Main-d’œuvre captive
En novembre 2022, nous avons créé une exposition intitulée Main-d’œuvre captive (Captive Labour) au Catalyst, un espace d’événements sur le campus de l’Université métropolitaine de Toronto (TMU). L’exposition mettait en vedette des programmes de travail historiques et actuels dans le système pénitentiaire canadien et a été inspirée d’artefacts de la collection de recherche du domaine de la mode de la TMU. Ces objets ont été transférés de la collection d’Ingenium en 2020. De nombreux artefacts du pénitencier de Kingston font toujours partie de la collection d’Ingenium.
Artefacts exposés dans l’exposition Main-d’œuvre captive, novembre 2022.
Le pénitencier de Kingston était une prison à sécurité maximale qui a été en service de 1835 jusqu’à sa fermeture officielle en 2013. Le pénitencier gérait des ateliers où les détenus fabriquaient des chaussures. Cette pratique s’est maintenue de l’ouverture du pénitencier jusque dans les années 1970. Nous avons examiné, et présenté dans l’exposition, des outils manuels destinés à la fabrication de chaussures, des formes à chaussures, une enclume, des pièces de chaussures et un tue-mouches fabriqué avec des rebuts (semelles de chaussure en cuir et bâtons) provenant du pénitencier de Kingston, ainsi que des photos et des citations d’entrevues historiques avec les détenus. Selon nous, il était particulièrement intéressant de voir à quel point chaque forme à chaussures était usée et endommagée. L’usure sur les formes démontre l’échelle de production importante de cet atelier de cordonnerie.
Une chaussure fabriquée dans un pénitencier contraste avec une chaussure en vogue pour hommes fabriquée par la marque anglaise Church, toutes deux datent des années 1960. Les coutures de la chaussure du pénitencier sont inégales, les piqûres sont surélevées, le cuir est rugueux, et la semelle intérieure et le talon sont inachevés.
Pendant la recherche du contexte de ces artefacts, nous avons appris que les gardes attribuaient des postes de travail obligatoire, et seulement les contrevenants primaires avaient accès à ce type de formations (vol. 6, août 1955, Telescope, 24-25). L'objectif de Service correctionnel du Canada (SCC) pour ces ateliers de métiers tenus au début du 20e siècle visait à réformer et à réinsérer les prisonniers en leur enseignant des compétences qui les aideraient à se trouver un emploi après leur libération. Cependant, puisque l’atelier se concentrait sur la production et l’efficacité, cet objectif difficile à atteindre. L’atelier de cordonnerie n’était pas axé sur le métier, il était plutôt composé d’une chaîne de montage dans laquelle chaque détenu réalisait seulement une ou deux tâches. Cette organisation industrielle empêchait les détenus de développer l’ensemble complet de compétences nécessaires à l’emploi pour ce métier. Des transcriptions d’entrevues menées par le surintendant de la commission d’enquête parlementaire démontrent que les détenus se plaignaient du piètre enseignement. Certains d’entre eux avaient plus de connaissances de la cordonnerie, ayant pratiqué ce métier avant leur incarcération, que les instructeurs (mai 1939, témoignages et entrevues sur l’atelier de cordonnerie du PK). Les détenus protestaient aussi sur le fait que les instructeurs ne leur permettaient pas de produire une marchandise de qualité et lorsqu’ils demandaient plus de temps pour terminer des tâches, on les pressait et leur ordonnait de travailler plus vite (mai 1939, témoignages et entrevues sur l’atelier de cordonnerie du PK).
Au départ, les chaussures fabriquées dans le pénitencier de Kingston étaient vendues au public, mais après le 19e siècle, les biens produits dans les prisons étaient seulement distribués à l’interne ou vendus aux services gouvernementaux, comme à la GRC et à l’armée. La correspondance entre le pénitencier et les services gouvernementaux montre que les chaussures fabriquées dans l’atelier étaient souvent de si mauvaise qualité qu’elles étaient inutilisables. Par exemple, 76 % des bottes contenues dans un envoi à la GRC en 1938 ont été rejetées en raison de leur piètre fabrication (le 14 janvier 1938, surintendant à la commission d’enquête parlementaire).
Dans les années 1930, les détenus ont reçu des chaussures fabriquées dans le pénitencier à leur libération. Les transcriptions d’entrevues soulignent que ces chaussures sans style étaient la preuve visuelle d’une récente incarcération (mai 1939, témoignages et entrevues sur l’atelier de cordonnerie du PK).En raison de la piètre fabrication, les chaussures s’usaient souvent en quelques semaines, ce qui venait s’ajouter aux nombreux défis auxquels les anciens détenus faisaient face lors de leur réintégration dans la société.
Une vitrine de Main-d’œuvre captive dans laquelle on voit des mocassins (gauche) ainsi que des produits fabriqués dans des prisons britanniques.
Dans l’exposition, nous avons comparé d’anciennes pratiques canadiennes à des pratiques actuelles. La formation dans les métiers a commencé à changer au début des années 1960 grâce au développement dans le domaine du droit du travail (SCC). De nombreux détenus se sont mis au travail du cuir lorsque le pénitencier a aboli les programmes de travail obligatoire et a mis en place le travail rémunéré volontaire et les métiers d’artisanat. Actuellement, CORCAN, un organisme de service spécial au sein du SCC, offre des programmes d’emploi et de formation relative à l’employabilité. Le site Web de CORCAN indique qu’on offre de la formation professionnelle en cours d’emploi, des heures de formation en apprentissage, des certificats de formation professionnelle et une formation sur les compétences essentielles (SCC, CORCAN). Nous étions curieux de voir quel type d’articles étaient encore fabriqués dans les prisons modernes canadiennes. À notre grande surprise, la fabrication de chaussures est toujours courante dans plusieurs prisons au pays. À partir du site Web de CORCAN, nous avons acheté deux paires de mocassins fabriquées dans l’établissement de Warkworth en 2022. Nous les avons exposées, avec du matériel fabriqué dans le cadre de Fine Cell Work, un programme de réforme en place au Royaume-Uni, dans une vitrine portant sur l’éducation dans les prisons contemporaines.
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