Si nous avons vu plus loin, c’est en montant sur les épaules d’un géant : Frank Henry Ellis et Canada’s Flying Heritage
Bonjour et… Et oui, ami(e) lectrice ou lecteur un peu anale, vous avez bien raison. Le 28 juillet 1951 est un samedi, pas un dimanche, mais qu’est-ce que votre humble serviteur peut vous dire? Sunday Sun Magazine, un supplément du Sunday Sun, l’édition du week-end du quotidien The Vancouver Sun de Vancouver, Colombie-Britannique, est apparemment publié un samedi – du moins à cette occasion. Allez comprendre.
Encore une fois, bonjour et bienvenue dans le monde merveilleux de l’aéronautique et de l’astronautique et, plus précisément, le 200ème (!) sujet exploré dans notre blogue / bulletin / machin. J’ai le plaisir illimité d’attirer votre attention, votre attention entière bien sûr, sur un homme qui est selon toute vraisemblance le premier historien de l’aviation au Canada, un amateur comme l’étaient / le sont / le seront probablement la plupart des autres historiennes et historiens de l’aviation canadienne, c’est vrai, mais encore une figure importante dans la préservation du patrimoine aéronautique du Canada.
Frank Henry Ellis naît à Nottingham, Angleterre, en octobre 1893. Il vient au Canada ou, pour être plus précis, à Calgary, Alberta, en 1912, avec le reste de sa famille. À l’époque, Ellis travaille peut-être comme mécanicien.
Comme beaucoup de jeunes Homo sapiens de sa génération, Ellis est fasciné par ces merveilleux fous volants dans leur drôles de machines qui s’en vont tout là-haut – pour paraphraser une ligne de la chanson titre de Ces merveilleux fous volants et leurs drôles de machines, ou, Comment j’ai volé de Londres à Paris en 25 heures et 11 minutes, une excellente comédie britannique, filmée par un studio américain, qui montre les mésaventures d’aviateurs de quelques pays qui tentent de gagner une course aérienne fictive entre Londres, Royaume-Uni, et Paris, France, en 1910.
À Calgary, au cours de l’hiver 1913-14, Ellis et un autre passionné d’aviation, Thomas G. « Tom » Blakely, construisent un aéroplane de conception similaire aux biplans fabriqués par Curtiss Aeroplane Company, un des constructeurs d’aéroplanes les plus prospères des États Unis.
Ils le font à l’aide de composants, dont un moteur, acquis par ce dernier. Les dits composants proviennent d’un aéroplane de type Curtiss par ailleurs inconnu, fabriqué à Calgary par un mécanicien inconnu, qui peut, je répète peut, avoir heurté un wagon lors de son premier essai. Ayant conclu qu’il ne peut pas remonter l’aéroplane par lui-même, Blakely fait de la publicité pour trouver un partenaire. Ellis répond. Un partenariat se forme.
Blakely effectue un essai sur le biplan Blakely-Ellis / Ellis-Blakely, peut-être connu sous le nom de West Wind, son premier vol en fait, le 25 juin 1914. Ce vol est le premier effectué à Calgary par un aéroplane motorisé fabriqué au Canada. Ellis emboîte le pas le 2 juillet. L’aéroplane vole relativement bien mais le sol rocailleux fait que les crevaisons des pneus sont une gêne fréquente.
Pour répondre à la question que vous vous posez forcément, le tout premier vol d’un aéroplane motorisé à Calgary est réalisé en avril 1911, par Hugh Armstrong Robinson, un pilote américain et membre de l’équipe d’exposition mise en place par Curtiss Aeroplane.
Blakely et Ellis entreposent leur aéroplane à l’automne 1914. Ils le retirent à l’été (ou au printemps?) de 1915 mais déménagent à un autre endroit près de Calgary, où le sol est moins rocailleux. Le duo dynamique pilote apparemment l’aéroplane à plusieurs reprises. En septembre, toutefois, une tempête arrache le West Wind de ses amarres. Blakely et Ellis retrouvent leur machine à environ 800 mètres (environ 0.5 mile) de sa position de départ. Endommagé de façon irréparable, il ne volera plus.
Vraisemblablement conscients que des écoles de pilotage britanniques exploitées par le Royal Flying Corps (RFC) de la British Army ou, plus précisément, par le RFC (Canada), ou Imperial RFC, sont actives dans le sud de l’Ontario, Blakely et Ellis s’enrôlent en 1917. À ce qu’on dirait, Ellis participe à la formation de pilotes dans une ou quelques-unes de ces écoles de pilotage.
Quoiqu’il en soit, Ellis envisage peut-être la possibilité de faire une sorte de carrière dans l’aviation après la fin de la Première Guerre mondiale. Au début de juillet 1919, il devient le premier Canadien ou, pour être plus précis, le premier sujet britannique, la citoyenneté canadienne n’existant pas en 1919, à effectuer un saut en parachute d’un aéroplane en sol canadien – plus précisément Crystal Beach, Fort Erie, Ontario. Incidemment, Ellis, qui porte un maillot de bain et un gilet de sauvetage de fortune fabriqué à partir de ce qui semble être des chambres à air de pneus d’automobile, atterrit dans le lac Érié – ou la rivière Niagara. Seriez-vous surpris(e) si je vous disais que ce saut en parachute est le premier que Ellis ait jamais fait? C’est peut-être aussi le dernier, et…
Qu’y a-t-il, ami(e) lectrice ou lecteur? Vous êtes intrigu(e)é par ma déclaration concernant l’absence de citoyenneté canadienne en 1919? Eh bien, c’est la triste vérité. La Loi sur la citoyenneté canadienne devient une chose en janvier 1947. Les homologues néo-zélandais, australien et britannique de cette loi acquièrent force de loi en 1948.
En octobre 1920, un acheteur de fourrures, Frank J. Stanley, demande à un des premiers exploitants aériens commerciaux de l’Ouest canadien, Canadian Aircraft Company de Winnipeg, Manitoba, de l’emmener par la voie des airs jusqu’à sa maison familiale à The Pas, Manitoba. La firme accepte. Hector Fraser Dougall piloterait l’aéroplane. Ellis serait son mécanicien pendant cette odyssée. La machine dans laquelle le trio vole est un des aéroplanes d’entraînement militaire Avro Type 504 civilianisés (3 places au lieu de 2) de Canadian Aircraft.
Croiriez-vous que le Musée de l’aviation et de l’espace du Canada, à Ottawa, Ontario, possède 2, je répète 2, Type 504 dans son époustouflante collection?
Ce vol Winnipeg-The Pas est le premier vol effectué dans le nord du Canada et le premier vol de brousse / commercial effectué dans cette région du pays. Il peut, je répète peut, être parrainé au moins en partie par la Great War Veterans’ Association of Canada Incorporated, la plus grande association d’anciens combattants de la Première Guerre mondiale au Canada.
Seriez-vous intéressé(e) à en apprendre davantage sur ce voyage? Non? Comment cela non?
Le jour 1 du voyage, le 15 octobre, Dougall vole vers le nord, en suivant la voie ferrée de Canadian Pacific Railway Company afin de ne pas se perdre. Une bougie défectueuse le force à effectuer un atterrissage imprévu à Gladstone, Manitoba, dans un champ labouré. Attirés par cette arrivée inattendue, un certain nombre de personnes se pointent pour regarder l’aéroplane. Une réparation rapide (faite par Ellis?) permet à Dougall, Ellis et Stanley de continuer leur route.
Et oui, Canadian Pacific Railway Company est mentionnée à quelques / plusieurs reprises dans notre blogue / bulletin / machin, et ce depuis avril 2018.
Un arrêt de ravitaillement prévu est effectué à Dauphin, Manitoba, où Dougall atterrit de nouveau dans un champ labouré. Cette fois-là, pas mal de personnes sont présentes. Dougall, Ellis et Stanley sont conduits en ville pour prendre des dispositions dans le but de faire le plein du Type 504 et prendre un bon mais rapide repas.
Alors que le temps devient nuageux et froid, Dougall se dirige vers Swan Rivers, Manitoba. Le temps étant assez maussade, il décide d’y passer la nuit. Le trio « terrifique » se rend en ville à pied et trouve des chambres dans un hôtel.
Le jour 2 du voyage, le 16 octobre, malgré des conditions froides et venteuses, avec nuages bas et bourrasques de neige, Dougall arrive à Hudson Bay Junction, Saskatchewan, comme prévu, et… Oui, oui, en Saskatchewan. Vous voyez, ce village est un des arrêts de la voie ferrée de Canadian Northern Railway Company que Dougall veut suivre jusqu’à The Pas afin de ne pas se perdre.
Votre humble serviteur peut-il continuer sans autre interruption? Merci. Au moment où Dougall arrive à Hudson Bay Junction, le Type 504 n’a plus beaucoup d’essence dans ses réservoirs. Réalisant qu’il ne serait pas prudent de continuer, Dougall commence à chercher un endroit où atterrir. Faisant le tour du village dans ce qui est maintenant une tempête de neige, il ne voit que des buissons, arbres et tourbières / marécages / moskeg. N’ayant guère le choix, Dougall choisit une zone dépourvue de buissons et arbres et fait son approche. Compte tenu du temps froid, le sol est relativement solide mais le Type 504 s’enfonce jusqu’à l’essieu des roues, s’arrêtant net en quelques secondes. Dougall, Ellis et Stanley ont de la chance de s’en sortir sans blessures graves.
La quasi-totalité de la cinquantaine d’habitantes et habitants de Hudson Bay Junction se précipitent sur les lieux. Peu d’entre elles et eux ont vu un aéroplane auparavant. Elles et ils acceptent volontiers de sortir le Type 504 de sa prison et de le déplacer vers un terrain légèrement plus élevé et plus sec. Ceci étant fait, les gens du village invitent leurs invités inattendus à une célébration sincère mais improvisée. Dougall, Ellis et Stanley passent la nuit à « l’hôtel » local.
Le jour 3 du voyage, le 17 octobre, le ciel est dégagé mais il y a pas mal de vent. Les travaux sur une piste de fortune, commencés la veille, se déroulent à un rythme soutenu.
Votre humble serviteur présume qu’une question cruciale a été réglée avant qu’une grande partie de ce travail n’ait lieu. Sinon, quel aurait été l’intérêt? Quelle est cette question cruciale, vous demandez-vous, ami(e) lectrice ou lecteur? La présence ou absence d’essence à Hudson Bay Junction, bien sûr. Dougall est d’abord informé qu’il n’y a pas d’essence à trouver, ce qui est très décourageant. Dans un geste audacieux de bonne volonté, cependant, le propriétaire sino-canadien du café et de la blanchisserie locales fait don de toute l’essence qu’il a mise de côté pour entretenir les lampes de sa maison. Le Type 504 décolle sans trop de difficultés, bien après le coucher du soleil, mais les ailes inférieures frôlent apparemment la pointe de quelques arbres au bout de la piste.
Une pensée potentiellement délicate si je peux me permettre. J’espère que le propriétaire du café et de la blanchisserie de Hudson Bay Junction fait volontairement don de toute son essence, sans qu’aucune pression ne soit exercée sur lui.
Quoiqu’il en soit, Dougall atteint The Pas sans trop de difficultés, en suivant la voie ferrée de Canadian Northern Railway. Il fait quelques fois le tour de la ville et atterrit sur un pâturage de vaches qui semble raisonnablement dépourvu d’obstacles. Le maire, Bernard Monroe « Barney » Stitt, et ses échevins sont tout à fait ravis, et peut-être un peu soulagés, de leur serrer la main. Des centaines de personnes applaudissent. Un banquet est organisé le soir même.
Un aîné de la Première Nation Néhinaw / Crie qui, comme à peu près tout le monde vivant à The Pas en 1920, n’a jamais vu d’aéroplane, suggère que le nom Thunderbird (oiseau tonnerre) serait des plus appropriés pour cette machine remarquable. Dougall est d’accord.
Lui, Ellis et Stanley ont parcouru une distance d’environ 625 kilomètres (environ 390 milles) à une vitesse moyenne d’environ 100 kilomètres/heure (environ 63 milles/heure) – une performance étonnante dans le nord du Canada de 1920 et une indication claire de l’utilité des aéronefs dans cette région du pays, mais je digresse.
Stanley rentre chez lui pour rejoindre sa famille, comme prévu, après avoir remis à Dougall la somme de, on dit (tape?), 500 $ – un montant équivalent à 7 300 $ en devise de 2021.
Soit dit en passant, un vol aller simple entre Winnipeg et The Pas coûte plus de 800 $ en 2021. Une personne peut réserver un vol aller-retour (!) entre Ottawa et Paris, ou Londres, pour une telle somme. On croit rêver. Est-ce moi ou est-ce que le système de transport aérien canadien n’a pas toutes ses frites dans le même sachet? Je vous demande ça comme ça, moi. Et de retour à The Pas, nous allons.
Dougall et Ellis prévoient rentrer à Winnipeg le plus rapidement possible, mais les conditions météorologiques ne font qu’une bouchée de leur plan. Réalisant que le Type 504 doit être en partie démonté et envoyé à Winnipeg par train, Dougall pense que ce serait peut-être une bonne idée d’offrir quelques balades aux braves gens de The Pas.
On ne sait pas si Dougall et Ellis finissent par passer l’hiver 1920-21 dans le nord du Manitoba. D’une certaine manière, votre humble serviteur en doute beaucoup.
Incapable de joindre les deux bouts dans l’aviation à Calgary, Ellis déménage en Colombie-Britannique vers 1921-22. Croiriez-vous que la jeune femme qu’il rencontre et épouse à West Vancouver, Colombie-Britannique, Elizabeth M. « Elsie » Ellis, est également née à Nottingham? Notre monde est petit, n’est-ce pas?
Ellis commence à conduire des autobus exploités par West Vancouver Municipal Transportation, aujourd’hui West Vancouver Municipal Transit, communément appelé Blue Bus, à West Vancouver, vers 1924-25. Il exerce cette profession jusqu’à sa retraite, à la fin de 1953, je pense. À cette époque, Ellis est le conducteur le plus ancien de la firme.
Et oui, ami(e) lectrice ou lecteur soucieuse de l’environnement, West Vancouver Municipal Transit est en effet un des plus anciens systèmes de transport en commun municipal exploité en continu en Amérique du Nord, mais revenons à notre histoire.
C’est apparemment entre 1925 et 1930 que Ellis s’intéresse à la collecte d’informations sur les débuts de l’aviation au Canada. Au fil des ans, il contacte autant de personnes qu’il le peut, par voie d’écriture (de dactylographie?)
Ellis commence peut-être à écrire (taper?) le manuscrit d’un livre, provisoirement intitulé Wings of Memory, dès 1935. Son épouse relit son matériel.
Des textes écrits par Ellis peuvent, je répète peuvent, commencer à apparaître dans diverses publications, y compris des journaux, sans parler du célèbre mensuel canadien de l’aviation Canadian Aviation, vers 1938. Au total, il écrit peut-être jusqu’à 100 ou plus de ces textes. Les dits textes suscitent beaucoup d’intérêt. Et oui, l’épouse de Ellis relit présumément aussi ce matériel avec compétence.
Après avoir lu un ou quelques articles, de nombreuses personnes impliquées dans divers aspects de l’aviation au Canada contactent Ellis. Les dossiers de recherche de ce dernier s’épaississent de mois en mois.
Avant que je n’oublie, en 1938, Ellis devient membre d’une organisation américaine fondée en 1928 qui regroupe des individu(e)s, des individu(e)s du monde entier en fait, qui ont piloté un aéroplane, ballon, dirigeable ou planeur avant le 17 décembre 1916. Il a entendu parler de Early Birds of Aviation Incorporated en 1936, mais trouver leur adresse s’avère plus compliqué qu’il ne l’a pensé à l’origine. Et oui, ami(e) lectrice ou lecteur observatrice / observateur, Early Birds of Aviation est bien mentionnée dans la légende de la photographie au début de ce numéro de notre blogue / bulletin / machin.
Au plus tard en 1939, Ellis commence également à fabriquer des modèles d’aéroplanes pionniers canadiens ou étrangers pilotés au Canada avant le début de la Première Guerre mondiale. De fait, il en a 6 à la fin de cette année-là. Deux d’entre eux sont des modèles de machines fabriquées par la Aerial Experiment Association (AEA), une organisation canado-américaine mentionnée dans plusieurs numéros de notre blogue / bulletin / machin depuis octobre 2018, à savoir le Aerodrome No. 1 Red Wing et le Aerodrome No. 4 Silver Dart – une célèbre machine qui ne nécessite aucune introduction, et…
D’accord, d’accord. Déposez les torches enflammées et les fourches. Le Silver Dart est mentionnée à plusieurs reprises dans notre vous savez quoi, et ce depuis octobre 2018. Simonac…
Et oui, Ellis fabrique une maquette du biplan Blakely-Ellis / Ellis-Blakely. L’autre trio d’aéroplanes reproduit par Ellis joue également des rôles plus ou moins mineurs dans l’histoire de l’aviation au Canada :
- le biplan Curtiss conçu et fabriqué aux États-Unis piloté par William M. « Bill / Billy » Stark de Vancouver;
- le biplan Straith conçu et fabriqué au Canada, fabriqué et piloté par William Percy Alexander « Bill » Straith, le premier aéroplane motorisé fabriqué et piloté au Manitoba; et
- le biplan Templeton-McMullen conçu et fabriqué au Canada, fabriqué et / ou piloté par William « Bill » Templeton, Winston Templeton et William McMullen, le premier aéroplane motorisé fabriqué et piloté en Colombie-Britannique.
Il semble que Ellis présente ces modèles à la ville de Vancouver en février 1940. Les papas de la ville sont tellement impressionnés que ces modèles sont placés dans une vitrine en verre dans la salle d’attente du bâtiment administratif. Les modèles sont ensuite transférés à l’aéroport de Sea Island, près de Vancouver, où ils restent environ 8 ans. Ils sont transférés aux archives de Vancouver, je pense, en 1949.
Au plus tard à la fin de 1959, Ellis aurait assemblé 18 modèles, je pense, de différents aéroplanes pionniers canadiens ou étrangers qui volent au Canada un peu avant (et / ou un peu après?) le début de la Première Guerre mondiale. Certains, sinon plusieurs modèles, ceux d’après 1939 peut-être, sont fabriqués, selon certains, pour une célèbre avionnerie, Canadair Limited de Cartierville, Québec, qui prévoit les exposer dans son usine. Et oui, Canadair est mentionnée à plusieurs reprises dans notre vous savez quoi depuis février 2018.
Il est également dit qu’une douzaine de modèles sont exposés à divers endroits par l’Aviation royale du Canada, vraisemblablement dans le cadre des célébrations entourant le 50ème anniversaire du premier vol du susmentionné Silver Dart en sol canadien, le 23 février 1909.
C’est avec grand plaisir que je peux confirmer que 12 des modèles fabriqués par Ellis se trouvent maintenant dans la collection électrisante, oserais-je dire (taper?) galvanique, du Musée de l’aviation et de l’espace du Canada.
Fait intéressant, ou non, à vous de choisir, comme d’habitude, les vitrines d’origine de ces 12 modèles ont des pieds, ce qui veut dire qu’elles peuvent aussi servir de tables basses / tables à café, mais je digresse.
Au plus tard en 1951, les informations et photographies recueillies par Ellis se sont transformées en un manuscrit de 275 000 mots avec environ 500 photographies sur l’histoire de l’aviation au Canada jusqu’au début de la Seconde Guerre mondiale, en septembre 1939. En d’autres termes, un texte d’environ 920 pages sans compter les photographies. En d’autres autres termes, un texte potentiellement 2 ou 3 ou 4 fois trop gros pour être publié – à moins qu’il ne soit publié en collection de 2 ou 3 ou 4 volumes, une proposition risquée pour tout éditeur, surtout lorsqu’il s’agit d’un sujet qui n’a pas vraiment le potentiel de produire un succès de librairie.
Et oui, au plus tard en 1951, Ellis a confié son précieux manuscrit dactylographié à un éditeur de Toronto, Ontario. Il avait contacté quelques / plusieurs éditeurs avant cela et n’avait reçu que des lettres de refus polies.
Et pourtant, Ellis envisage la possibilité d’écrire un second volume qui couvrirait l’histoire de l’aviation au Canada après le début de la Seconde Guerre mondiale.
Sa chance a tourné lorsque Marsh Jeanneret, directeur de University of Toronto Press Limited, appelle Thomas Richardson « Tommy » Loudon pour voir si cet ancien directeur du Department of Civil and Aeronautical Engineering de la University of Toronto peut se pencher sur la grande boîte en carton bourrée de matériel envoyée par Ellis. Loudon accepte. Il lui faut une semaine pour tout éplucher. Une semaine intéressante. Depuis longtemps, Loudon est d’avis que quelqu’un devrait publier une histoire de l’aviation au Canada faisant autorité. Ellis a fait exactement cela, pour la période allant jusqu’en 1939.
Après avoir entendu le rapport enthousiaste de Loudon, Jeanneret indique à Ellis que University of Toronto Press publierait son livre.
Il y a cependant un hic. Un gros. Un livre abondamment illustré comme celui envisagé par Jeanneret et University of Toronto Press, pour raconter correctement l’histoire, pourrait coûter environ 50 $ – environ 500 $ en devise de 2021. Un tel coût écraseur de portefeuille limiterait sérieusement le nombre d’exemplaires vendus. A ce prix, le livre de Ellis serait même hors de portée de nombreuses bibliothèques publiques et universitaires.
Dans un geste audacieux de bonne volonté, Imperial Oil Limited de Toronto, une importante société pétrolière dont les travaux d’exploration ont souvent impliqué l’utilisation d’aéronefs, accepte de prendre en charge les frais de publication du livre de Ellis. Thomas Mayne « Pat » Reid, cadre de cette entreprise et ancien pilote de brousse bien connu, joue un rôle crucial pour convaincre ses collègues de s’impliquer. De fait, il apporte peut-être sa propre contribution financière.
Avant ou après que Imperial Oil ait indiqué qu’elle aiderait, University of Toronto Press décide d’absorber une partie des dépenses liées au livre.
Il est à noter que cette maison d’édition met en place un comité de rédaction pour couper, éditer, réviser et vérifier le manuscrit. Dirigé par Loudon, ce groupe comprend des sommités canadiennes telles que Reid, l’ancien pilote de brousse Clennell Haggerston « Punch » Dickins ainsi que le directeur à la retraite du service aérien au ministère des Transports, John Armistead Wilson.
Malheureusement, Reid ne voit peut-être pas le produit fini. Il meurt en avril 1954, à l’âge de 59 ans. À son tour, Wilson décède en octobre 1954, environ un mois avant que le livre de Ellis ne soit mis en vente. Il a 74 ans.
Saviez-vous que Loudon est apparemment un camarade de classe des 2 membres canadiens de la susmentionnée AEA, John Alexander Douglas McCurdy et Frederick Walker « Casey » Baldwin? Ces gentilshommes sont respectivement mentionnés à plusieurs reprises depuis septembre 2017 et quelques fois depuis octobre 2018, dans notre blogue / bulletin / machin.
Et c’est ainsi que, en novembre 1954, des librairies de tout le Canada mettent des exemplaires de Canada’s Flying Heritage sur leurs étagères. À environ 390 pages, cet ouvrage pionnier pour l’histoire de l’aviation canadienne, le premier livre de son genre au Canada, peut, je répète peut, contenir à peine plus du tiers des informations recueillies par Ellis. Le livre contient aussi environ 400 illustrations, dont certaines / plusieurs sont un peu petites. Malheureusement, il ne contient pas grand-chose sur les pionniers francophones de l’aviation au Canada – une carence qui ne passe pas inaperçue au fil du temps.
À 7.95 $, soit plus de 75 $ en devise de 2021, Canada’s Flying Heritage n’est toujours pas bon marché mais son achat ne provoque pas autant d’irritation conjugale dans les ménages canadiens que l’acquisition d’un livre à 50 $. De toute manière, il vaut chaque sous.
Canada’s Flying Heritage couvre en détail la période entre les expériences de ballons faites à Montréal, Québec, en 1879, qui ne sont pas les premières en sol canadien comme Ellis le croit apparemment, et le début de la Seconde Guerre mondiale, en septembre. 1939.
La réaction des critiques et des passionnés d’aviation à travers le pays est très positive et, dans certains cas, presque extatique.
Si je peux me permettre une digression, en août 1840, un aéronaute franco-américain né en Guadeloupe, la plus grande île des Antilles françaises, Louis Anselm « Lewis » Lauriat, né, peut-être, Louis Anselme Lauriat, avec un E, prend l’air à Saint John, New Brunswick. Lauriat compte alors parmi les aéronautes les plus connus dans le nord-est des États-Unis. Son ballon, The Star of the East, se pose à un peu de moins de 35 kilomètres (un peu plus de 20 milles) de la ville. Il s’agit là du premier vol piloté dans un territoire qui fera plus tard partie du Canada. Et oui, ce paragraphe se trouve, mot pour mot, dans un numéro de novembre 2020 de notre blogue / bulletin / machin. Que puis-je dire (taper?), je suis paresseux.
Dans l’espoir d’augmenter les ventes, certaines librairies exposent de multiples exemplaires de Canada’s Flying Heritage et quelques modèles réduits d’aéronefs dans leurs vitrines. D’autres librairies mettent des annonces dans les journaux. De fait, de nombreux journaux à travers le Canada publient des articles dithyrambiques sur le livre et son auteur.
Ayant lancé Canada’s Flying Heritage en novembre 1954, University of Toronto Press espère que ce livre deviendrait un cadeau de Noël populaire. Elle a peut-être raison.
Incidemment, Ellis remporte 1 des 2 James J. Strebig Memorial Award décernés en 1955 par la Aviation Writers Association, l’actuelle Aviation/Space Writers Association. Le prix en question est la plus haute distinction des États-Unis dans le domaine de la rédaction aéronautique.
Et oui, Ellis continue à écrire des articles après la publication de Canada’s Flying Heritage.
En 1959, Ryerson Press Limited de Whitby, Ontario, publie In Canadian Skies: 50 Years of Adventure and Progress. Le second livre de Ellis, une publication relativement mince d’environ 230 pages, est un aperçu de l’histoire de l’aviation au Canada entre le premier vol du susmentionné Silver Dart en sol canadien, en février 1909, et l’année 1959, au cours de laquelle le dit vol est commémoré. De fait, In Canadian Skies est appuyé par le National Coordinating Council for the Golden Anniversary of Flight in Canada. Il arrive apparemment sur les étalages au cours de l’été 1959.
En 1963, Ryerson Press publie également Atlantic Air Conquest: The Complete Story of All North Atlantic Flights and Attempts during the Pioneer Years from 1910 to 1940. Ellis et son épouse coécrivent ce livre sur les pionniers du vol transatlantique de quelque 220 pages.
Votre humble serviteur s’en voudrait de ne pas souligner que, comme John Alexander Macdonald, Adolphus Egerton Ryerson est un des architectes du tristement célèbre système de pensionnats indiens du Canada, un réseau obligatoire de pensionnats financé par le gouvernement fédéral mais géré par diverses églises chrétiennes, dont surtout l’église catholique, apostolique et romaine. Environ 150 000 enfants des Premières Nations, de la nation métis et du peuple inuit fréquentent les pensionnats, contre leur gré, au cours des 19ème et 20ème siècles.
On savait qu’au moins 3 200 de ces enfants avaient péri alors qu’elles et ils étaient sous la « garde » des dites églises. Compte tenu des plus de 1 300 tombes anonymes découvertes en mai, juin et juillet 2021 près de 4 (!) des quelque 140 pensionnats indiens, ce nombre tragique de 3 200 est sans aucun doute une sous-estimation grotesque du nombre total de victimes de l’acte de génocide culturel, une expression utilisée par la Commission de vérité et réconciliation du Canada de 2008-15, qu’est le système de pensionnats indiens du Canada. Fiat justitia ruat cælum.
Je m’excuse d’insérer une note aussi sombre dans ces pages, mais certaines choses doivent être mises en avant, encore et encore. Le racisme systémique n'est pas un mythe concocté par des militantes et militants que l’on dénonce pour plaire à une base politique. Pour des millions de personnes qui y vivent, le Canada n’est pas toujours « le plus meilleur pays du monde, » pour citer, hors contexte, le commentaire (apocryphe?) maladroit mais sans aucun doute sincère du premier ministre de l’époque, Joseph Jacques Jean Chrétien, au début des années 1990. Fin de la déclaration.
Frank Henry Ellis décède en juillet 1979, à l’âge de 85 ans.
Les historiens canadiens de l’aviation de tous bords lui devaient, lui doivent et continueront de lui devoir beaucoup.