2 choses à savoir sur la réduction du méthane et l'ingénierie des sites d’enfouissement
Voici Renée-Claude Goulet et Michelle Campbell Mekarski
Ces conseillères scientifiques d’Ingenium fournissent des conseils éclairés sur des sujets importants pour le Musée de l’agriculture et de l’alimentation du Canada et le Musée des sciences et de la technologie du Canada.
Dans cette captivante série mensuelle de billets publiés sur le blogue, les conseillères scientifiques d’Ingenium présentent des « pépites » d’information insolite en lien avec leur champ d’expertise respectif. Pour l'édition d'octobre, ils expliquent l'ingénierie étonnamment complexe des sites d’enfouissement et la science de la réduction du méthane agricole
Plus qu’un tas de déchets : L’ingénierie surprenante derrière les sites d’enfouissement
Toutes les deux semaines, le dimanche soir, ma famille recueille toutes les ordures de la maisonnée, les transfère dans un grand sac à déchets et les dépose au bord du trottoir. Lorsqu’on se lève le lendemain matin, le sac est habituellement déjà parti. Il ne s’est pas évaporé, il se dirige vers un site d’enfouissement. Les sites d’enfouissement sont des endroits sélectionnés, conçus et bâtis pour entreposer nos ordures (ou déchets solides municipaux) de manière à minimiser les dommages sur notre santé et l’environnement.
L’art de choisir l’endroit parfait :
Il n’est pas facile de trouver un endroit où établir un site d’enfouissement. Le terrain doit être grand et économique, et réduire les risques sur l’environnement et la santé publique. Personne ne veut d’un site d’enfouissement près de sa maison ou des parcs. Aussi, il ne peut se trouver à proximité d’un aéroport, car ces lieux attirent les oiseaux. Les sites d’enfouissement doivent être suffisamment éloignés des rivières en cas d’inondation et ne peuvent se situer dans des habitats sensibles, comme les milieux humides. L’accessibilité est également primordiale, puisque des milliers de camions doivent s’y rendre tous les jours.
Le creusage de trous dans le sol est dispendieux et on court le risque d’entrer en contact avec l’eau souterraine locale. De nombreux sites d’enfouissement modernes sont donc de géantes piles de déchets plutôt que des trous. On ne peut toutefois pas laisser les piles de détritus devenir trop grosses sinon elles risquent de s’effondrer ou de glisser.
Les dépotoirs à déchets existent près des établissements humains depuis presque toute l’histoire de l’humanité. Les sites d’enfouissement modernes sont encore pleins d’ordures, mais ils regorgent aussi d’une quantité étonnante d’ingénierie et de science.
Fuites de déchets...
Une fois l’endroit du site d’enfouissement choisi, des ingénieurs s’attaquent à la tâche de gérer les déchets, tout en protégeant la santé publique et environnementale. La pluie, qui peut pénétrer dans les déchets et ensuite s’infiltrer dans le sol, est un enjeu majeur. Si le « jus de déchets » (ou lixiviat) s’introduit dans les eaux souterraines, il peut causer de sérieux problèmes. Les sites d’enfouissement modernes utilisent donc des barrières, habituellement d’épaisses feuilles de plastique, des couches compactées d’argile ou les deux, pour assurer une séparation entre les déchets et le sol. L’installation de systèmes de collecte du lixiviat est également essentielle. Ces systèmes recueillent le liquide pour qu’il soit traité avant que le site d’enfouissement se remplisse d’eau.
Les liquides ne sont pas les seuls éléments à s’échapper des sites d’enfouissement. Les ordures qui se décomposent produisent des gaz, comme du méthane et du sulfure d’hydrogène. Ces gaz peuvent générer de la pression, de la chaleur, des odeurs et même des explosions. Les sites d’enfouissement utilisent une série de conduites et de ventilateurs pour recueillir ces gaz afin qu’ils soient ensuite évacués, brûlés ou utilisés pour créer de la chaleur ou de l’électricité.
Rentabiliser chaque centimètre
Avez-vous déjà essayé d’écraser vos ordures pour pouvoir en mettre plus dans la poubelle? On se sert du même principe dans les sites d’enfouissement. Pour maximiser l’espace, les sites d’enfouissement compactent les déchets. Les camions à ordures aident un peu en compactant leurs charges et les sites d’enfouissement se servent souvent d’énormes compacteurs pour comprimer les déchets le plus possible.
La salubrité avant tout
Le prochain enjeu n’est probablement étonnant. Les ordures sentent mauvais, attirent les ravageurs et peuvent facilement être éparpillées. Pour aider à prévenir ces problèmes, de nombreux sites d’enfouissement modernes exigent que les déchets soient couverts chaque jour. On peut les couvrir avec de la terre (ce qui prend de l’espace), des bâches ou certains types de « déchets nettoyants » comme du sable, du papier ou des pneus déchiquetés.
Lorsque le site d’enfouissement est plein
Idéalement, un site d’enfouissement doit pouvoir être utilisé pendant des dizaines d’années. Mais, même avec le compactage des déchets, tôt ou tard, on atteint la pleine capacité et le site doit être fermé. Les déchets doivent être recouverts et scellés sous des couches de membranes et de terre afin que l’eau et les ravageurs ne puissent pénétrer, et que le lixiviat et les odeurs ne puissent en sortir. Sur le dessus, on fait pousser de l’herbe et d’autres végétaux pour empêcher l’érosion. Le site doit aussi être surveillé et entretenu pendant des décennies : collecte, gestion et tests des gaz et des liquides qui s’échappent, et réparation des dommages. La quantité de soins apportée à ces sites signifie qu’ils sont souvent transformés en parcs municipaux!
L’avenir des déchets
Bien que les sites d’enfouissement soient une méthode de gestion des déchets solides à faible impact, il y a toujours des possibilités d’amélioration. Réduire, réutiliser et recycler sont des pratiques essentielles à la réduction des déchets. Même lorsqu’un site d’enfouissement est bien conçu, notre objectif doit être de générer le moins d’ordures possible. Les ingénieurs jouent un rôle crucial dans ce processus, mais il revient à tout un chacun de faire sa part pour un avenir plus durable.
Alors, la prochaine fois que vous mettrez vos poubelles sur le bord du trottoir, n’oubliez pas, elles ne s’évaporent pas dans les airs. Elles se dirigent vers un site soigneusement aménagé où la science et la technologie travaillent main dans la main pour les gérer de façon responsable.
Par Michelle Campbell Mekarski
La quête vers la réduction du méthane… c’est vachement intéressant!
Le méthane n’est peut-être pas aussi présent que le dioxyde de carbone dans la conversation sur le climat, mais, en tant que gaz à effet de serre, il s’agit d’un poids lourd. On estime que le méthane (CH4) est responsable de 20 % à 30 % du réchauffement de la planète depuis la révolution industrielle. Contrairement au dioxyde de carbone (CO2), qui peut persister dans l’atmosphère pendant des centaines d’années, le méthane n’y demeure qu’une dizaine d’années avant de se transformer en CO2 et en eau. Toutefois, le méthane est plus de 25 fois plus puissant que le CO2 pour emprisonner la chaleur dans l’atmosphère. Donc, réduire les émissions de méthane, particulièrement celles provenant de l’agriculture, est une principale priorité dans la lutte aux changements climatiques. Seulement, voilà, mesurer le méthane dans les environnements agricoles est plutôt complexe alors sa réduction se fait très lentement.
Les émissions de méthane sont produites par des sources naturelles et humaines. Environ 60 % du méthane actuel est généré par les activités humaines, surtout l’agriculture, la production de combustibles fossiles et les déchets organiques qui se décomposent dans les sites d’enfouissement. Le reste provient principalement des milieux humides. Au Canada, les émissions de méthane de l’agriculture composent environ 10 % des émissions de gaz à effet de serre du pays.
Les vaches, puisqu’elles ont un système digestif de ruminants, sont parmi les producteurs de méthane agricoles les plus importants, avec les chèvres et les moutons. Dans l’estomac de ces animaux, ou plus précisément leur estomac à quatre compartiments, des organismes microscopiques décomposent le matériel végétal et libèrent du méthane comme sous-produit que les animaux éructent ensuite. Les microorganismes qui décomposent du fumier en l’absence d’oxygène libèrent également du méthane. Ensemble, la digestion du bétail et la gestion du fumier produisent une portion considérable des émissions agricoles.
Les vaches ne sont pas les plus efficaces pour convertir leurs aliments. Les microbes qui se trouvent dans leur intestin transforment environ 12 % de ce qu’elles mangent en gaz méthane qui est ensuite envoyé dans l’atmosphère. Les efforts de réduction des émissions de méthane que génèrent les vaches visent à entraver l’activité de ces microbes producteurs de méthane.
Les agriculteurs et les scientifiques sont activement à la recherche de façons de réduire les émissions de méthane produites par le bétail. Une solution prometteuse comporte le changement d’alimentation. Par l’ajout de certains suppléments, comme des gras, des huiles et même des algues, aux aliments, on peut réduire la production de méthane. La reproduction sélective est un autre champ d’intérêt. Certains animaux produisent naturellement moins de méthane en raison de leur composition génétique. Par la sélection de ces traits, les agriculteurs peuvent élever des vaches plus écologiques. Des travaux de recherche sont également en cours pour créer des vaccins qui réduisent la production de méthane et des agents antimicrobiens pouvant cibler les microbes qui se trouvent dans l’estomac des vaches et qui produisent le méthane en premier lieu.
Le défi : bien qu’il y ait plusieurs façons prometteuses de réduire les émissions de méthane, il n’est pas simple de savoir exactement lesquelles fonctionnent le mieux puisqu’il est si difficile de mesurer le méthane dans des environnements agricoles réels. Voilà pourquoi il est si important de poursuivre l’innovation dans ce domaine.
Les vaches, après tout, ne sont pas des sources fixes, comme les conduites de gaz qui fuient. Elles se promènent et broutent, et le méthane qu’elles produisent varie selon divers facteurs, comme l’alimentation, la génétique et le niveau d’activité. La surveillance précise des émissions des troupeaux et des régions constitue un défi majeur et demande généralement un suivi au sol exigeant en main-d’œuvre et dispendieux, réalisé à l’aide de divers capteurs. Il existe quelques façons de faire le suivi des émissions de méthane chez les vaches, lesquelles présentent chacune leurs propres inconvénients et avantages. Les différentes méthodes de prise de mesures permettent aux scientifiques de faire des estimations assez bonnes et de créer des modèles qui peuvent nous aider à comprendre si nos efforts de réduction du méthane ont un impact.
Au cours des récentes années, l’entreprise montréalaise GHGSat a révolutionné la détection du méthane. Les 12 petits satellites de l’entreprise orbitent la Terre et peuvent surveiller les émissions de méthane à des milliers d’endroits chaque jour. Ainsi, il est possible de repérer des fuites et des sources depuis l’espace. GHGSat a pu détecter des émissions de méthane provenant de la production de pétrole et de gaz, de sites d’enfouissement et... vous l’aurez deviné, de vaches. Il s’agit d’une nouvelle approche qui a beaucoup de potentiel pour faire le suivi et mesurer les émissions de méthane.
Le gouvernement canadien a également lancé le Défi de réduction du méthane agricole, lequel a pour but de financer des projets visant la réduction des émissions de méthane pour les secteurs du naissage, laitier et de l’engraissement. Au moment de la rédaction, 12 demi-finalistes travaillaient sur leur concept, rivalisant pour la chance de remporter un grand prix qui permettra à l’innovation gagnante d’être commercialisée.
En bref, le méthane est un poids lourd climatique que nous ne pouvons pas nous permettre d’ignorer. Bien que le CO2 soit le principal coupable des changements climatiques, s’attaquer au méthane présente une façon rapide de ralentir le réchauffement climatique. Grâce aux nouvelles technologies, comme les détecteurs laser et les satellites, et aux solutions novatrices visant à modifier l’alimentation du bétail, nous sommes sur la bonne voie. Le défi du méthane est ardu, mais les récompenses de viser juste sont énormes... pour le climat et les générations futures.
Par Renée-Claude Goulet