dévaste alors des arbres à Troy, près de Dayton, Ohio. Le United States Army Air Service (USAAS) fournit un unique avion d’entraînement Curtiss JN-6 avec des modifications minimes à sa cellule. Malgré cet équipement plutôt primitif, les résultats de cette expérience de poudrage sont jugés satisfaisants.
Le JN-6 est, bien sûr, étroitement lié au Curtiss JN-4 Canuck, un avion trouvé dans la monumentale, nenni, la phénoménale collection du Musée de l’aviation et de l’espace du Canada, à Ottawa, Ontario.
Le succès d’un essai de poudrage des cultures organisé en Louisiane à l’été 1922 par une station de recherche sur le coton du United States Department of Agriculture, avec l’aide de 2 JN-6 fournis par le USAAS, aide à convaincre les sceptiques que l’application aérienne entraînerait des économies substantielles d’argent, de temps et de travail.
La première entreprise d’application aérienne au monde, Huff Daland Dusters Incorporated, une filiale de l’avionneur américain Huff, Daland & Company et l’ancêtre de l’actuelle Delta Air Lines Incorporated, est créée en mars 1925, marquant le début d’une nouvelle industrie.
Au Canada, le ministère de l’Agriculture fédéral est le moteur de l’utilisation précoce de l’application aérienne. Bien qu’elle hésite à consacrer une partie de son budget d’acquisition limité (Hello, EG!) à des aéronefs non militaires, l’Aviation royale du Canada (ARC) achète une paire de biplans monomoteurs Huff Daland Duster, un type également connu sous le nom de Keystone Puffer, en mars 1927. Et oui, cette force aérienne est alors connue sous le nom de Corps d’aviation royal canadien.
Entre 1927 et 1931, lorsqu’elle entrepose la machine survivante, l’ARC utilise les Duster / Puffer pour une série d’essais de poudrage de champs de blé et de forêts. Le premier a lieu dans le sud du Manitoba. Bien qu’extrêmement instructif du point de vue du ministère de l’Agriculture, le programme de poudrage ne réussit que modestement à lutter contre les ravageurs.
Même si quelques personnes organisent d’autres expériences en Alberta, y compris la dispersion d’appâts empoisonnés pour lutter contre les sauterelles, les nombreuses difficultés causées par la Grande Dépression des années 1930 rendent très difficile l’établissement de sociétés d’application aérienne commerciales au Canada.
Au début de septembre 1939, la Seconde Guerre mondiale commence, ce qui signifie l’arrêt des recherches jusqu’à la fin du conflit.
L’après-guerre de l’aviation agricole au Canada commence en mai 1945. Une infestation de pucerons du pois frappe certaines fermes situées près de Essex, près de Windsor, Ontario. Face à la nécessité d’une action rapide, des agriculteurs contactent Leavens Brothers Air Services Limited, une société d’aviation générale bien connue et respectée fondée en 1927 par les frères Clarence Roswell « Clare » Leavens, David Arthur « Art » Leavens et Walter Thomas « Walt » Leavens. Intriguée par la demande, la firme torontoise équipe une de ses machines, son unique avion léger / privé Piper J-5 Cub Cruiser, d’une trémie en alliage d’aluminium en forme d’entonnoir d’origine inconnue (conçue en interne? achetée?). Installée derrière le siège du pilote, cette trémie peut contenir jusqu’à 135 kilogrammes (300 livres) de poudre toxique.
Un agitateur rotatif est utilisé pour s’assurer que cette poudre ne se déposerait pas au fond de la trémie. Pour faire fonctionner cet agitateur, une roue à 4 coupes est montée à l’extérieur du fuselage de l’avion, du côté bâbord / gauche. Un entraînement par chaîne, d’aspect assez similaire à celui d’une bicyclette ordinaire, relie la roue à l’agitateur. Il y a une valve au fond de la trémie qui régule le débit de la poudre toxique. Une petite plaque montée sous le fuselage de l’avion, sous la valve, formé un venturi primitif qui sépare la poudre et forme le nuage nécessaire pour tuer les insectes.
Le poudrage des cultures nécessite des techniques de vol spéciales puisque l’avion passe la plupart de son temps à seulement 1.5 ou 2 mètres (5 ou 6 pieds) au-dessus du sol. Les conditions météorologiques doivent être parfaites pour faire le travail correctement et réduire les risques d’accidents causés par les turbulences. Le Cub Cruiser vole souvent pendant l’heure après l’aube, par exemple. Il n’y a pratiquement pas de vent et la rosée, toujours présente sur les cultures, aide à garder la poudre sur les 2 faces des feuilles des plantes.
Des représentants de Canadian Industries Limited, qui fournit l’insecticide, ainsi que le directeur du Dominion Entomological Laboratory, à Chatham, Ontario, le Dr George M. Stirrett, sont sur place pour regarder les essais, qui commencent en mai et peuvent se poursuivre jusqu’en juillet. Dans l’ensemble, les résultats de ce programme expérimental sont assez satisfaisants. De fait, ils convainquent la direction de Leavens Brothers Air Services que l’application aérienne a un avenir au Canada.
Malgré le nombre d’obstacles et la petite taille du champ moyen dans le sud de l’Ontario, Leavens Brothers Air Services ne considère pas qu’un tout nouveau type de machine volante, l’hélicoptère, est la voie à suivre. Un avion léger / privé convenablement modifié comme son Cub Cruiser, par contre, peut devenir un outil assez important, si les résultats et les coûts sont compétitifs par rapport à ceux des machines terrestres. Confiante que cela peut être réalisé, la firme dispose de 2 avions légers / privés prêts pour le vol au printemps 1946.
À l’époque, cependant, la plupart des agriculteurs du sud de l’Ontario demeurent sceptiques. Il faut trouver un moyen de les convaincre que les avions peuvent subvenir à leurs besoins rapidement, efficacement et sans endommager leurs cultures. Une occasion se présente au début d’août 1946, lorsqu’une paire de producteurs de tabac de la région de Komoka, près de London, Ontario, contacte Leavens Brothers Air Services. Leurs récoltes ont besoin d’être poudrées. Une équipe est envoyée. L’opération est un succès, malgré de nombreuses difficultés, et quelques contrats suivent rapidement. À la fin de 1946, 110 hectares (270 acres) de terres agricoles ont été traités. En 1952, par comparaison, la firme traite 30 000 hectares (75 000 acres) de terres agricoles.
Au milieu de 1952, Leavens Brothers Air Services crée la première école de pilotage agricole du Canada, à l’aéroport de Crumlin, l’actuel London International Airport, près de, et bien, London. Elle est placée sous la responsabilité du directeur de succursale local de la firme, George E. Walker. Une douzaine de pilotes composent la première classe. Le cours d’une semaine est intensif et difficile. Les élèves apprennent à travailler avec des produits chimiques toxiques et à les appliquer de manière sûre et uniforme. Les réglementations aéronautique et chimique, l’utilisation des champs et les pratiques commerciales de base font également partie du programme. Au final, la moitié des pilotes inscrits échouent. Les diplômés, certains d’entre eux embauchés par Leavens Brothers Air Services, jouent leur rôle pour réduire la pénurie de pilotes agricoles formés au Canada. L’intention est de réduire le nombre d’accidents en enseignant les méthodes appropriées d’application aérienne.
Malheureusement, votre humble serviteur n’est pas parvenu à savoir combien de temps l’école a existé. D’une certaine manière, j’ai l’impression qu’elle n’existe peut-être pas très longtemps.
Tout au long de cette période, Leavens Brothers Air Services améliore progressivement son équipement de poudrage. Par exemple, les nombreux coins et rebords dans les trémies des avions sont éliminés pour améliorer l’écoulement de la poudre toxique. Les venturis sont repensés et équipés de nervures, assurant ainsi une meilleure répartition. Un nouveau matériau remplace le bois dans les portes des trémies, qui fuyaient et causaient des problèmes par temps humide. De plus, la quantité de poudre toxique pénétrant dans le cockpit des avions est réduite de diverses manières.
Les méthodes d’application sont également améliorées. Par exemple, Leavens Brothers Air Services réalise que la quantité de matériau de remplissage peut être réduite. Ainsi, au lieu de 34 kilogrammes de poudre toxique et de matériau de remplissage par hectare (30 livres/acre), les avions peuvent utiliser seulement 22 kilogrammes par hectare (20 livres/acre) et être tout aussi efficaces. Cela réduit les coûts et augmente de 50% la surface que chaque avion peut couvrir avec une seule charge.
En 1948, Leavens Brothers Air Services mène des expériences de pulvérisation aérienne, apparemment avec un avion léger / privé Piper convenablement modifié. La firme espère que la baisse du prix des produits chimiques utilisés pour le mélange de pulvérisation entraînerait une réduction du coût global par rapport au poudrage. Toute eau utilisée pour diluer les dits produits chimiques serait également pour ainsi dire gratuite. Les premiers résultats sont encourageants, en particulier dans le cas de cultures comme le maïs, les oignons et le tabac. Leavens Brothers Air Services ajoute rapidement la pulvérisation à la liste des services qu’elle fournit régulièrement.
De même, la firme mène des essais avec certaines cultures à l’aide de poudres combinées offrant une protection contre les insectes et la maladie.
Chaque équipe de poudrage et / ou de pulvérisation se compose de 1 ou 2 pilotes et de 1 personne, d’accord, d’accord, 1 homme au sol. Ce dernier conduit un camion et chaque pilote pilote un avion. Les équipes élisent domicile dans la zone désignée, généralement sous une tente, dans un champ appartenant à un agriculteur local. Cette approche permet d’économiser beaucoup de temps de vol et de garantir que les heures sans vent tôt le matin et le soir sont pleinement utilisées. Pour gagner encore plus de temps, les pilotes et le personnel au sol développent des méthodes grâce auxquels ils peuvent charger un avion en 2 minutes à peine.
Les équipes, supervisées par un responsable du poudrage et / ou de la pulvérisation, volent normalement à l’intérieur d’un rayon de 16 kilomètres (10 milles) autour de leur terrain d’atterrissage. Compte tenu de l’importance des bonnes conditions météorologiques pour ce type d’opérations, les équipes peuvent travailler 7 jours sur 7 de l’aube au crépuscule. Une autre incitation au travail acharné est liée au fait que tous les membres de l’équipe sont payés à la commission. Cela assure que tout le monde travaille dur pour promouvoir l’entreprise et obtenir de nouveaux contrats.
À l’été 1953, Leavens Brothers Air Services poudre et / ou pulvérise diverses cultures : carottes, céleri, choux, concombres, haricots, maïs, melons, oignons, pois et tomates, sans parler du tabac et du trèfle. Tant les insectes que les maladies des plantes sont contrôlé(e)s par les airs. À un moment donné au cours des années 1950, la flotte agricole de la firme comprend 7 avions légers / privés de type Piper.
Pour faciliter la cueillette, Leavens Brothers Air Services pulvérise des plants de tomates, de pommes de terre et de haricots avec du défoliant. De plus, la firme mène des expériences pour lutter contre les carences du sol en utilisant des engrais liquides. Elle participe également à la lutte contre les moustiques, ainsi qu’à la lutte contre la chenille forestière et la tordeuse des bourgeons de l’épinette, et ce tant en Ontario qu’au Québec.
Au fil du temps, Leavens Brothers Air Services / Leavens Brothers Limited, une raison sociale adoptée au plus tard en 1956, prospère. Pour une raison ou une autre, elle abandonne toutefois l’application aérienne en 1958. Un autre opérateur local demande et obtient la licence d’exploitation que la firme cède.
Basée à Mississauga, Ontario, au cours des récentes années, Leavens Aviation Limited distribue des pièces d’aéronefs, révise des moteurs et fournit des accessoires. Elle fait également de la fabrication et de la sous-traitance. Leavens Aviation met malheureusement fin à ses activités en 2011. C’est la fin d’une époque.
Portez-vous bien, ami(e) lectrice ou lecteur, et évitez les ennuis. Je vous connais.