3 choses à savoir sur les déchets humains dans l'espace, la science derrière la couleur des crottes et la façon dont nos déchets humains aide à faire pousser nos cultures
Voici Renée-Claude Goulet, Michelle Campbell Mekarski et Cassandra Marion.
Ces conseillères scientifiques d’Ingenium fournissent des conseils éclairés sur des sujets importants pour le Musée de l’agriculture et de l’alimentation du Canada, le Musée de l’aviation et de l’espace du Canada et le Musée des sciences et de la technologie du Canada.
Dans cette captivante série mensuelle de billets publiés sur le blogue, les conseillères scientifiques d’Ingenium présentent des « pépites » d’information insolite en lien avec leur champ d’expertise respectif. Dans cette édition de mai, ils nous parleront des crottes.
Les gens oublient souvent que nous dépendons tous, universellement et biologiquement, des crottes.
Les crottes sont terriblement importantes. Il s’agit d’une des nombreuses façons dont le corps humain se sert pour se débarrasser de ce qu’il n’a pas besoin. Elles révèlent également l’état de santé, sont une ressource potentielle et racontent des histoires intéressantes sur la culture et l’histoire. En mai 2024, le Musée des sciences et de la technologie du Canada accueille l’exposition Oh merde! Repensons les déchets humains. Dans l’édition de #3Choses de ce mois-ci, nous vous invitons à tirer la chasse sur vos idées reçues et à explorer la science derrière les crottes.
La surprenante saga des crottes dans l'espace
En ce qui concerne les défis spatiaux, la gestion des déchets humains peut en être un particulièrement difficile. Le manque de confinement des déchets humains peut non seulement provoquer des dégâts, mais aussi contaminer l’air et pénétrer dans le corps par les yeux, le nez, les oreilles, la bouche et des coupures sur la peau, ce qui peut causer des maladies ou des infections.
Au départ, les vols spatiaux habités étaient conçus pour être de courte durée et on se préoccupait peu de la nécessité des fonctions corporelles, comme la miction et la défécation. Yuri Gagarin, la première personne à se rendre dans l’espace, a réussi à résister jusqu’à son retour sur Terre, et ce, sans problème. Alan Shepard, le deuxième humain dans l’espace, a toutefois été confronté à un défi différent. Des retards sur la plateforme de lancement de la mission Mercury-Redstone 3 l’ont forcé à uriner dans sa combinaison, ce qui a causé le mauvais fonctionnement de ses biocapteurs électroniques. Cet incident a alimenté des conversations sur le besoin de trouver des solutions et des approches novatrices pour la gestion des déchets des astronautes lors de futures missions.
Au fil de l’évolution de l’exploration spatiale, la durée des missions s’est prolongée et elles sont devenues plus complexes. Pendant les premières années du vol spatial, les astronautes ont fait l’essai d’accessoires sur une ceinture, comme des manchettes à enfiler en latex avec valve et petit sac, des sièges de toilette avec courroies et des couches pour adultes (c.-à-d. des vêtements très absorbants). Pendant les missions Gemini et Apollo, le plan de gestion des déchets humains des astronautes se limitait à se coller un sac de plastique aux fesses à l’aide de ruban adhésif pour déféquer, puis de mélanger les déjections avec un bactéricide. Cette méthode piètrement conçue a provoqué plusieurs incidents d’excréments volants dans la capsule de la mission Apollo 10. Il existe un enregistrement de l’astronaute Tom Stafford disant à ses collègues d’équipage : « Oh, qui a fait ça? » et « Il y a un étron qui flotte dans les airs. » À ce jour, ils n’ont toujours pas déterminé qui des trois astronautes était responsable. Pendant le programme Apollo, les sacs fécaux étaient gardés dans un compartiment à déchets et rapportés sur Terre pour être éliminés ou laissés sur la surface de la Lune. La NASA a conservé un registre de toutes les crottes produites pendant les missions Apollo. Six alunissages Apollo ont généré 96 sacs de déchets laissés sur la surface de la Lune! Même s’il ne s’agit pas d’un moyen d’élimination écologique, il fournit une expérience pratique inattendue. Quels sont les effets de 50 années de radiation solaire sur des excréments riches en microbes? Des scientifiques espèrent trouver la réponse.
L’astronaute canadien David Saint-Jacques réalisant des travaux de plomberie dans l’espace sur la toilette de la Station spatiale internationale, autrement nommée compartiment de déchets et d’hygiène (Waste and Hygiene Compartment). Il faut bien que quelqu’un s’en occupe.
Actuellement, les astronautes sont équipés de vêtements très absorbants, ou leur équivalent, durant les phases de mission critiques, comme les lancements, les atterrissages et les sorties dans l’espace qui durent de cinq à huit heures. La toilette spatiale inaugurale a été présentée à bord de la station spatiale Skylab en 1973. Elle était de conception rudimentaire, composée d’un orifice fixé sur un mur, d’un ventilateur et d’un sac collecteur. Les déchets, particulièrement les selles, devaient être déshydratés sous vide par la chaleur. L’ère des navettes a vu l’arrivée des femmes astronautes et d’un nouvel ensemble d’exigences anatomiques. La NASA a créé le short absorbant de rétention jetable pour les sorties dans l’espace. Le short ressemblait à un hybride entre une couche et une culotte de hockey. Les toilettes sur la Station spatiale internationale (SSI) sont semblables à celles de la station Skylab, sauf que la collecte de l’urine et des selles se fait séparément. Ces installations se servent d’un tube et d’un entonnoir installés pour recueillir l’urine, et d’un siège fixé au-dessus d’un réceptacle doublé d’un sac pour les déchets solides. Les deux sont reliés à un ventilateur aspirant qui assure l’évacuation adéquate des déchets. Un assemblage de traitement de l’urine branché à la toilette sur la SSI peut recycler et convertir de 75 % à 80 % de l’urine des astronautes en eau potable. Les déchets solides sont entreposés pour l’élimination, puis incinérés une fois à bord d’un engin de charge.
Dans une perspective de développement, la SSI a récemment installé un système de toilette amélioré que l’on appelle système universel de gestion des déchets. Conçu pour accommoder les hommes et les femmes plus confortablement, tout en augmentant la capacité générale sur la Station, le système universel de gestion des déchets sert de terrain d’essai pour perfectionner les technologies. Cette préparation est essentielle aux prochaines missions Artemis qui nécessiteront des installations de gestion des déchets humains à bord de l’engin spatial Orion, de la station spatiale Lunar Gateway qui orbitera la Lune, et pour soutenir les futurs besoins de gestion des déchets et les utilisations potentielles sur la surface lunaire. Comme le démontre le film « Seul sur Mars », les déchets peuvent trouver un usage pratique, comme fertiliser les cultures et fournir de l’information sur la santé et la diète des astronautes. L’avenir des toilettes spatiales débordera d’innovations.
Aller plus loin
Plus sur L'hygiene personelle dans l'espace
Une visite de la Station Internationale Spatiale, incluant la toilette.
Universal Waste Management System (lien en anglais)
By Cassandra Marion
Le meilleur, c’est le brun : la science derrière la couleur des crottes
La couleur brune emblématique des crottes est le résultat d’une action réciproque complexe dans le corps et indique une bonne santé intestinale.
Avez-vous déjà tiré la chasse d’eau d’une toilette, changé une couche ou nettoyé les besoins de votre ami poilu et pensé : « Je me demande pourquoi les crottes sont brunes. »?
Malgré sa mauvaise réputation, la couleur des excréments offre des renseignements fascinants sur la sorcellerie biochimique du système digestif. Dès que la nourriture entre dans le corps et jusqu’à sa sortie inévitable, une action réciproque complexe entre aliments, enzymes, hormones et bactéries intestinales finit par produire la teinte couramment associée aux déjections.
Il peut être surprenant d’apprendre que la couleur de vos crottes se rapporte davantage à votre sang qu’à la nourriture que vous mangez. Les globules rouges vivent pendant environ 120 jours et, lorsqu’ils arrivent à la fin de leur vie, le foie et la rate les décomposent et recyclent leurs composantes.
L’hémoglobine est une protéine chargée de transporter l’oxygène dans les cellules sanguines saines et actives. Lorsque l’hémoglobine est recyclée, elle est décomposée et devient une substance qu’on appelle bilirubine, laquelle est de couleur jaunâtre. La bilirubine est transportée vers le foie, où elle est ensuite transformée en bile, laquelle est de couleur vert jaunâtre, car elle contient beaucoup de bilirubine.
Le foie sécrète la bile dans l’intestin grêle, où elle remplit un rôle essentiel : digérer les gras. À cette étape du processus de digestion, les crottes sont d’un vert jaunâtre en raison de toute la bilirubine qu’elles contiennent.
Au fur et à mesure que les excréments poursuivent leur trajet dans le système digestif, la bilirubine est décomposée par les bactéries intestinales, soit une communauté d’assistants microscopiques qui vivent dans les intestins et aident à absorber les nutriments, tout en décomposant les déchets. Grâce aux bactéries intestinales, la bilirubine se décompose, réagit à l’oxygène et se transforme en stercobiline, un pigment brun qui donne aux crottes leur coloration distinctive.
Aller plus loin : Que signifie chaque couleur?
Le meilleur, c’est le brun! Toutefois, divers aliments, colorants alimentaires, médicaments et problèmes de santé peuvent aussi influencer la couleur de vos crottes. En cas de doute, consultez votre fournisseur de soins de santé.
Vert : Lorsque vos crottes sont vertes, c’est normalement un signe qu’elles sont passées dans votre système digestif trop rapidement pour que les bactéries intestinales digèrent la bilirubine. Vous pouvez remarquer cette couleur si vous avez un empoisonnement alimentaire, après avoir pris un laxatif ou un antibiotique, ou si vous avez l’estomac à l’envers, toutes des situations qui font transiter les crottes plus rapidement dans vos intestins. Les légumes verts feuillus ou autres aliments verts contenant beaucoup de chlorophylle peuvent également donner une teinte verte à vos selles.
Jaune : Une nuance de jaune peut indiquer une concentration élevée de bilirubine (plutôt que de la bile). Sans bile pour décomposer le gras dans les intestins, les crottes contiendraient un contenu élevé de gras, ce qui leur donnerait une teinte jaunâtre. Cette couleur est courante chez les bébés dont le foie n’est pas encore entièrement développé et qui ne peuvent donc pas encore transformer efficacement la bilirubine. La consommation d’une grande quantité de bêta-carotène, un pigment que l’on retrouve dans les fruits et les légumes jaunes et orange, peut également causer cette couleur jaunâtre.
Noir : La consommation de certains médicaments (comme des suppléments de fer) ou d’aliments foncés, comme la réglisse, les bleuets ou les mûres, peut donner des crottes noires. Cependant, cette couleur peut également indiquer qu’il y a des saignements dans le tube digestif supérieur puisque le sang digéré (et non transformé dans la rate et le foie) devient noir.
Rouge : Bien que certains aliments, comme les betteraves ou les canneberges, peuvent donner une teinte rouge aux crottes, le rouge peut également indiquer la présence de sang dans le tube digestif inférieur.
Gris ou écru : Les crottes qui contiennent peut ou pas de bile seront très pâles. Cette couleur peut indiquer un problème d’obstruction de la circulation de la bile.
Avertissement : Cet article a été rédigé à des fins éducatives seulement. Il ne doit pas être considéré comme étant un avis médical et ne vise pas à remplacer les conseils d’un médecin.
Par Michelle Campbell Mekarski
Aucun déchet dans la nature : nos crottes permettent de faire pousser nos cultures
Les agriculteurs peuvent utiliser du fumier animal composté pour fertiliser leurs champs, mais saviez-vous que votre nourriture pourrait aussi avoir été cultivée à l’aide d’une petite quantité d’excréments humains? Peu d’entre nous s'arrêtent pour réfléchir à la prochaine destination de nos excréments après la station d’épuration des eaux usées ou la fosse septique. Mais, ce qui entre (la nourriture) doit sortir (les crottes) et, pendant longtemps, les gens ont exploité ce processus pour aider à cultiver leurs aliments. Pourquoi? Parce que le meilleur engrais est celui qui est disponible régulièrement, gratuitement, près de la ferme... les excréments réunissent toutes ces conditions.
Le corps n’utilise pas tous les nutriments contenus dans la nourriture. Il y a toujours des restants après la digestion. Les crottes contiennent les trois principaux nutriments pour la croissance des végétaux : l’azote, le phosphore et le potassium, ainsi que des nutriments moins importants, comme le magnésium et le sélénium. Les agriculteurs fournissent généralement ces nutriments aux plantes par l’ajout d’engrais. Les excréments contiennent aussi tous les éléments alimentaires que les humains ne peuvent assimiler, comme la fibre des plantes, et sont donc très riches en carbone. Il s’agit d’une composante essentielle à la texture spongieuse du sol et à son bon fonctionnement. Grâce à de bons soins, les crottes peuvent être, et sont, utilisées pour remplacer d’autres engrais et enrichir le sol.
Les biosolides sont généralement injectés dans le sol au lieu d’être étendus à la surface, et ce, afin de réduire l’impact environnemental de l’utilisation de cet engrais.
L’amélioration de l’assainissement et l’arrivée du traitement des eaux usées dans de nombreux pays ont réduit l’utilisation des excréments humains en agriculture. Une des raisons de ce changement d’attitude réside dans le fait que nous en savons plus sur le rôle que jouent les déchets humains dans la transmission des maladies et la pollution environnementale. Nous faisons bien de faire preuve de prudence par rapport à ce que nous faisons de nos excréments. Ils peuvent contenir une foule d’agents infectieux : bactéries, virus, protozoaires et œufs de vers parasites. Encore aujourd’hui, de nombreuses maladies se propagent en raison de la médiocrité ou de l’absence de techniques sanitaires. Il ne faut pas oublier que les médicaments et les traitements hormonaux laissent aussi des résidus dans nos excréments. Les biosolides des installations de traitement des eaux usées peuvent également contenir des métaux lourds et des polluants environnementaux provenant d’autres sources que le corps humain, puisque ces installations traitent l’eau qui vient de toutes les sources urbaines, par exemple des grilles d’égout. En général, de vilaines particules peuvent se retrouver dans les selles et on ne veut vraiment pas les réintroduire dans l’environnement, particulièrement dans les aliments.
Alors, comment pouvons-nous utiliser cette ressource de façon sécuritaire? Il s’agit en grande partie d’une question de dosage et de la façon dont les crottes sont transformées avant de retourner dans l’environnement. Ce domaine est bien étudié et les pays industrialisés ont mis en place des règlements pour l’application de biosolides, soit les solides qui proviennent du traitement des eaux usées, dans les champs agricoles. Actuellement, les limites d’application fixées sont très basses afin d’éviter les risques pour les humains et l’environnement. C’est-à-dire qu’une grande portion des biosolides est utilisée à des fins autres que la culture de végétaux, comme la réhabilitation des terrains, la foresterie et la fabrication de terreaux.Afin de tenter de résoudre le problème et d’assurer la meilleure utilisation possible des excréments, des scientifiques étudient des méthodes pour extraire les nutriments et éliminer les impuretés indésirables. Les solutions ne sont certainement pas passe-partout et peuvent ne pas convenir à certaines régions du monde, car le flux des déchets humains varie grandement. Ce flux peut être un mélange d’excréments et d’urine, il peut contenir beaucoup d’eau, être mélangé à des eaux pluviales et possiblement du papier hygiénique, être recueilli différemment, etc. Un examen rapide des documents sur le sujet révèle que des travaux de recherche sont en cours partout dans le monde afin d’établir les meilleures approches pour répondre aux besoins locaux de chaque région.
Des méthodes visant à faire le meilleur usage de nos déchets peuvent être particulièrement précieuses dans les régions du monde où il peut être difficile de se procurer des engrais commerciaux et pour les agriculteurs ayant moins de moyens pour les acheter. Grâce aux avancées dans ce domaine des sciences et de la technologie, nous pourrions réduire l’utilisation d’engrais agricoles à forte intensité d’énergie qui sont extraits dans des mines ou créés à l’aide de procédés industriels. Il est également possible d’enfouir plus de carbone dans le sol, tout en contribuant à son meilleur fonctionnement. Bien qu’il n’existe pas encore de solution technologique idéale, il est encourageant de savoir que des scientifiques se penchent sur la réinvention des façons d’utiliser les engrais fabriqués par les humains et de faire le point sur les crottes.
Par Renée-Claude Goulet