À vous de décider! – le programme de recrutement de domestiques antillaises (1955-1967)
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Le travail domestique désigne les tâches essentielles à l’entretien d’un foyer, notamment la préparation des repas, le nettoyage, la lessive et les soins aux enfants et aux personnes âgées. La demande en ouvriers et ouvrières domestiques au Canada a souvent dépassé l’offre des travailleurs nés au Canada qui souhaitent travailler dans ce domaine. Pour tenter de pallier ce déséquilibre, le gouvernement canadien a mis sur pied divers programmes de travail visant à recruter des femmes en Grande-Bretagne, aux États-Unis, en Europe et, éventuellement, dans les Caraïbes. Ainsi, de 1955 à 1967, le programme de recrutement de domestiques antillaises a permis à plus de 3 000 ouvrières originaires des Caraïbes, principalement de la Jamaïque, de la Barbade, de la Grenade, de la Guyane, de Saint-Vincent-et-les-Grenadines, de Sainte-Lucie et de Trinité-et-Tobago, de venir travailler en tant que domestiques au Canada.
Le travail d’entretien ménager a longtemps été dévalorisé dans la culture occidentale, considéré comme un travail non spécialisé, et par conséquent, les femmes avaient à endurer de piètres conditions d’emploi, dont de longues heures de travail, un maigre salaire et de mauvais traitements de la part des employeurs. Les femmes des Caraïbes qui ont émigré au pays grâce au programme de recrutement de domestiques antillaises ont toutes vécu des expériences très semblables, surtout en raison de leur origine culturelle, de leur niveau social, de leur sexe et de leur statut en matière de citoyenneté.
Ce manuel remis aux femmes participant au programme les informait de l’importance du programme et des rôles et tâches qu’elles devaient accomplir au Canada.
Programmes de recrutement de domestiques au Canada
Le premier programme de recrutement de domestiques a ciblé des femmes britanniques blanches à la fin du XIXe siècle. De nombreuses femmes nées au Canada refusaient d’intégrer ce secteur d’activité en raison des mauvaises conditions de travail, même si cela voulait dire d’accepter un emploi moins bien rémunéré dans un domaine plus traditionnel. Mais plutôt que d’améliorer les conditions de travail de ces travailleuses, le gouvernement a décidé de mettre en place un programme de recrutement. À l’époque, les femmes britanniques étaient les immigrantes les plus convoitées parce qu’elles avaient le potentiel de devenir les futures épouses et mères de la nation (Arat-Koc, 1997). Mais lorsque la Grande-Bretagne n’a plus été en mesure de répondre à la demande de main-d’œuvre du Canada, le gouvernement canadien s’est alors tourné vers d’autres pays pour aller y chercher des travailleuses.
Un précurseur du programme de recrutement de domestiques antillaises a été mis sur pied en 1911, lorsqu’une centaine de femmes de Guadeloupe ont été recrutées pour travailler au Québec. Mais le programme a rapidement été abandonné, surtout pour des raisons racistes, la population protestant que ces ouvrières n’étaient pas convenables sur les plans physique et moral (Arat-Koc, 1997). Pendant la récession de 1913 à 1915, alors que les Canadiens étaient prêts à accepter n’importe quel travail, le gouvernement a expulsé de nombreuses ouvrières ménagères antillaises de peur qu’elles ne deviennent dépendantes de l’aide gouvernementale.
L’immigration de domestiques antillaises vers le Canada n’a repris qu’en 1955, alors que des pays des Caraïbes ont tendu la main au gouvernement canadien à plusieurs reprises parce qu’ils voyaient ses programmes de recrutement comme un moyen de pallier leurs problèmes de chômage et de sous-développement. Au Canada, la demande en domestiques augmentait à mesure que de plus en plus de femmes blanches intégraient le marché du travail et quittaient leur foyer et que le bassin de main-d’œuvre européenne s’épuisait. Le Canada a alors vu dans ce programme un moyen de combler la demande et d’améliorer les relations commerciales avec les Caraïbes. Et contrairement aux programmes antérieurs, le programme de recrutement de domestiques antillaises avait été établi de manière à ce que ce soit les pays des Caraïbes qui assument la responsabilité et les coûts de recrutement, de formation, des tests médicaux et du transport des travailleuses.
Pour être admissibles au programme, les femmes devaient être célibataires, âgées de 18 à 35 ans et avoir réussi leur 8e année (1re secondaire). Elles obtenaient leur résidence permanente et devaient travailler pendant un an avant de pouvoir quitter leur poste.
Page d’un manuel en anglais ayant pour titre « Conseils aux femmes Antillaises recrutées pour travailler au Canada en trans qu'aides ménagères » (traduction).
1. Histoire Du Programme
(a) Vous savez probablement que, depuis 1955, le gouvernement canadien a accordé à certains territoires des Antilles un quota annuel visant l’admission de femmes antillaises au Canada en tant qu’aides ménagères.
(b) La poursuite de ce programme s’explique principalement par la bonne conduite et les services efficaces des aides ménagères antillaises qui ont été envoyées au Canada au cours des dernières années.
(c) Une merveilleuse occasion vous est offerte, mais vous avez également la responsabilité de vous montrer à la hauteur, afin que d’autres femmes antillaises puissent bénéficier de possibilités semblables dans les années à venir. Il s’agit d’une entreprise relativement nouvelle et vous devez vous considérer comme une missionnaire résolue à réussir tant dans votre intérêt que dans celui de toutes les autres qui vont vous succéder.
Expériences au Canada
Les femmes qui ont participé au programme ont subi des pressions de la part de leur pays d’origine pour assurer la réussite pérenne du programme. Elles recevaient des manuels donnant des conseils sur la santé et la sécurité, sur la façon de s’habiller, sur les différences culturelles, sur les conditions d’emploi, sur la bonne conduite et même sur la propreté et l’hygiène personnelles. On attendait d’elles qu’elles soient courtoises, polies, obéissantes et qu’elles s’acquittent de leurs tâches avec bonne humeur et efficacité.
Exiger docilité et soumission chez les femmes noires n’était pas chose nouvelle à cette époque. Avant l’abolition de l’esclavage au Canada, les femmes noires asservies et libres étaient le plus souvent chargées des tâches ménagères dans les foyers de leur esclavagiste ou employeur. On pensait que les femmes noires convenaient naturellement au travail domestique, et de nombreuses femmes noires nées au Canada étaient cantonnées dans ce domaine en raison du racisme dans le marché du travail (Johnson, 2022; Maynard, 2017).
Beaucoup de femmes qui ont participé au programme de recrutement de domestiques antillaises étaient très instruites, et sont venues au Canada pour diverses raisons, notamment pour poursuivre leurs études, découvrir le monde et échapper à la pauvreté. Toutefois, ces rêves s’évanouissaient souvent après leur arrivée au Canada. La plupart des femmes arrivaient seules et avaient du mal à s’intégrer à la communauté ou à s’adapter à la société canadienne. C’était particulièrement vrai pour celles qui travaillaient chez des familles dans des villes où il n’y avait que peu ou pas de population noire. Certaines femmes ont eu la chance d’avoir des employeurs qui les ont aidées à s’adapter à la vie au Canada et qui leur ont offert de bonnes conditions de travail, par rapport à d’autres qui ont plutôt exploité la vulnérabilité des femmes.
Certaines participantes devaient travailler de longues heures ou étaient sous-payées et forcées de partager leur chambre avec des enfants ou des animaux de compagnie, et étaient exagérément surveillées et contrôlées par leur employeur. Dans certains cas, elles faisaient l’objet d’insultes racistes et étaient victimes d’agressions sexuelles. Elles craignaient d’être expulsées si elles dénonçaient leurs conditions de travail, et certaines recevaient de leur employeur de l’information erronée sur leurs droits. Beaucoup de celles qui ont quitté leur poste à la fin de leur contrat ont subi de la discrimination raciale dans leur nouvel emploi et dans la société canadienne en général.
Pour faire face à l’isolement et à la solitude, beaucoup d’entre elles se sont tournées vers des églises et des groupes sociaux pour tisser des liens et accéder aux ressources dont elles avaient besoin. Pour celles qui avaient leur propre petit logement, des petits appareils comme des téléviseurs et des radios leur apportaient réconfort et divertissement. Elles faisaient des économies pour pouvoir se procurer un petit radio-transistor bon marché, comme sur l’image, pour pouvoir s’évader le temps d’un moment.
Exemple d’un poste de radio-transistor qu’aurait pu utiliser une femme participant au programme. Des milliers de ces appareils, comme celui-ci fabriqué par Electra, à Hong Kong, ont inondé le marché canadien dans les années 1960 à 1980. Ce modèle est doté d’une sortie pour écouteurs et s’apporte n’importe où grâce à son étui en cuir.
Conclusion
En 1967, le gouvernement du Canada a mis en place un programme d’immigration fondé sur des points, mettant fin au programme de recrutement de domestiques antillaises. Le nouveau système mettait l’accent sur la demande en immigrants très instruits et qualifiés. Par conséquent, de nombreuses travailleuses domestiques n’ont pas pu obtenir le statut d’immigrante indépendante puisque le travail d’entretien ménager était considéré comme un emploi non spécialisé. Plutôt que de prendre des mesures pour améliorer les conditions de travail des travailleuses antillaises, le gouvernement a cessé de leur accorder la résidence permanente, préférant délivrer des visas temporaires.
Page du rapport annuel de 1968 de la Jamaican Canadian Association qui fournissait aux membres de l’association des mises à jour sur l’organisme et des nouvelles importantes sur la communauté. Cet extrait rédigé par le président donne un aperçu de la façon dont l’association percevait le programme de recrutement de domestiques antillaises et des préoccupations entraînées par sa fin officielle, en 1968. La JCA continue de fournir soutien et ressources aux membres de la communauté jamaïcaine au Canada.
Page d’un rapport annuel en anglais. Traduction du texte : Mesures à prendre – femmes à la recherche d’un emploi en travail ménager : le programme du gouvernement a pris fin. Pourtant, le travail domestique est une catégorie d’emploi considérée comme étant en pénurie et pour laquelle les jeunes femmes peuvent obtenir un visa en tant que candidates indépendantes si elles en font la demande en jamaïque. Toutefois, il n’existe aucun mécanisme pour mettre en lien les employeurs et employées potentiels. Par conséquent, le système ouvre la porte aux abus, et des mercenaires pourraient s’installer en tant qu’intermédiaires, au détriment des jeunes filles concernées. Nous avons déjà reçu des plaintes concernant une agence de réputation douteuse à cet égard. Bien que nous ayons détesté le programme, il a ouvert des possibilités pour des personnes économiquement défavorisées. Nous proposons de combler cette lacune en acceptant des demandes de domestiques de façon très sélective. On peut communiquer avec la central St. Andrew Housewives Association, à Kingston, qui examinera et sélectionnera les candidates.
Avec le temps, ce type de service pourra être étendu à d’autres métiers; l’association deviendra en quelque sorte le registre des travailleurs et travailleuses jamaïcains.
Nous devons établir une liste de bénévoles disposés à effectuer des tests dans des appartements, des institutions ou des entreprises où des pratiques discriminatoires sont soupçonnées.
Les femmes qui ont participé au programme de recrutement de domestiques antillaises ont contribué à favoriser l’émigration de toute une génération de Noirs au Canada. Beaucoup de celles qui ont quitté le secteur du travail ménager ont toutefois continué de soutenir les nouvelles domestiques et ont lutté pour leurs droits. Par exemple, Florence Robinson, qui est arrivée à Ottawa dans les années 1950, a transformé sa maison en un lieu d’accueil pour les nouveaux arrivants, et Jean Augustine, originaire de la Grenade, est devenue la première femme noire à siéger à la Chambre des communes. De nombreuses femmes ont contribué à la création et à la croissance de plusieurs organismes qui offraient un sens de communauté, des ressources et des services de défense des intérêts aux travailleurs et travailleuses domestiques, dont la Negro Citizenship Association, la Jamaican Canadian Association et Domestic Workers United.
Lectures Complémentaires :
(en anglais seulement)
Arat-Koc, Sedef. “From ‘Mothers of the Nation’ to Migrant Workers.” In Not One of the Family :
Foreign Domestic Workers in Canada. Edited by Abigail B. (Abigail Bess) Bakan and
Daiva K. Stasiulis. Toronto: University of Toronto Press, 1997.
Blackett, Adele. Everyday Transgressions: Domestic Workers’ Challenge to
International Labour Law. Cornell University Press, 2019.
Capital Heritage Oral History Project with West Indian Domestic Scheme participants:
Johnson, Michele A. ““...not likely to do well or to be an asset to this country”: Canadian
Restrictions of Black Caribbean Female Domestic Workers, 1910-1955.” In Unsettling
the Great White North. Edited by Michele A. Johnson and Funké Aladejebi. Toronto:
University of Toronto Press (2022): 280-309.
Maynard, Robyn. Policing Black Lives: State Violence in Canada from Slavery to the Present.
Black Point: Fernwood Publishing, 2017.
Silvera, Makeda. Silenced: Caribbean Domestic Workers Talk With Makeda Silvera. Toronto:
Sister Vision Press, 1983.
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