Artefacts numériques : une approche archéologique pour la recherche au sein des collections
Le développement et l’adoption des ordinateurs et la révolution numérique qui a suivi ont aidé les gens à transformer la société canadienne et son écosystème scientifique et technologique. Alors que la culture matérielle des objets scientifiques et technologiques peut être préservée à l’aide de méthodes établies, les musées ont eu du mal à sauvegarder leurs composantes numériques . Pour éviter la perte du patrimoine numérique du Canada, Kavita Mistry, candidate au doctorat, aide Ingenium à rechercher comment documenter, récupérer, restaurer, préserver et accéder aux artefacts numériques.
Avez-vous déjà songé à la vie avant les applis?
Vivant à une époque où les technologies évoluent à la vitesse de l’éclair, nous oublions souvent les origines des applications créées pour nos téléphones intelligents, de même que leur transformation graduelle en ces programmes « nuagiques » qui font dorénavant partie intégrante de notre quotidien. Mais d’où viennent-elles donc, et pourquoi cette question importe-t-elle?
Au Musée des sciences et de la technologie du Canada, nous nous sommes donné comme mission de redécouvrir les logiciels ancestraux, ce que certains pourraient reconnaître comme une icône de sauvegarde, de même que ces petits objets synthétiques sur lesquels on enregistrait nos données, comme les disquettes et les CD-ROM. Ici, j’appellerai ces choses informatiques destinées à un usage précis des « artefacts numériques ». Or, ces artefacts qui ont grandement contribué à l’essor du pays et qui en constituent le patrimoine technologique sont en train de disparaître progressivement de nos mémoires collectives, entraînant d’énormes problèmes en nous propulsant dans une sorte d’âge des ténèbres numériques.
Comment sortir de l’âge des ténèbres numériques?
Terry Kuny, expert en technologies de l’information et des communications, décrit les ténèbres numériques comme étant la perte des connaissances liées au développement, au fonctionnement et à l’évolution des artefacts numériques. Nous sommes dorénavant tellement habitués à télécharger des logiciels du « nuage » que nous avons perdu toute référence sensorielle vis-à-vis de ces artefacts; nous n’avons plus à nous rendre en boutique pour explorer les produits et demander au personnel de nous en recommander, à nous interroger sur la compatibilité de la disquette ou du CD-ROM que nous avons en main, ou à démarrer un programme dans notre ordinateur en entendant son « ronronnement » caractéristique. Ah, nostalgie, quand tu nous tiens!
Inspection d’un ordinateur Atari 400 et de sa cartouche de langage BASIC dans la collection d’Ingénium (artefacts 2002.0379.001 et 2002.0379.002).
Mais ce ne sont pas que nos références sensorielles qui s’effacent, les objets eux-mêmes disparaissent aussi. Les disquettes, CD-ROM et autres éléments jugés obsolètes par rapport aux logiciels qu’on obtient en ligne se perdent peu à peu; certaines générations n’en ont même jamais manipulés.
À Ingenium, nous voulons recréer ces références sensorielles avec les « antiquités » du début des années 1970, comprendre l’importance des histoires qui s’y rattachent et, ultimement, combattre la venue d’un éventuel âge des ténèbres numériques. Or, si on veut préserver ces artefacts pour les générations actuelles et futures, il faut commencer par déterminer ce que nos collections contiennent déjà.
Des « fouilles archéologiques » au sein des collections
Pour ce projet, j’ai décidé d’adopter une approche de fouilles archéologiques, parce qu’il fallait notamment effectuer une investigation systématique du passé au présent par le biais d’études de cultures matérielles. Je pourrais ainsi vivre des aventures et découvertes passionnantes à la « Indiana Jones », mais avec beaucoup moins de boue sur les vêtements!
Dans le cadre de mes « fouilles », j’ai déniché 626 artefacts numériques, dont des supports programmables comme des disquettes, des CD-ROM, des cartouches, des cassettes, des rubans magnétiques et des clés USB. Fantastique! Mais que signifient ces objets et comment s’insèrent-ils dans les collections? Comme pour toute fouille archéologique, il est essentiel de contextualiser ce qu’on déterre; c’est en comprenant mieux ce qui entoure nos trouvailles qu’on peut dévoiler les mystérieux secrets de l’Histoire.
Image gallery
Fourchette et couteau Slow Control 10S (artefacts 2016.0143.001 et 2016.0143.003), présentés dans le cadre de l’exposition La technologie du quotidien au Musée des sciences et de la technologie du Canada.
En quête de contexte, je me suis lancée à la recherche d’appareils informatisés allant des robots aux accessoires de jeux vidéo qui devaient utiliser des programmes plus anciens aux plus récentes applications intelligentes pour effectuer des tâches précises. Ces recherches archéologiques m’ont permis de révéler de nombreuses interconnexions entre objets, en me faisant réaliser l’importance des artefacts numériques pour ce qui est de la signification de diverses technologies informatiques. Prenons la fourchette Slow Control. À première vue, il ne s’agit que d’un simple ustensile, mais lorsqu’on l’associe à l’appli du même nom, elle se transforme en un outil conçu pour favoriser la santé et combattre les mauvaises habitudes alimentaires.
De gauche à droite, ordinateur Atari 400 et sa cartouche de langage BASIC (artefacts 2002.0379.001 et 2002.0379.002), à côté d’un téléphone intelligent Samsung avec ses applis à l’écran.
En étudiant les artefacts numériques et les technologies qui les emploient, nous pouvons brosser un tableau de l’évolution de l’informatique, des premiers ordinateurs aux appareils intelligents que nous portons sur nous tous les jours. Nous pouvons ainsi constater les changements structurels qui se sont opérés jusqu’à la fusion complète de tous les éléments, et voir comment les interactions et expériences humaines avec ces derniers ont traversé les époques.
Vive l’archéologie!
Excelsior! Visons plus haut, visons plus loin!
Bien que ce projet ne constitue que le début d’une initiative plus vaste de préservation à Ingenium, il ouvre la voie vers des travaux, des stratégies et des découvertes qui nous permettront d’atténuer les risques de subir un déplorable âge des ténèbres numériques. À mesure que nous découvrirons de nouveaux artefacts, nous approfondirons notre compréhension de la place de chaque objet dans nos installations, de même qu’au sein du patrimoine canadien en matière d’innovation technologique.
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