3 choses à savoir sur la dénomination des nouvelles espèces animales, les secrets qui se cachent dans les ombres lunaires et les nouvelles utilisations bénéfiques possibles des épices
Voici Michelle Campbell Mekarski, Cassandra Marion et Renée-Claude Goulet.
Ces conseillères scientifiques d’Ingenium fournissent des conseils éclairés sur des sujets importants pour le Musée des sciences et de la technologie du Canada, le Musée de l’aviation et de l’espace du Canada et le Musée de l’agriculture et de l’alimentation du Canada.
Dans cette captivante série mensuelle de billets publiés sur le blogue, les conseillères scientifiques d’Ingenium présentent des « pépites » d’information insolite en lien avec leur champ d’expertise respectif.
Pour l'édition de novembre, elles nous parlent de l'art et de la science de nommer de nouvelles espèces animales, de la manière dont les ombres lunaires pourraient être la clé de l'exploration spatiale future, et de la manière dont la science trouve de nouvelles utilisations pour nos épices savoureuses.
Pourquoi peut-on donner des noms de personnages de Star Trek à des grenouilles?
Un groupe de scientifiques a récemment eu l’heureuse surprise de découvrir sept nouvelles espèces de grenouilles dans les forêts de Madagascar. Pendant des randonnées en forêt et en montagne, l’équipe entendait d’étranges coassements de grenouilles qui leur rappelaient les effets sonores de la série télévisée Star Trek. Le résultat? Sept nouvelles espèces de grenouilles, chacune portant maintenant le nom d’un capitaine de Star Trek : Kirk, Picard, Sisko, Janeway, Archer, Burnham et Pike.

Si vous découvriez une nouvelle espèce, quel nom lui donneriez-vous?
Donner des noms de personnages de science-fiction à de nouvelles espèces peut sembler farfelu, mais le processus de dénomination d’une espèce nouvellement découverte est tout de même important. Lorsque des scientifiques découvrent de nouvelles espèces, ils ne font pas que les cataloguer et passer au prochain projet. Ils doivent leur donner un nom. Même si on peut faire preuve de créativité (p. ex., des grenouilles Star Trek), la procédure comporte des règles. On appelle cette pratique la taxinomie, soit « la science de la classification », et elle est essentielle pour faire le suivi de l’incroyable biodiversité de la Terre.
Un système mondial
Le système officiel pour la dénomination des espèces, appelé nomenclature binominale, a été développé par le botaniste suédois Carl Linnæus au 18e siècle. Ce système présente le nom de chaque espèce en deux parties : le genre et l’espèce. Prenons le terme Homo sapiens par exemple, Homo est le genre et sapiens est l’espèce. Le genre prend toujours la majuscule, tandis que l’espèce prend la minuscule et les deux sont habituellement en italiques.
Il est essentiel d’avoir un nom scientifique universellement reconnu pour chaque espèce afin de pouvoir communiquer dans différentes langues et régions. Cette uniformité permet aux scientifiques d’identifier correctement les espèces et de les étudier, de partager les travaux de recherche et de faire le suivi de la biodiversité à l’échelle mondiale. Des noms qui ne seraient pas normalisés pourraient facilement provoquer des malentendus. Par exemple, le cougar est connu sous plusieurs noms, dont couguar, cougouar, puma, lion de montagne, panthère, etc. Pour les scientifiques, il possède un seul nom : Puma concolor.
Le processus de dénomination – Règles et directives
Lorsque les scientifiques trouvent une nouvelle espèce, ils doivent respecter les règles établies par le Code international de nomenclature zoologique (ICZN) ou le Code international de nomenclature pour les algues, les champignons et les plantes (ICNafp). Ces organisations veillent à ce que les noms soient uniques et descriptifs, et à ce que tous les scientifiques dans le monde se conforment aux mêmes directives de dénomination.
Le nom lui-même doit être original et il dénote souvent quelque chose par rapport à l’espèce. Parfois, le nom décrit une caractéristique physique, comme la couleur ou la forme de l’espèce. Par exemple, le dinosaure Diplodocus longus est ainsi nommé en raison de son long coup très caractéristique : « Diplodocus » signifie « double poutre » et fait référence à sa structure osseuse, et « longus » souligne sa longueur remarquable. Dans d’autres cas, les scientifiques peuvent rendre hommage à des personnes dans le nom, comme pour Aptostichus stephencolberti, une araignée nommée en l’honneur du comédien Stephen Colbert.
Des noms d’espèces créatifs
Même si le processus est scientifique, on peut faire preuve de créativité. Certains noms sont comiques ou ludiques, comme le scarabée Agra vation, terme qui ressemble au mot « aggravation ». D’autres peuvent faire référence à la culture pop, comme la guêpe Ampulex dementor, qui tire son nom du mot anglais « dementor », les détraqueurs de Harry Potter qui aspirent l’âme des gens. Ces noms uniques peuvent même aider à attirer l’attention sur des espèces qui seraient peut-être autrement ignorées.
Donner un nom à de nouvelles espèces est bien plus qu’une formalité. Il s’agit d’une façon de célébrer et de documenter la biodiversité de la Terre. Chaque nom renferme un récit, un peu d’histoire et une réflexion sur l’univers dans lequel on a trouvé l’espèce. Et, tant qu’il y aura de nouvelles espèces à découvrir, les scientifiques continueront de trouver des façons fascinantes de les nommer, de faire le lien entre la science, la langue, la culture et la créativité.
Par Michelle Campbell Mekarski
Aller plus loin : D’autres noms scientifiques d’espèces amusants
De la noirceur naissent des occasions : les régions en permanence à l’ombre de la Lune
Certaines parties de la Lune ne voient jamais la lumière du Soleil et c’est une bonne chose pour l’avenir de l’exploration humaine.

Des régions en permanence à l’ombre dans les cratères d’impact près du pôle Sud de la Lune
Situées dans des dépressions topographiques près des pôles Nord et Sud de la Lune, les régions en permanence à l’ombre (RPO) sont des zones qui ne sont jamais directement illuminées par le Soleil. Tandis que les régions équatoriales de la Lune connaissent 14 journées d’ensoleillement suivies de 14 journées de noirceur, les pôles reçoivent très peu de lumière du Soleil à cause de la légère inclinaison axiale de la Lune qui est d’à peine 1,5 degré. Le contraste avec la Terre est net puisque son inclinaison est de 23,4 degrés et crée ainsi les variations saisonnières d’ensoleillement aux pôles. Le fond de certains cratères polaires sur la Lune est donc plongé dans la noirceur depuis des milliards d’années, et devient des pièges froids.
Les analyses de divers astronefs suggèrent la présence de glace d’eau et possiblement d’autres éléments volatils dans les pièges froids des RPO, bien que la quantité précise et le degré auquel ils se mélangent aux roches lunaires demeurent incertains. La Lune est généralement un endroit très sec, mais les conditions varient considérablement dans ces régions ombragées. Ici, les températures peuvent chuter jusqu’à -200 °C, permettant à la glace d’eau et aux autres éléments volatils, comme l’ammoniac et le méthane, de s’accumuler. La possibilité qu’il y ait présence de glace d’eau dans les RPO a été proposée il y a des dizaines d’années. On avait initialement cru qu’il s’agissait de contamination jusqu’à ce qu’on identifie des molécules d’eau en 2008 dans des échantillons de verre volcanique obtenus pendant les missions Apollo. Une variété d’appareils de télémesures sur des missions subséquentes, notamment Chandrayaan-1, le Lunar Crater Observation and Sensing Staellite (LCROSS) et le Lunar Reconnaissance Orbiter (LRO) (site web anglais), appuyaient les conditions pour la présence de glace d’eau ou d’hydrogène, et les preuves de cette présence, dans les régions polaires de la Lune.
Cette découverte a ranimé l’intérêt international envers l’exploration lunaire, car les scientifiques espèrent utiliser cette glace d’eau pour des missions futures. La glace extraite pourrait servir d’eau potable pour les astronautes, être utilisée dans des systèmes de refroidissement et être divisée en oxygène et hydrogène pour le propergol et le maintien des fonctions vitales. Faire le plein sur la Lune ou en orbite lunaire serait beaucoup plus économique que d’envoyer des ressources depuis la Terre, puisque la demande en carburant est beaucoup plus importante pour échapper à la gravité terrestre. Si ce projet aboutit, une source de carburant lunaire permettrait de poursuivre l’exploration de la Lune, de Mars et ailleurs.
Les pièges froids sont les seuls endroits où la glace d’eau peut survivre sur la Lune, car elle sublimerait immédiatement dans les régions à haute température exposées à la lumière solaire. Il existe plusieurs théories expliquant comment l’eau s’est rendue dans les RPO, dont par les impacts de comètes contenant beaucoup d’eau, des roches contenant beaucoup d’éléments volatils et ayant été éjectées des cratères, des gaz provenant d’anciennes éruptions volcaniques ou d’hydrogène de vents solaires qui se sont accumulés et ont réagi avec l’oxygène dans le régolite – le matériau superficiel rocheux de la Lune – sur de longues périodes. L’eau y est probablement coincée depuis des milliards d’années. Les missions futures ont pour objectif de mieux comprendre les caractéristiques de cette glace d’eau, qu’elle existe sous forme d’épaisses plaques ou de mince givre, et à quel point elle est mélangée avec le régolite, ainsi que d’évaluer la quantité générale disponible pour l’utilisation. Il peut être extrêmement difficile de capter des images dans un endroit sans lumière, particulièrement puisque les caméras à bord du LRO n’ont pas été conçues à cet effet. Le LRO peut cartographier la topographie à l’aide de l’altimétrie laser, mesurer la température et détecter l’hydrogène dans le sol lunaire. Un nouvel appareil, appelé ShadowCam (site web anglais), a récemment été lancé à bord d’un orbiteur lunaire coréen et devrait permettre de réaliser cette tâche. Ce détecteur de lumière ultrasensible est 500 fois plus efficace que les caméras des orbiteurs de reconnaissance lunaire existants et se servira d’un minimum de lumière reflétée des étoiles et des surfaces environnantes pour cartographier l’intérieur des zones ombragées. Cette information sera cruciale pour mieux comprendre ce qui repose dans les RPO et pour aider à planifier des trajets sécuritaires pour les rovers et les astronautes s’aventurant dans le noir.
Par Cassandra Marion
L’avenir des épices : Exploiter les systèmes de défense des plantes pour la conservation des aliments
L’hiver approche et rien ne réchauffe nos maisons et nos cœurs comme l’odeur des épices qui se répand dans nos cuisines lorsque nous préparons nos recettes de saison préférées. Derrière leur goût exquis repose une richesse scientifique, et un immense potentiel inexploré. Qu’est-ce qui rend les épices si goûteuses? Et quelles utilisations potentielles pourraient-elles renfermer avec l’aide de la recherche scientifique?

Les épices contiennent toute une gamme de molécules qui pourraient être utilisées pour conserver nos aliments et servir de médicaments.
Les épices, comme les clous de girofle, la cannelle et la muscade, sont essentiellement les parties des plantes qui regorgent de saveur. Les fines herbes, pour leur part, sont les parties fraîches des feuilles et des fleurs des plantes. Les épices proviennent des parties séchées de l’écorce, des tiges, des graines, des fruits, des racines, des bourgeons de fleurs et même de la résine de certaines espèces de plantes. Certains ingrédients frais, comme les poivrons, les oignons, l’ail et le gingembre, peuvent aussi être considérés comme étant des épices une fois qu'ils sont séchés, mais sont typiquement étiquetés comme étant des « aromates » lorsqu’ils sont frais.
La saveur des épices provient des diverses molécules qu’elles contiennent, apellées des substances allélochimiques. Il s’agit de composés protecteurs, soit une partie du système de défense de la plante qui la protège contre les bactéries, les champignons, les herbivores et même d’autres plantes. Il n’est pas surprenant de trouver ces composés concentrés dans les fleurs, les fruits, les graines et les racines, c’est-à-dire les parties les plus vitales à la croissance et à la reproduction de la plante. L’action d’écraser ou de déchirer les cellules végétales libère ces substances, puis lorsque nous les mangeons elles se répandent dans notre nez, là où notre cerveau les interprète comme des saveurs. Sur notre langue, ces molécules peuvent provoquer des sensations d’âcreté, d’engourdissement, de froid ou de chaleur.
La présence et l’utilisation répandues des épices maintenant sont probablement dues à une coévolution mutuelle bénéfique avec les humains. Des chercheurs ont exploré pourquoi les humains utilisent les épices. Ces études ont fait émerger l’idée que nous avons amélioré et propagé des plantes à épices partout dans le monde, non seulement parce qu’elles goûtent bon, mais parce qu’elles procurent des avantages à notre santé et à notre survie. Les humains se servent d’épices et d’herbes depuis des milliers d’années en cuisine, mais aussi pour gérer et guérir des problèmes de santé et, dans une certaine mesure, pour conserver des aliments.
C’est logique lorsqu’on sait que les composés chimiques des épices sont des barrières naturelles des plantes pouvant agir contre les mêmes types de microbes qui causent des maladies chez les humains. En fait, on a démontré que de nombreuses épices peuvent entraver ou tuer les bactéries; l’ail, les oignons, le piment de la Jamaïque et l’origan font partie des plus puissantes. Depuis longtemps, les humains connaissent les effets conservateurs des épices. Par exemple, les anciens Égyptiens utilisaient de la cannelle dans le processus d’embaumement. Certaines substances dans les épices ont également des effets antioxydants, lesquels aident à conserver les huiles et à empêcher la dégradation causée par l’oxygène. Naturellement, ces découvertes ont suscité beaucoup d’intérêt auprès des chercheurs scientifiques modernes qui explorent la possibilité de tirer parti de ce laboratoire naturel afin de profiter d’autres avantages pour la santé humaine et environnementale.
Grâce à leur efficacité naturelle, les scientifiques en recherche alimentaire commencent à étudier les substances se trouvant dans les épices, car ils constatent leur potentiel d’utilisation comme agents de conservation alimentaires naturels, pouvant ainsi remplacer les produits synthétiques actuels. Cependant, des études sur les effets spécifiques de ces molécules sur différents aliments et microbes sont encore rares et il reste beaucoup à apprendre avant qu’elles soient adoptées à grande échelle. Par exemple, quels sont les risques des conséquences non voulues, comme les réactions allergiques, les effets à long terme, la toxicité ou les interactions avec d’autres composés pouvant accroître ou diminuer leur efficacité? Au fur et à mesure qu’on approfondit la compréhension, on pourrait aussi trouver des applications non alimentaires pour les épices, comme prolonger la durée de conservation ou améliorer la salubrité des aliments à l’aide d’emballages faits à base d’épices et d’enrobages antimicrobiens.
Puisque les épices sont omniprésentes dans notre quotidien et que les humains s’en servent depuis si longtemps, il est étonnant de constater qu’il nous en reste beaucoup à apprendre sur leurs effets sur la santé, leur capacité à combattre les microbes et les autres utilisations potentielles. La demande pour les produits naturels ne fait qu’augmenter, on peut donc s’attendre à ce que l’intérêt pour l’exploration du laboratoire de la nature s’accroisse pour découvrir de nouveaux ingrédients et de nouvelles solutions à nos problèmes modernes!
Par : Renée-Claude Goulet
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