La laine du réseau textile Pembina Fibreshed
Comme l’a fait remarquer Christel Lanthier, productrice de fibres à la Ferme Fiola Farm, près de Winnipeg, au Manitoba, « nous parlons très souvent d’aliments locaux... Par contre, il est rarement question de textiles locaux... Nous avons tellement de fibres renouvelables que nous pouvons cultiver ici, dans notre région . »1 Comme ce n’est pas un sujet de conversation courant, j’ai eu la chance de m’entretenir longuement l’année dernière avec Mme Lanthier et d’autres personnes au sujet des textiles régionaux et du mouvement des réseaux textiles au Manitoba.
Un réseau textile correspond à une région géographique dans laquelle les fibres sont produites et transformées en textiles. Le terme a été créé au début des années 2010 dans le nord de la Californie par Rebecca Burgess, et s’inspire du concept de bassin hydrographique, c’est-à-dire un territoire dont les eaux s’écoulent vers les lacs et les rivières, pour se jeter ensuite dans un point de sortie commun. Un réseau textile englobe tous les aspects de la production textile, depuis la culture des plantes servant à fabriquer les fibres et les teintures, jusqu’au filage, au tissage et au tricotage, en passant par la fabrication des outils.
Fibershed est également le nom de l’organisme à but non lucratif fondé par Mme Burgess, dont le but est de soutenir et de développer les réseaux régionaux de fibres et de textiles. Cet organisme, et le mouvement communautaire qui y est associé, s’intéressent aux questions suivantes : d’où viennent les fibres et les couleurs? Que se passe-t-il à la fin du cycle de vie du textile? Sur qui la production textile a-t-elle des répercussions? Le mouvement Fibershed s’efforce de reconstruire la fabrication à l’échelle régionale et d’adopter des pratiques agricoles respectueuses du climat. L’organisme se préoccupe également de la santé des écosystèmes, ainsi que de l’équité raciale et économique.2 Bien qu’il ait vu le jour en Californie, le mouvement Fibershed propose un programme international d’affiliation pour soutenir et développer les réseaux régionaux de fibres et de textiles. En 2018, Margaret Brook et Anna Hunter ont créé le réseau textile Pembina Fibreshed, qui est officiellement affilié au Burgess’s Fibershed. En promouvant et en soutenant la production de fibres dans le sud du Manitoba, le Pembina Fibreshed met en relation les producteurs et les transformateurs de fibres, en plus d’organiser diverses activités et d’offrir des ateliers éducatifs. Une des principales initiatives du Pembina Fibreshed est le Manitoba Fibre Festival, qui comprend un grand marché, des ateliers et des démonstrations.
La fileuse de la ferme et filature Long Way Homestead, fabriquée par Belfast Mini Mills, à l’Île-du-Prince-Édouard. La fileuse prend le boudin, une touffe de fibres fine et semblable à une corde, et l’enroule pour en faire du fil. Le fil est ensuite passé à la vapeur pour qu’il conserve sa torsion.
L’année dernière, j’ai été engagée par Ingenium pour interviewer plusieurs membres du Pembina Fibreshed dans le cadre d’un projet de recherche sur les textiles locaux. Ces visites à la ferme ont été animées, instructives et enrichissantes et ont porté sur les procédés, les technologies, les motivations et la communauté. Mes conversations avec les membres du Pembina Fibreshed ont généralement tourné autour de la laine, puisque la majeure partie (mais pas la totalité) de la production régionale de fibres repose sur les moutons, qui sont abondants au Manitoba en raison du climat rigoureux. La laine est aussi une fibre merveilleuse. Interrogée sur l’importance de la laine, Anna Hunter, de la ferme et filature de laine Long Way Homestead, a répondu en riant : « C’est un peu bête, non? J’ai l’impression que la laine, c’est un tout. C’est une ressource renouvelable extraordinaire qui repousse chaque année. Il suffit que les moutons aient accès à de l’herbe, de l’eau et à la lumière du soleil et ils font pousser cette fibre chaque année. Elle est beaucoup plus souple que le coton, elle est compostable, elle se décompose dans le sol en six mois, ce qui est extraordinaire quand on se préoccupe de la fin de vie de nos textiles. De plus, lorsque les moutons sont élevés correctement, ils peuvent contribuer à séquestrer davantage de carbone dans nos prairies, à favoriser des écosystèmes sains et à gérer nos paysages. »
Au cours de ce projet, j’ai appris, et documenté, comment la laine peut être transformée manuellement à l’aide de petits outils ou, plus efficacement, dans des filatures. Qu’elle soit manuelle ou industrielle, la transformation de la laine suit les mêmes étapes : élever des moutons pour qu’ils produisent de la laine; tondre la laine; la déborder pour enlever les parties sales; la laver à l’eau bouillante pour enlever l’excès de graisse (dessuintage); défaire ou arracher les fibres trop serrées; carder ou peigner les fibres pour qu’elles soient parallèles; filer les fibres pour en faire du fil; retordre les fils ensemble; teindre les écheveaux de laine; mettre le produit sur le marché et le vendre.
Une des difficultés que rencontrent les réseaux textiles locaux est le manque d’infrastructures de transformation. Bien que dans sa ferme de production de fibres, Anna Hunter exploite également une petite filature de laine, au Canada, il n’y a pas beaucoup de filatures qui transforment cette fibre. Les moutons canadiens sont principalement élevés pour la viande, et la laine est considérée comme un sous-produit. En raison d’un manque criant d’infrastructures de transformation de la laine, la majeure partie de la laine est jetée ou expédiée à l’étranger pour y être transformée. Le projet Pembina Fibreshed vise à réduire l’impact environnemental des pratiques industrielles actuelles en transformant la laine localement et en évitant le gaspillage, réduisant ainsi les déchets produits. Barb Mulock, de la Prairie’s Edge Wool Farm, a souligné le fait que de nombreux membres et sympathisants du Pembina Fibreshed partagent les mêmes valeurs concernant les marchés locaux et l’exploitation de toutes les facettes de l’élevage d’animaux.
Anna Hunter allume son réchaud extérieur pour commencer à faire bouillir de l’eau tandis que Christel Lanthier inspecte le cadre sur lequel la laine sera suspendue une fois teinte.
Les agriculteurs que j’ai rencontrés ont été extrêmement généreux, ils m’ont même offert de la nourriture provenant de leurs jardins. Une fois les entretiens formels terminés, nous avons discuté autour d’une tarte maison ou d’une tasse de thé, attablés dans des cuisines chaleureuses ou assis sur des galeries offrant une vue panoramique. Cet accueil reflète la force et l’importance de la communauté au sein du mouvement Fibershed. Alors que j’étais chez Anna Hunter à la ferme Long Way Homestead, Christel Lanthier nous a rejointes dans la salle de classe en plein air pour une démonstration de fabrication de teinture naturelle. C’était touchant de voir les deux femmes rire ensemble autour du pot de teinture, pendant qu’elles teignaient la laine filée par Anna et fabriquée à partir de la toison des moutons de Christel. Et le sens de la loyauté s’étend également aux consommateurs, puisque les agriculteurs connaissent personnellement plusieurs de leurs clients.
Remko Stalman tond un mouton lors de l’édition de 2023 du Manitoba Fibre Festival ; cet événement annuel est organisé par le Pembina Fibreshed et a lieu sur le terrain du Red River Exhibition Park, près de Winnipeg, au Manitoba, dans le territoire du Traité no 1.
Un des temps forts de mon travail a été le Manitoba Fibre Festival, qui a lieu chaque année, et au cours duquel Remko Stalman a fait une démonstration de l’art de la tonte des moutons. Les éleveurs de moutons m’avaient tous dit qu’il était difficile de tondre un mouton, et j’avoue que j’étais sceptique. Cependant, en observant la technique de Remko, j’ai mieux compris à quel point il fallait être habile pour calmer et stabiliser un animal vivant avec une seule main, tout en maniant un outil tranchant comme un rasoir (littéralement) de l’autre!
Je tiens à remercier : Christel Lanthier, Anna Hunter et Barb Mulock pour les conversations agréables et leur accueil dans leur ferme; Remko Stalman et les autres marchands du Manitoba Fibre Festival pour leurs explications et leurs démonstrations enthousiastes et sincères; et Molly McCullough pour ses conseils bienveillants et patients.
1 Toutes les citations sont tirées du projet de documentation Pembina Fibreshed d’Ingenium.
2 « Mission et vision » (en anglais seulement), fibershed.org/mission-vision/.
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