Une émission de télévision que j’aurais aimé voir dans ma jeunesse
Bien le bonjour, ami(e) lectrice ou lecteur. Avec votre permission, nous allons délaisser temporairement la remarquable bibliothèque du Musée de l’aviation et de l’espace du Canada, à Ottawa, Ontario, afin de consulter une publication qui, au premier abord, n’a rien à voir avec les champs d’activité de cette auguste institution. Un examen de l’hebdomadaire La semaine à Radio-Canada a permis à votre humble serviteur de mettre à jour une émission de télévision que j’aurais aimé voir dans ma jeunesse.
Destinée à un public adolescent, majoritairement masculin selon toute vraisemblance, Plein Ciel est une émission hebdomadaire qui entre en ondes pour la première fois le 26 septembre 1958, peu après le début de l’année scolaire 1958-59. On peut la trouver dans la grille horaire de la Société Radio-Canada, à 18 heures, entre Opération-mystère (17 heures 30 – durée : 30 minutes) et Nouvelles sportives (18 heures 25 – durée : 5 minutes). Le radio / télédiffuseur d’état présente le dernier épisode de Plein Ciel le 19 juin 1959, alors que l’année scolaire 1958-59 tire à sa fin. Si vous êtes sages comme des images, ami(e) lectrice ou lecteur, votre humble serviteur promet qu’il préparera un texte sur Opération-mystère, une émission hebdomadaire de science fiction, pour notre blogue / bulletin / machin, mais revenons à notre sujet pour cette semaine.
Je dois avouer ne pas avoir trouvé grand chose sur les origines de Plein Ciel. Un examen de l’hebdomadaire La semaine à Radio-Canada permet toutefois d’avoir une idée, bien incomplète malheureusement, du contenu de cette émission. L’épisode du 24 octobre 1958, par exemple, comprend des reportages sur la voltige aérienne et le dernier avion de chasse à réaction Canadair Sabre, livré à un pays membre de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN). Ce dernier détail offre à votre humble serviteur une occasion de pontifier qui ne saurait être ignorée.
Notre histoire commence en 1956, alors que l’OTAN vit des heures mémorables : la République fédérale allemande réarme, et ce une décennie à peine après la fin de la Seconde Guerre mondiale. Le Guerre froide fait en sorte que l’ennemi abominable devient un allié précieux. En septembre 1956, l’armée de l’air ouest-allemande, ou Luftwaffe, voit le jour. Ses principaux alliés au sein de l’alliance atlantique s’engagent à lui remettre tout ce dont elle a besoin. Le gouvernement canadien veut faire sa part. Compte tenu de l’entrée en service d’une nouvelle version du Sabre au sein des escadrons de l’Aviation royale du Canada (ARC), celle-ci peut fort bien fournir à la Luftwaffe de nombreux Sabre un peu plus anciens mais presque neufs, si personne ne s’y oppose. Ne l’oublions pas, Canadair Limited de Cartierville, Québec, une filiale de la société américaine General Dynamics Corporation, fabrique alors sous licence l’excellent North American F-86 Sabre.
Lors d’une réunion du Conseil de l’Atlantique nord, à Paris, en décembre 1955, le ministre de la Défense nationale du Canada, Ralph Osborne Campney, cherche à obtenir l’opinion de son vis-à-vis américain, le secrétaire à la Défense. Charles Erwin Wilson donne sa bénédiction au projet. Des négociations commencent, derrière des portes closes. Il s’agit en effet d’une question fort délicate. Qui donc peut oublier les horreurs des camps de concentration? Le transfert d’armes à l’Allemagne de l’ouest ne fait certes pas l’unanimité. Canadair en fait la triste expérience. L’avionneur québécois est fortement critiqué lorsqu’il se dit favorable au transfert d’aéronefs militaires à la Luftwaffe. Cet incident provoque en fait certains remous au ministère des Affaires extérieures. Malgré cette opposition, les autorités fédérales persévèrent. Après tout, l’OTAN souhaite plus que jamais le réarmement de l’Allemagne de l’ouest. À l’automne 1956, le gouvernement fédéral offre 75 Sabre à son allié. Une fois entrés en service, ces aéronefs servent à la formation des pilotes.
Le gouvernement fédéral espère par ailleurs décrocher quelques contrats supplémentaires. Le très influent ministre de la Production de défense, Clarence Decatur « C.D. » Howe, décide d’intervenir. Le personnel de son ministère multiplie les rencontres. Ils doivent toutefois faire face à un certain nombre de problèmes. En effet, le temps presse. La Luftwaffe tient à ce que ses escadrons de chasse entrent en service dans un avenir rapproché. Pour respecter cette échéance, le gouvernement ouest-allemand ne peut acheter un aéronef en cours de mise au point.
Tant à cet égard qu’au niveau des performances, la plus récente version du Canadair Sabre semble tout à fait satisfaisante. Espérant dorer la pilule, l’ARC s’engage à fournir l’entraînement nécessaire aux pilotes de la Luftwaffe. Un seul obstacle demeure : le financement. Le gouvernement ouest-allemand veut payer en marks et non en dollars, comme le souhaite son vis-à-vis canadien. Les deux parties finissent par mettre un peu d’eau dans leur vin. En décembre 1956, Canadair décroche le plus gros contrat d’exportation obtenu jusqu’alors par l’industrie aéronautique canadienne : 75 millions de dollars pour 225 Sabre. Et oui, ami(e) lectrice ou lecteur économe, une telle somme vous permettrait d’acheter à peine 1 ou 2 avions de chasse supersoniques neufs en 2018. N’est ce pas effarant?
En octobre 1958, des émissaires du gouvernement ouest-allemand prennent possession du dernier Sabre destiné à la Luftwaffe. Pour Canadair, l’instant est historique. Il s’agit en effet du dernier Sabre à quitter l’usine de Cartierville. Entre 1951 et 1958, l’avionneur québécois fabrique 1 815 aéronefs de ce type, dont 1 120 produits pour l’ARC, mais revenons maintenant au sujet principal de notre article.
Lors de l’émission du 7 novembre 1958, un certain Omer Deschênes de Québec, Québec, parle des Sabre utilisés pendant la guerre de Corée. La semaine à Radio-Canada ne fournit aucune information sur le contenu des émissions des 14 et 21 novembre. Le 28 novembre, les jeunes téléspectatrices et téléspectateurs peuvent voir des avions miniatures radiocommandés en pleine action. Un modéliste leur indique par ailleurs comment assembler de tels aéronefs.
Les 5 et 12 décembre, un certain capitaine Marcel Everard décrit en termes simples le fonctionnement de divers types de moteurs d’aéronefs (moteur à pistons, turboréacteur et turbopropulseur). Les 19 et 26 décembre, ce conseiller technique de l’émission participe à la proclamation du gagnant d’un grand concours. Votre humble serviteur n’a malheureusement trouvé aucune information sur Everard. Il s’agit peut-être d’un pilote qui vole pour l’ARC ou les Lignes aériennes Trans-Canada, aujourd’hui Air Canada.
Le 2 janvier 1959, Everard passe en revue les principaux événements aéronautiques de l’année précédente. La semaine suivante, il commente un film sur la voltige aérienne. La semaine à Radio-Canada ne fournit aucune information sur le contenu de l’émission des 9 et 16 janvier.
Avant même la fin du mois, le premier commandant du North American Air Defense Command, l’actuel North American Aerospace Defense Command, un commandement intégré annoncé par le Canada et les États-Unis en août 1957, annonce lui-même qu’il décerne des certificats d’appréciation à l’animateur de Plein Ciel, à Everard et à deux autres membres de l’équipe de production, Jean-Yves Bigras et Fernand Ippersiel, respectivement scénariste et réalisateur. Cet officier de la United States Air Force (USAF), le général Earl Everard « Pat » Partridge, désire souligner l’excellence du travail de l’équipe. Les dits certificats arrivent en avril 1959. Et oui, ami(e) lectrice ou lecteur aux yeux grands ouverts, le conseiller technique de Plein Ciel s’appelle Everard. Cela étant dit (tapé?), je doute que cette personne soit un parent de l’officier américain.
Everard, présent à toutes les semaines semble-t-il, et l’animateur de Plein Ciel abordent un sujet délicat lors de l’émission du 3 avril. Ils passent en revue l’histoire de l’intercepteur de bombardiers supersonique canadien Avro CF-105 Arrow, abandonné en février, de même que celle du missile antiaérien Boeing IM-99 Bomarc. Les deux hommes parlent encore du Bomarc lors de l’émission du 10 avril. Un voyage et un concours d’aéronef mystère retiennent également l’attention des jeunes téléspectatrices et téléspectateurs. Ce même concours est mentionné au cours de l’émission du 17 avril. Il partage alors l’antenne avec un examen de la théorie du vol et un survol des plus récents événements aéronautiques. L’émission du 24 avril, quant à elle, s’intéresse à un voyage et à un avion de transport militaire américain utilisée par l’ARC, le Fairchild C-119 Flying Boxcar. Et non, ami(e) lectrice ou lecteur avide de savoir, je ne prévois pas pontifier sur l’Arrow, le Bomarc ou le Flying Boxcar. Il n’y a que 52 semaines dans une année.
Pour une raison ou pour une autre, la grille horaire de La semaine à Radio-Canada ne contient aucune information sur le contenu de l’émission du 1er mai. Lors de l’émission suivante, Everard, et l’animateur de Plein Ciel présentent un court film sur l’histoire de l’hélicoptère. Il y a aussi des démonstrations de vol libre avec des modèles réduits. Les jeunes téléspectatrices et téléspectateurs peuvent voir un court film sur une visite d’une base de la USAF à Terre-Neuve, Harmon Air Force Base, lors de l’émission du 15 mai. Elles et ils reçoivent aussi des informations concernant les gagnants d’un concours d’aéronef mystère. La visite et le concours tiennent de nouveau l’affiche le 22 mai, avec en prime un exposé sur l’histoire de l’hélicoptère.
Une visite d’un musée de l’aviation, à Mountain View, Ontario, selon toute vraisemblance la collection d’aéronefs historiques de l’ARC, retient l’attention lors de l’émission du 29 mai. Cette émission inclut par ailleurs de brefs segments consacrés à un aéronef de cette collection, un Royal Aircraft Factory B.E.2, et aux gagnants d’un concours d’aéronef mystère. Soit dit en passant, ce B.E.2 fait aujourd’hui partie de la superbe collection du Musée de l’aviation et de l’espace du Canada. De fait, la grande majorité des aéronefs de la collection d’aéronefs historiques de l’ARC font maintenant partie de la collection du musée. Vous serez content(e), ou pas, ami(e) lectrice ou lecteur, de lire que votre humble serviteur songe à pondre un texte sur le B.E.2 du musée, dans un avenir relativement éloigné.
Les 5 et 12 juin, les jeunes téléspectatrices et téléspectateurs de Plein Ciel obtiennent des informations sur la survie en foret en cas d’atterrissage forcé. L’émission du 12 juin contient par ailleurs un reportage sur l’aide que l’aviation peut apporter aux malades des régions éloignées. Le 19 juin, Everard et l’animateur de Plein Ciel donnent les noms des gagnants d’un concours d’aéronef mystère. Ils présentent également un court film sur une journée de l’aviation et la prestation de l’équipe de voltige aérienne de l’ARC. Croiriez-vous qu’un des Canadair Sabre utilisé par cette équipe, les Golden Hawks, fait partie de la collection du susmentionné Musée de l’aviation et de l’espace du Canada?
Esprit brillant(e) que vous êtes, ami(e) lectrice ou lecteur, vous avez sûrement noté que Plein Ciel disparaît des ondes après le 16 janvier 1959 avant de réapparaître le 3 avril. Cette absence tire son origine d’un événement fort important, un point tournant de l’histoire du Québec contemporain oserais-je dire. Fin décembre 1958, environ 75 réalisateurs de Radio-Canada entrent en grève à Montréal, Québec, pour obtenir le droit de créer un syndicat affilié à la Confédération des travailleurs catholiques du Québec, l’actuelle Confédération des syndicats nationaux. Plus de 2 000 employées et employés de Radio-Canada les appuient en refusant de traverses les piquets de grève.
Le personnel du pendant anglophone de Radio-Canada, la Canadian Broadcasting Corporation, quant à lui, préfère ne pas se mêler au conflit, tout comme le gouvernement fédéral, chez qui les ministres francophones ne comptent pas parmi les plus importants. Ces choix surprennent et déçoivent quelque peu les réalisateurs et leurs nombreux alliés dans les communautés artistique et culturelle du Québec. Ces francophones réalisent à quel point la direction de Radio-Canada et leurs collègues anglophones ne les comprennent pas, et ne voient pas vraiment la nécessité de le faire. Cette prise de conscience affecte une des figures de proue du conflit, un journaliste bien connu au Québec pour son émission d’affaires publiques, Point de mire.
Arrêté sur une ligue de piquetage, au début de mars 1959, avec de nombreux grévistes, lorsqu’une manifestation tourne à la violence, René Lévesque prend peu à peu conscience de la position des francophones du Québec / Québécois francophones au sein d’un Canada dominé par une majorité anglophone. La grève prend fin quelques jours après cette manifestation, lorsque la direction de Radio-Canada accepte de reconnaître le syndicat des réalisateurs, qui n'est peut-être pas affilié à la Confédération des travailleurs catholiques du Québec.
Cette victoire contribue à l’éveil d’un nationalisme canadien-français, puis québécois, qui s’exprime de plus en plus clairement après l’arrivée au pouvoir de l’équipe du tonnerre dirigée par Jean Lesage, lors de l’élection générale de juin 1960 – un événement mentionné dans un numéro de juillet 2018 de notre blogue / bulletin / machin. La Révolution tranquille des années 1960 transforme le Québec en profondeur. Lévesque joue un rôle des plus importants au cours de ces années. La direction de Radio-Canada ayant rayé Point de mire de sa grille horaire au cours de l’été 1959, pour une raison ou pour une autre, il quitte le radio / télédiffuseur d’état en avril 1960. Lévesque devient membre de l’Assemblée législative, l’actuelle Assemblée nationale, puis ministre dans le gouvernement dirigé par Lesage. Il devient par la suite chef d’un parti politique ayant pour objectif de sortir le Québec du Canada. Mieux encore, ou pis encore, selon vos choix politiques, Lévesque devient premier ministre du Québec en novembre 1976, mais ceci est une autre histoire.
Qu’y a-t-il, ami(e) lectrice ou lecteur? Vous souhaitez connaître le nom de l’animateur de Plein Ciel? Votre humble serviteur craignait cette question et cette affirmation m’attriste vraiment beaucoup. À ma grande honte, je dois avouer ne pas avoir effectué une recherche aussi approfondie que j’aurais dû le faire sur cet individu. Pour faire bref, je suis récemment tombé sur des informations extrêmement troublantes sur cet individu et sa relation avec une proche parente décédée en juillet 2015. S’il est vrai que cet individu, décédé en janvier 2018, doit être considéré innocent jusqu'à preuve du contraire, il est tout aussi vrai que son accusateur, une compagne de la proche parente qui aurait été la victime de tout ceci, plusieurs années après la diffusion de Plein Ciel, devrait être traitée avec le plus grand respect. Gardant à l’esprit l’accusation extrêmement troublante faite récemment contre lui, je crois bon d’inclure dans cet article quelques informations biographiques sur l’animateur de Plein Ciel, Jacques Walter Languirand, dit Dandurand.
Animateur de radio et de télévision, comédien, dramaturge, écrivain, journaliste, metteur en scène, producteur, professeur et réalisateur, Languirand est un homme d’exception. La carrière de ce touche-à-tout autodidacte à la mémoire encyclopédique s’étend sur une période de près de 65 ans, de 1949 à 2014. On le connaît surtout en tant qu’animateur de radio. L’émission Par 4 chemins demeure en ondes à Radio-Canada de 1971 à 2014. Plusieurs personnes gardent également en mémoire sa participation à la cinquantaine d’épisodes de la série télévisée québécoise Le rebut global, diffusée de 2004 à 2007. Chaque saison de cette téléréalité documentaire touchant à des projets écologiques porte un titre différent : Les artisans du rebut global, Les citadins du rebut global, Les compagnons du rebut global et Les apprentis du rebut global.
Ces titres trouvent leur inspiration dans un des textes les plus importants de l’histoire du Québec contemporain, Le refus global. Ce manifeste artistique rédigé par l’enseignant et artiste Paul-Émile Borduas paraît dans un recueil imprimé secrètement qui est lancé en août 1948. Borduas y dénonce les normes sociales, psychologiques, politiques, culturelles et artistiques du Québec de l’époque, une société maintenue dans l’ignorance et la peur par un clergé catholique et une élite laïque bornés. Quinze autres artistes, dont 7 femmes, une contribution exceptionnelle pour l’époque, contresignent le manifeste.
La réaction des bien pensants est immédiate. Borduas perd son emploi à l’École du meuble, à Montréal. Pis encore, plus personne ne veut l’employer. C’est par la vente de ses peintures que Borduas tente de faire vivre sa famille. Cela ne fonctionne pas. Son épouse le quitte avec leurs 3 enfants. Borduas s’exile aux États-Unis en 1953. Aussi incroyable que cela puisse paraître, rien ne change vraiment au Québec avant juin 1960 et l’arrivée au pouvoir de Lesage. Tragiquement, Borduas meurt à Paris en février 1960, à peine 4 mois avant ce moment historique. Il a tout juste 54 ans.
Et c’est tout pour aujourd’hui. Prenez bien soin de vous et n’hésitez pas à dénoncer les mauvaises personnes. Si je peux citer Eddard Stark, patriarche assassiné d’une famille décimée de la saga télévisée Le trône de fer, l’hiver vient.