Du « gros Viscount » au Merchantman : Le voyage abrégé du Vickers Vanguard
Si votre humble serviteur peut être autorisé à se lancer dans la mêlée sans même un bonjour, le grand comique américain Rodney Dangerfield, pour utiliser le nom de scène de Jack Roy, né Jacob Rodney Cohen, avait l’habitude de dire qu’il ne recevait aucun respect. Il serait peut-être exagéré de dire (taper?) que le sujet de l’article d’aujourd’hui ne recevait aucun respect, mais je dirai qu’il méritait plus de succès qu’il n’en a obtenu.
Le sujet de l’article d’aujourd’hui, comme vous l’avez peut-être deviné, j’espère, est l’avion de ligne court et moyen-courriers Vickers Vanguard.
En 1953, Vickers-Armstrongs (Aircraft) Limited, la division aéronautique du géant britannique de l’industrie / défense Vickers-Armstrongs Limited, commence à examiner la possibilité de développer un successeur de plus grande taille de son avion de ligne court et moyen-courriers Viscount, le premier avion de ligne turbopropulsé à entrer en service comme vous le savez bien, en avril 1953 – et un aéronef trouvé dans la collection époustouflante du Musée de l’aviation et de l’espace du Canada, à Ottawa, Ontario.
Les discussions se centrent naturellement sur les besoins du premier opérateur du Viscount, et un important à cela, la société d’état British European Airways Corporation (BEA). Cela étant dit (tapé?), il devient vite évident qu’un autre transporteur aérien appartenant à un gouvernement, les Lignes aériennes Trans-Canada, peut également être intéressé à acquérir le nouvel avion de ligne. La présence de ce duo dynamique permet à Vickers-Armstrongs (Aircraft) de lancer le projet en tant qu’initiative privée.
Remarquez, la manifestation d’intérêt des Lignes aériennes Trans-Canada ne signifie pas qu’elle s’intéresse uniquement à l’aéronef que Vickers-Armstrongs (Aircraft) propose. Nenni. La compagnie aérienne est également intéressée par un avion de ligne court et moyen-courriers en cours de développement aux États-Unis, le Lockheed L-188 Electra, un peu plus petit, qui vole en décembre 1957.
En fin de compte, comme prévu, BEA commande 20 Vanguard, comme le nouvel avion de ligne est appelé, en juillet 1956. Bien que très satisfaite des faibles prix d’achat et coûts d’exploitation de l’aéronef britannique, les Lignes aériennes Trans-Canada indiquent que la charge utile qu’il peut transporter sur de longues distances n’est pas tout à fait suffisante. Désirant plaire, Vickers-Armstrongs (Aircraft) propose dûment une autre version du Vanguard. Les Lignes aériennes Trans-Canada aiment ce qu’elles voient et commandent 20 aéronefs en janvier 1957, un nombre qui passe plus tard à 23. À son tour, BEA aime ce qu’elle voit. Elle modifie donc sa propre commande, ce qui aboutit à la livraison de 6 Vanguard de type original et 14 aéronefs similaires à ceux commandés par les Lignes aériennes Trans-Canada.
Compte tenu de sa plus grande taille et de son poids plus élevé, le Vanguard a besoin de plus de chevaux galopants sous les capots de ses 4 moteurs que les superbes turbopropulseurs Rolls-Royce Dart du Viscount peuvent offrir. Rolls-Royce Limited, une firme britannique bien connue mentionnée dans quelques numéros de notre blog / bulletin / machin depuis avril 2018, propose un nouveau moteur, le tout aussi superbe Tyne, à l’équipe d’ingénierie de Vickers-Armstrongs (Aircraft). Le pep en extra fait du Vanguard un des avions de ligne turbopropulsé les plus rapides de l’histoire.
Croiriez-vous qu’un pilote volant à un peu plus de 3 000 mètres (10 000 pieds) aurait maintenu son altitude avec un moteur à la puissance de croisière maximale et les autres avec des hélices mises en drapeau (pas de poussée), pas au poids maximal bien sûr – et sans passagères ou passagers à bord? Mais nous prenons de l’avance sur nous-mêmes.
Le prototype du Vanguard vole en janvier 1959. Il ne transporte jamais de passagères et passagers payants.
Si BEA souhaite mettre en service ses nouveaux Vanguard en juillet 1960, pour la saison estivale, alors que le transport aérien est à son apogée, de légers problèmes avec le moteur Tyne rendent cela impossible. La compagnie aérienne commence donc à exploiter l’aéronef, sur une base ad hoc, pendant la période de pointe des voyages de Noël de 1960, en effectuant des vols entre Londres, Angleterre, et Paris, France. La nouvelle machine entre en service complet en mars 1961.
Curieusement, le Vanguard entre en service complet le mois précédent, au Canada. Et oui, il semble que les Lignes aériennes Trans-Canada espèrent également mettre ses nouveaux Vanguard en service à l’été 1960, alors que le transport aérien est à son apogée.
Quoi qu’il en soit, les nouvelles machines de la compagnie aérienne ne tardent pas à voler de Montréal, Québec, Ottawa et Toronto, Ontario, jusqu’à Vancouver, Colombie-Britannique, avec une ou quelques escales en cours de route. Remarquez, ils s’envolent également vers New York, Détroit et Chicago, dans les états de New York, Michigan et Illinois. De plus, les Vanguard volent de Halifax, Nouvelle-Écosse, à Boston, Massachusetts, ainsi que de Toronto à St John’s, Terre-Neuve. Pendant un certain temps, ils s’envolent également pour la Floride, les Caraïbes et les Bermudes.
Le Vanguard s’avère si économique que les Lignes aériennes Trans-Canada peuvent rapidement réduire leurs tarifs jusqu’à 35 % sur un certain nombre de routes, ce qui augmente considérablement les ventes de billets.
L’introduction du nouvel aéronef britannique conduit au retrait des derniers avions de ligne Canadair North Star des Lignes aériennes Trans-Canada, en avril 1961. Et oui, le fantabulastique Musée de l’aviation et de l’espace du Canada a dans sa collection un North Star, un aéronef mentionné à quelques reprises dans notre vous savez quoi depuis novembre 2017.
Voulez-vous une brève vidéo, ami(e) lectrice ou lecteur? N’en tapez pas plus. Vos désirs sont des ordres.
Vous voudrez peut-être noter que Vickers-Armstrongs (Aircraft) et 2 autres avionneries britanniques, Bristol Aeroplane Company et English Electric Aviation Limited, sont réunies en février 1960 pour former une société d’état, British Aircraft Corporation Limited (BAC). Le gouvernement dirigé par Maurice Harold Macmillan pense / espère que cette consolidation de l’industrie aéronautique britannique l’aidera à concurrencer l’industrie aéronautique américaine, beaucoup plus grande.
Et oui, BAC est mentionnée dans un numéro de juin 2019 de notre blog / bulletin / machin. Bristol Aeroplane, en revanche, est mentionnée dans des numéros de juin 2018, novembre 2018 et avril 2020 de cette même célèbre publication.
Votre humble serviteur voudrait dire (taper?) que la mise en service du Vanguard se déroule sans accroc. Hélas, ce n’est pas le cas. Comme tout aéronef de haute technologie, l’avion de ligne britannique a sa part de problèmes techniques mineurs. Un problème qui s’avère presque insoluble est le niveau assez élevé de vibrations et de bruit. À cet égard, les passagères et passagers préfèrent toujours le Viscount à son grand frère.
Tout en étant conscients des vibrations et du bruit, les équipages de cabine sont impressionnés par la grandeur des 2 cuisines du Vanguard.
Les pilotes aiment vraiment le Vanguard. Le poste de pilotage de l’aéronef est spacieux et offre une excellente visibilité. Le Vanguard est rapide, manœuvre bien et est construit comme le proverbial char d’assaut. Une partie de cette solidité est ajoutée à la suite d’une demande faite par les Lignes aériennes Trans-Canada. La dite solidité s’avère vitale en mai 1963 lorsqu’un Vanguard des Lignes aériennes Trans-Canada se heurte à des turbulences au-dessus des montagnes Rocheuses. Il chute jusqu’à 300 mètres (1 000 pieds) en quelques secondes, mais ne subit aucun dommage visible. Un passager meurt d’une crise cardiaque, toutefois, et 25 passagères et passagers non-attaché(e)s, sans parler des 3 agentes de bord, sont blessé(e)s. Les ingénieurs de la compagnie aérienne qui étudient cet événement pensent qu’un aéronef moins solide que le Vanguard aurait pu perdre ses ailes.
Tragiquement, un ensemble de circonstances similaires conduit à la disparition d’un aéronef des Lignes aériennes Trans-Canada en décembre 1956. L’épave n’est localisée qu’en mai 1957.
Les Vanguard de BEA occupent progressivement les routes principales fréquentées, tant au Royaume-Uni qu’en Europe continentale. Transportant près de 140 passagères et passagers en classe touriste, ces aéronefs s’avèrent solides, fiables et économiques. Mieux encore, sur des vols de 485 kilomètres (300 miles) ou moins, ces oiseaux rapides font sortir leurs passagères et passagers des aéroports aussi rapidement, et de manière pas mal plus économique, que les avions de ligne à réaction dernier cri qui deviennent de plus en plus présents dans les années 1960, des avions de ligne classiques comme les Sud-Aviation SE 210 Caravelle, Hawker Siddeley Trident, Boeing Modèle 727, British Aircraft BAC 111 et Douglas DC-9, une machine mentionnée dans des numéros de juin 2019 et mars 2020 de notre vous savez quoi et un trouvé dans l’étonnante collection du Musée de l’aviation et de l’espace du Canada. Le BAC 111, à son tour, est mentionné dans le même numéro de juin 2019 de notre vous savez quoi.
De fait, le Vanguard entre en service lorsque ces avions de ligne à réaction dernier cri entrent en service. Plus rapides, plus silencieux et moins affectés par les vibrations, les nouveaux avions de ligne font fureur. Personne ne voit la nécessité de commander des avions de ligne turbopropulsés. En conséquence, seuls 44 Vanguard sont construits, contre près de 450 Viscount. On peut se demander combien de balles de foin Vickers-Armstrongs perd dans cette entreprise.
On pourrait affirmer que les directions de Vickers-Armstrongs (Aircraft) et / ou Vickers-Armstrongs commettent une erreur de jugement en initiant le développement du Vanguard à une époque où des avions de ligne à réaction moyen et long-courriers Boeing Modèle 707 et Douglas DC-8 sont en cours de développement. En effet, ces 2 modèles classiques sont testés avant le Vanguard, respectivement en décembre 1957 et mai 1958.
Pis encore peut-être, l’aéronef britannique compte déjà un concurrent direct à réaction, le susmentionné Caravelle, un biréacteur français mentionné dans des numéros de juin 2019 et mars 2020 de notre vous savez quoi et le premier avion de ligne moyen-courrier opérationnel au monde. Croiriez-vous que le prototype du Caravelle effectue son premier vol en mai 1955 – et que cette élégante machine entre en service en avril 1959?
Et n’oublions pas le susmentionné Electra. Même si cette machine doit être sérieusement modifiée après un trio d’accidents mortels en 1959-60, elle trouve plus de clients que le Vanguard. Au total, 170 Electras prennent leur envol entre 1957 et 1961.
Remarquez, le Electra donne également naissance à un des aéronefs de patrouille maritime les plus réussis des 20e et 21e siècles, le Lockheed P-3 Orion, un aéronef utilisé au fil des ans par les forces armées de près de 20 pays, dont le Canada. Le CP-140 Aurora de l’Aviation royale canadienne est en effet une version du Orion. Au total, près de 760 Orion et dérivés du Orion prennent leur envol entre 1959 et 1990.
Tant le Orion que le Aurora sont mentionnés dans un numéro de décembre 2020 de notre blogue / bulletin / machin. Et oui, j’espère qu’un Aurora sera un jour ajouté à l’étonnante collection du Musée de l’aviation et de l’espace du Canada. (Bonjour, EG!)
Pour être honnête, Vickers-Armstrongs (Aircraft) pense que l’efficacité énergétique du Vanguard impressionnerait la direction de nombreuses compagnies aériennes. De plus, elle ne réalise pas, en fait, peu de gens le réalisent, à quel point le public voyageur tomberait sous le charme des nouveaux avions de ligne à réaction, forçant ainsi la main de dirigeants de compagnies aériennes pour qui le Vanguard a un sens lorsqu’il est utilisé sur les distances relativement courtes que plusieurs de leurs routes couvrent quotidiennement.
La cerise sur le proverbial gâteau est qu’après avoir dépensé beaucoup de pognon pour acquérir des avions de ligne moyen et long-courriers à réaction, de nombreuses compagnies aériennes ne peuvent pas se permettre d’acheter un nouvel avion court et moyen-courriers comme le Vanguard. Elles choisissent de s’accrocher à leurs anciens aéronefs à pistons jusqu’à ce que les susmentionnés Trident, Modèle 727, BAC 111 et DC-9 entrent en service. Ça, ou elles achètent des Viscount d’occasion.
Quoiqu’il en soit, consciente des sentiments du public à l’égard des avions de ligne à réaction mais convaincue que le Vanguard a encore beaucoup à offrir, Air Canada, comme les Lignes aériennes Trans-Canada deviennent en 1965, enlève les sièges d’un de ses aéronefs, en 1966, et le transforme an avion-cargo. Le Cargoliner, comme on l’appelle, s’avère très efficace. Même si la compagnie aérienne envisage apparemment la possibilité de convertir plusieurs / la plupart / la totalité de ses Vanguard en avions-cargo, aucun autre aéronef n’est converti – au Canada.
Vous voyez, ami(e) lectrice ou lecteur, et vous pensiez que je vous avais oublié(e), n’est-ce pas, vous voyez, dis-je, tout comme Air Canada, BEA sait que l’industrie du fret aérien connaît une croissance solide. La livraison d’avions de ligne courts et moyen-courriers britanniques comme le Trident et le BAC 111 lui permettent de convertir 9 de ses Vanguard en avions-cargo Merchantman à partir de 1969. Il est plus logique d’emprunter cette voie que d’essayer de vendre les Vanguard étant donnée une surabondance d’avions de ligne non réactés d’occasion sur le marché.
L’absorption de BEA dans un nouveau transporteur national britannique, British Airways Corporation, en mars / avril 1974, conduit à un changement dans la vie quotidienne des Vanguard transportant des passagères et passagers. Le dernier atterrit pour de bon en juin de cette année-là. Le dernier Merchantman, par contre, n’est mis à la retraite qu’en 1979.
Un Vickers Vanguard de Air Canada, Aéroport international de Toronto, janvier 1968. Wikipédia.
Au fil du temps, Air Canada et British Airways vendent progressivement leurs Vanguard. Les aéronefs de la première sont mis hors service entre 1969 et 1972, par exemple. De plus petits opérateurs basés en Suède, au Royaume-Uni, en Islande, en Indonésie, au Gabon et en France utilisent certains de ces aéronefs jusqu’à ce qu’ils se débarrassent eux-mêmes des survivants.
Le dernier vol commercial effectué par un Vanguard est effectué en septembre 1996 par un avion-cargo utilisé par Hunting Cargo Airlines Limited, une filiale du groupe britannique Hunting Public Limited Company.
Et c’est tout pour aujourd’hui. Aujourd’hui, ou demain, je lèverai mon verre à la mémoire du Vanguard, un superbe aéronef que le temps a oublié.