Un jour, un jour, quand vous viendrez, nous vous en ferons voir de grandes fusées
Bon matin ou bonsoir, ami(e) lectrice ou lecteur. Et non, cet article n’a rien à voir avec l’Exposition universelle et internationale de Montréal tenue en 1967. Toutes mes excuses et… Vous ne saisissez pas le lien entre Expo 67 et le titre de ce numéro de notre blog / bulletin / machin, n’est-ce pas? Soupir. Sachez donc que Un jour, un jour est le titre de la chanson thème de l’exposition. Apparemment quelque peu insatisfait par l’interprète choisie pour populariser son œuvre, la chanteuse québécoise Michèle Richard, Stéphane Venne parvient à produire un disque à toute vitesse. Le chanteur québécois Donald Lautrec, né Donald Bourgeois, devient ainsi l’interprète le mieux connu de Un jour, un jour et de sa version anglaise, Hey Friend, Say Friend. (Bien le bonjour, MMcC.)
Cet intermède musical / culturel étant terminé, entrons dans le vif du sujet. Le lancement du premier satellite artificiel, Spoutnik I, par l’Union des républiques socialistes soviétiques (URSS), en octobre 1957, 40 ans après la Grande révolution socialiste d’octobre, qui se déroule en fait en novembre, du moins à l’extérieur de l’Empire russe, frappe de stupeur une bonne partie de l’humanité.
Le fait que cet événement a lieu au cours de l’Année géophysique internationale (AGI), qui va de juillet 1957 à décembre 1958, semble être une coïncidence exploitée à des fins de propagande. Des problèmes techniques avec la fusée, une version à peine modifiée du missile balistique intercontinental à ogive (thermo)nucléaire Korolev R-7, forcent en effet les chercheurs soviétiques à reporter le lancement de Spoutnik I. Soit dit en passant, une version très modifiée et améliorée de cette fusée est encore utilisée en 2018 par la Societé d’état pour les activités spatiales « Roscosmos, » ou Gosudarstvennaya korporatsiya po kosmicheskoy deyatel’nosti « Roscosmos, » pour lancer tous les astronautes qui se rendent à la International Space Station.
Quoi qu’il en soit, les réactions au lancement de Spoutnik I vont de l’émerveillement à la panique. Tous les experts s’accordent sur un point : le monde entre dans une ère nouvelle. Personne ne peut ignorer le potentiel militaire de l’énorme fusée soviétique, soit le transport d’une ogive (thermo)nucléaire jusqu’aux États-Unis. Le gouvernement américain redouble alors d’efforts pour mettre en service son propre missile de ce type, le Convair SM-65 Atlas et…
Vous avez raison, ami(e) lectrice ou lecteur, je n’ai pas encore abordé le sujet de cet article. Avant d’y venir toutefois, je me permets de souligner que l’Atlas porte initialement la désignation B-65 et… Non, ça n’a rien à voir avec une partie de bingo. Cette désignation tient au fait que l’Atlas est tout d’abord considéré comme étant un avion de bombardement sans pilote. Et oui, ami(e) lectrice ou lecteur agacé(e) aux yeux bien ouverts, une fusée / missile Atlas domine pendant bien des années le site du Musée des sciences et technologies du Canada, à Ottawa, Ontario.
Permettez-moi de compléter cette digression interminable avec un peu de contenu canadien. Le lancement de Spoutnik I joue un bien vilain tour à A.V. Roe Canada Limited de Malton, Ontario. Depuis quelques années déjà, les divisions Aircraft et Gas Turbine de ce géant aéronautique, rebaptisées Avro Aircraft Limited et Orenda Engines Limited en 1954-55, travaillent sur un projet d’intercepteur de bombardiers supersonique destiné à l’Aviation royale du Canada. Le programme CF-105 Arrow franchit une étape décisive au début d’octobre 1957. Plus de 12 000 personnes assistent au dévoilement du premier aéronef, à l’usine de Avro Aircraft. La direction est ravie; le Arrow va faire la une des plus importants quotidiens du Canada. Le hasard en veut autrement. Ce même jour, en effet, l’URSS place Spoutnik I en orbite. C’est ce lancement qui occupe les premières pages des quotidiens du lendemain.
Le lancement de Spoutnik I joue par ailleurs un bien vilain tour aux États-Unis qui comptait bien remporter l’honneur de placer le premier satellite en orbite au cours de l’AGI. Ne l’oublions pas, ces 2 superpuissances se disputent alors le contrôle d’un monde aux prises avec la Guerre froide. Vous avez une question, ami(e) lectrice ou lecteur? Qu’est-ce que l’AGI? Une bonne question qui me fournit l’occasion de pontifier pendant un court instant. L’AGI est une période de temps d’environ 16 mois consacrée à des travaux de recherche sur la Terre réalisées au niveau mondial.
Avant que je ne l’oublie, car je me fais vieux, l’AGI peut être liée à un projet non-aéronautique fort intéressant d’un avionneur basé à Cartierville, Québec, et filiale du géant américain de la défense General Dynamics Corporation. Pour faire bref, Canadair Limited lance une division Vehicle en 1956. Son premier projet est le RAT (Remote Articulated Track), un véhicule tous terrains amphibie léger à chenilles en 2 sections liées par un joint articulé très innovateur. À partir de 1957 environ, Canadair construit 6 prototypes de ce véhicule, désignés CL-61, de même que 30 CL-70 de série. Une pensée si vous me le permettez. Votre humble serviteur aimerait savoir si le département des relations publiques de Canadair aime le nom donné à ces véhicules remarquablement agiles, innovateurs et versatiles? Aimeriez-vous acheter un RAT, ami(e) lectrice ou lecteur?
Pas moins de 24 RAT servent pendant un certain temps au sein de l’Armée canadienne, alors que 2 ministères, Mines et Relevés techniques d’une part et Nord canadien et Ressources naturelles d’autre part, en reçoivent 2 autres. Au moins un RAT utilisé par la United States Navy participe à une expédition en Antarctique réalisée dans le cadre de l’AGI. (Tadaa.) Un autre participe à des essais organisés en 1963 par la United States Army. Dans l’un et l’autres cas, il s’agit peut-être de véhicules prêtés à ces services. Croiriez-vous que le ministre du Nord canadien et des Ressources naturelles entre décembre 1953 et juin 1957 est nul autre que Jean Lesage, une personnalité d’importance mentionnée dans un autre numéro de juillet 2018 de notre blogue / bulletin / machin? Le monde est petit, n’est-ce pas, ami(e) lectrice ou lecteur?
Il est à noter que Canadair exporte 4 RAT : 2 destinés à la New Jersey Mosquito Extermination Association et 2 autres à l’armée suédoise, ou Armén. Cette dernière commande est d’autant plus intéressante (suspecte?) que Aktiebolaget Bolinder-Munktell, une filiale du fabricant d’automobiles suédois Aktiebolaget Volvo, commence à produire, en 1964, un véhicule tous terrains amphibie léger à chenilles en 2 sections liées par un joint articulé très innovateur. Produit jusqu’en 1981, le Bv 202, ou Snowcat, a servi au sein des forces armées de pays européens tels que la Suède, le Royaume-Uni, les Pays Bas, la Norvège et la Finlande. Ironiquement, l’Armée canadienne / Forces armées canadiennes compte également parmi les anciens utilisateurs de ce véhicule remarquablement agile, innovateur et versatile.
Que dites-vous, ami(e) lectrice ou lecteur un tant soit peu exaspéré(e)? Quel est donc le mystérieux sujet du présent article? Toutes mes excuses, j’y arrive. Conscient de l’importance du lancement de Spoutnik I et / ou impressionné par la réaction du public, le gouvernement français décide avant même la fin de 1957 d’organiser une exposition internationale consacrée à l’astronautique dans le cadre de l’AGI. Baptisé Terre et Cosmos – l’Homme à la conquête de l’espace / univers, ce premier salon interplanétaire doit se tenir à Paris entre avril et juin 1958. Il doit présenter l’histoire de la conquête de l’espace de même que des exemples des réalisations les plus modernes en matière de fusées. Ce projet est placé sous l’égide d’un organisme international décrit comme étant l’Organisation mondiale de la culture. L’auteur de ces lignes se demande si cet organisme n’est pas en fait l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture, ou UNESCO.
Les noms de 2 membres de la prestigieuse famille de Broglie sont mentionnés en tant que membres du comité scientifique de patronage de Terre et Cosmos, créé vers décembre 1957 :
- le duc Maurice Jean Madeleine de Broglie, un physicien bien connu, et
- le prince Louis Victor Pierre Raymond de Broglie, un prix Nobel de physique bien connu et secrétaire perpétuel de l’Académie des Sciences.
Votre humble serviteur ne sait pas lequel des 2 est vraiment impliqué, mais je penche pour le premier. Si je peux me le permettre, il est à noter que de Broglie se prononce apparemment de Broglie ou de Breuil, au choix.
Telle que réalisée, Terre et Cosmos ne se limite toutefois pas à l’astronautique / cosmonautique. L’exposition aborde en effet l’aéronautique, l’astronautique / cosmonautique, l’astronomie, la géologie, la médecine, la météorologie, l’océanographie et la physique. Ses organisateurs souhaitent en effet aborder des questions ou problèmes qui intéressent le commun des mortels, de l’énergie aux télécommunications. Une bonne partie de Terre et Cosmos est ainsi consacrée aux vastes régions encore inexploitées de la Terre et aux technologies permettant l’extraction des ressources qui s’y trouvent. Aux dires des organisateurs de l’exposition, la population grandissante de notre planète devrait profiter de ces richesses. De fait, ces hommes souhaitent utiliser Terre et Cosmos pour développer un amour de la technologie parmi les jeunes et ainsi multiplier les vocations scientifiques. Et oui, ami(e) lectrice ou lecteur fort cultivé(e), les vastes régions encore inexploitées dont il est question sont bien souvent des colonies et protectorats contrôlés, très / trop souvent par des méthodes violentes, par des puissances coloniales telles que la France et le Royaume-Uni.
Avant que je ne l’oublie, un artiste marquant du 20ème siècle, le cinéaste / dessinateur / dramaturge / graphiste / poète français Clément Eugène Jean Maurice Cocteau, réalise 2 fresques monumentales pour Terre et Cosmos. Ces œuvres, préservées en 2018 à la Cité des Sciences, à Paris, un centre des sciences qui vaut vraiment le détour, s’intitulent Hommage aux savants et La conquête de l’inconnu. L’utilisation du terme conquête est pour le moins intéressant mais pas très pacifique, et je m’éloigne du sujet.
Pour une raison ou pour une autre, Terre et Cosmos n’ouvre pas ses portes à la date annoncée sur l’affiche placardée un peu partout à Paris, soit le 30 mai 1958. Elle se déroule finalement du 4 juin au 20 juillet. La date d’ouverture s’avère par ailleurs bien théorique car de nombreuses caisses occupent encore une partie du site d’exposition. Pis encore, le comité organisateur ne reçoit la conformation de l’arrivée imminente de la reproduction grandeur nature du Spoutnik II que le 3 juin. L’URSS participe en effet volontiers au projet, de même que les États-Unis et, évidemment, la France. L’absence du Royaume-Uni et du Japon, tous deux actifs tout au long de l’AGI, ne passe toutefois pas inaperçue.
Quoiqu’il en soit, les mesdames et messieurs qui visitent Terre et Cosmos peuvent voir des présentations pour le moins variées dans les 2 pavillons qui encadrent le pont d’Iéna, sur les berges de la Seine, au pied de la tour Eiffel. Plusieurs petites salles de cinéma permettent aux visiteuses et visiteurs de voir divers documentaires, par exemple. Avant d’entrer dans le pavillon principal, tous ces gens peuvent voir des fusées peintes avec force enthousiasme. Détail amusant, ou pas, l’une d’entre elles semble viser directement le palais de Chaillot qui, entre 1952 et 1959, abrite le quartier-général de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN), un groupe qui comprend alors et comprend toujours le Canada parmi ses membres.
Parmi les objets en montre, mentionnons un (authentique?) cerf-volant du 13ème siècle et un modèle réduit d’un aéronef conçu mais non fabriqué vers 1867. Soulignons par ailleurs la présence d’une réplique grandeur nature de la fusée à carburants liquides, la première au monde, mise à l’essai en mars 1926 par l’Américain Robert Hutchings Goddard, pour plusieurs (Américaines et Américains?) le père de la fuséologie / fuséonautique moderne.
De fait, les visiteuses et visiteurs de Terre et Cosmos peuvent examiner de nombreux graphiques, photos et schémas fournis par le gouvernement américain. Le matériel contemporain exposé comprend une fusée expérimentale de la State University of Iowa, de même que la pointe d’une fusée Aerojet General Aerobee recouverte d’une feuille de plastique transparent. Il y a par ailleurs une reproduction d’une nacelle de ballon-sonde utilisée pour l’étude de la haute atmosphère. Une reproduction d’Explorer 1, le premier satellite américain, lancé en janvier 1958, semble également être en exposition. Si je peux me permettre une courte digression, saviez-vous que le responsable du programme de recherche spatiale de la State University of Iowa est nul autre que James Alfred Van Allen, l’astrophysicien américain qui découvre la ceinture de radiation qui entoure la Terre et qui porte son nom?
Les graphiques, photos et schémas présentés par l’Académie russe des sciences, ou Rossiyskaya Akademiya Nauk, sont eux aussi fort intéressants. Les visiteuses et visiteurs peuvent voir des illustrations montant les Spoutnik I and III, par exemple, de même que la susmentionnée reproduction grandeur nature de Spoutnik II où on peut voir la capsule qui abritait, sur le véritable satellite, la chienne connue mondialement sous le nom de Laïka. Découverte alors qu’elle erre dans les rues de Moscou, cette pauvre bête sans histoire ou pédigrée, la première cosmonaute / astronaute si je peux me le permettre, meurt quelques heures après le lancement de Spoutnik II, en novembre 1957. Les communiqués de presse selon lesquels Laïka est euthanasiée avant que le satellite ne soit détruit lors de sa rentrée dans l’atmosphère sont des mensonges éhontés.
Comme on peut s’y attendre, les stands français regorgent d’items intéressants, dont une station météorologique complète, une reproduction (fonctionnelle?) d’un volcan d’Afrique et un modèle réduit de la centrifuge humaine qui se trouve en banlieue de Paris. L’Office national d’études et de recherches aérospatiales (ONERA) profite de l’occasion pour présenter certaines de ses fusées expérimentales.
De fait, les éléments les plus impressionnants de Terre et Cosmos, ne serait-ce que physiquement, sont sans aucun doute les fusées exposées à l’extérieur. Il suffit de songer à une fusée expérimentale de l’ONERA connue par la suite sous le nom d’Antarès. Utilisée pour faciliter la conception d’ogives de missiles balistiques à tête (thermo)nucléaire à venir, un détail probablement tenu secret à l’époque, cette fusée de plus de 12 mètres (plus de 39 pieds) de haut effectue son premier vol en mai 1959.
Placée près d’un planétarium créé pour la durée de l’exposition, une reproduction grandeur nature, en bois et en tissu peints en rouge et en blanc, de la fusée Martin Vanguard de la United States Navy domine le site avec ses 23 mètres (75 pieds) de haut. Détail intéressant, ou pas, vous décidez, le chef du groupe responsable de la propulsion de cette fusée est un individu né en Allemagne qui vient au Canada en 1929, Kurt Richard Stehling, peut-être né Kurtiz Stehling. Vers 1936, alors qu’il étudie à la Central Technical School de Toronto, Ontario, cet adolescent fonde un club de fuséologie / fuséonautique, le premier au Canada semble-t-il. Stehling compte par ailleurs les membres fondateurs de la Canadian Rocket Society, un groupe créé en 1947, environ un an avant son départ vers les États-Unis.
La plupart des petits objets en exposition sont tout aussi intéressants. N’oublions pas, par exemple, un modèle réduit du FNRS IIII, un bathyscaphe belgo-français nommé d’après le Fonds national de la recherche scientifique belge qui atteint une profondeur record d’environ 4 050 mètres (environ 13 300 pieds) en février 1954. L’inventeur de ce type de sous-marin d’exploration est le physicien / océanaute / aéronaute suisse Auguste Piccard. Un auteur de bande dessinée belge connu entre tous, Hergé, né Georges Prosper Remi, est à ce point fasciné par ce chercheur qu’il s’en inspire pour créer, en 1943, un des personnages les plus populaires de l’univers qui entoure son héros mondialement connu, Tintin. Vous aurez évidemment reconnu le savant et inventeur distrait et dur d’oreille qu’est Tryphon Tournesol. Joyeux 75e anniversaire, professeur! Ce souhait arrive avec un peu de retard, ou d’avance, mais c’est l’intention qui compte.
Et oui, Tournesol est allé sur la Lune, avec Tintin, Milou et quelques autres personnes. Le roman graphique qui raconte cette histoire, On a marché sur la Lune, arrive en librairie en 1954. Cet épisode des aventures de Tintin paraît à l’origine dans l’hebdomadaire illustré belge Tintin entre mai 1952 et décembre 1953.
Si une carte postale montrant la version pilotée du C400, l’Atar volant du plus important fabricant de moteurs d’aéronefs français, la Société nationale d’études et de construction de moteurs d’avions (SNECMA), en vol non loin du site de Terre et Cosmos, est selon toute vraisemblance un trucage, il se peut que cet étrange véhicule expérimental à décollage et atterrissage verticaux soit en montre sur le site. Les visiteuses et visiteurs peuvent par ailleurs voir l’hélicoptère utilisé par l’explorateur / ethnologue / écrivain français Paul-Émile Victor lors d’une de ses récentes expéditions polaires.
Le moment est venu de conclure cet article et… Que dites-vous, ami(e) lectrice ou lecteur dont la curiosité demeure inassouvie? Qui est le Vladimir A. Kostroff mentionné dans la légende de la photo au début de cet article? Euh, à ma grande honte, je dois avouer savoir bien peu de chose à son sujet. Il œuvre apparemment dans un centre de recherche militaire, l’Institut de recherche 137, ou Nauchno-Issledovatel’skiy Institut 137. Kostroff et son équipe mettent au point le dispositif d’autodestruction monté sur les versions non-pilotées de la capsule spatiale Vostok lancées en 1960-61. Et oui, quand Youri Alekseïevitch Gagarine devient le premier être humain dans l’espace en avril 1961, il se trouve à bord d’une capsule de ce type.
Comme je le disais (tapais?) avant d’être interrompu, fort gentiment je dois le dire, le moment est venu de conclure cet article. À la semaine prochaine, si le monstre spaghetti volant le veut.