Une voie lactée de l’Irlande du nord à l’Angleterre
Bienvenue à vous, ami(e) lectrice ou lecteur. C’est avec une certaine appréhension que je vous propose l’histoire suivante qui a son lot de difficultés et, malheureusement, de tragédie. Cela étant dit (tapé?), cette histoire en est aussi une dans laquelle des équipages courageux font tout pour aider leurs semblables. En tant que tel, elle valait et vaut la peine d’être racontée. Après vous avoir présenté ces mots d’avertissement, votre humble serviteur va maintenant placer en contexte notre sujet de la semaine, trouvé dans le numéro du 7 octobre 1948 du journal hebdomadaire Photo-Journal, publié à Montréal, Québec.
S’il est vrai que le Royaume-Uni est un des principaux contributeurs à la victoire des Alliés lors de la Seconde Guerre mondiale, la triste vérité est qu’en 1945, cette grande puissance n’est qu’une ombre de ce qu’elle était avant le conflit. Contrairement au Canada et aux États-Unis, dont la situation économique est meilleure après le conflit qu’avant celui-ci, le Royaume-Uni est à toute fin utile en faillite. En conséquence, le gouvernement se voit dans l’obligation de maintenir le rationnement des produits alimentaires en vigueur jusqu’en juillet 1954. Une mauvaise sécheresse estivale en 1947, venant après le terrible hiver de 1946-47, frappe durement le peuple britannique. Si peu de lait frais parvient dans certaines parties de l’Angleterre que les populations locales ne parviennent souvent pas à obtenir la maigre ration (environ 1.4 litre / 2.5 pintes impériales / environ 3 pintes américaines par semaine et par personne) qui leur est attribuée. Pis encore, l’absence de camions frigorifiques et l’absence quasi totale de réfrigérateurs domestiques signifient que tout le lait qui arrive surit dans les 48 heures.
Confronté à cette situation, le Ministry of Food décide de mener une action audacieuse, en coopération avec le Ministry of Agriculture d’Irlande du Nord, où il y a beaucoup de lait. Skyways Limited, une des plus grandes compagnies aériennes britanniques indépendantes / privées, reçoit un contrat pour le transport du lait par avion, de Belfast, Irlande du Nord, à Liverpool, Angleterre, pour distribution dans le nord-ouest de l’Angleterre. Les 3 Avro Lancastrian de la compagnie, une version civile du célèbre bombardier lourd de nuit Lancaster, devraient faire 4 allers-retours par jour avec plus de 100 barattes de 45 litres (10 gallons impériaux / 12 gallons américains) à bord. L’absence de système de chargement mécanisé signifie que chacune de ces barattes doit être chargée et déchargée à la main - un parfait exemple de travail éreintant s’il y en a un. Au total, Skyways devrait transporter environ 63 650 litres (14 000 gallons impériaux / environ 16 800 gallons américains) de lait par jour. Et oui, la collection du Musée de l’aviation et de l’espace du Canada à Ottawa, Ontario, comprend un Lancaster de fabrication canadienne.
Le programme expérimental, qui débute en août 1947, atteint rarement son objectif quotidien. Le mauvais temps empêche souvent les équipages de Skyways de voler. Pis encore, un Lancastrian s’écrase au décollage en Irlande du Nord au début du mois d’octobre. Un des 3 membres d’équipage a une cheville fracturée. Le pont aérien de lait de 1947 prend fin au début de novembre. Le temps déjà mauvais s’aggrave à mesure que l’hiver approche et la sécheresse en Angleterre elle-même s’achève. Bien que le pont aérien de lait de 1947 ne soit qu’un succès partiel, les personnes et ministères concernés ont beaucoup appris. Et oui, chaque litre / gallon de lait est vendu à perte aux consommatrices et consommateurs.
Une pénurie de lait affecte malheureusement certaines parties de l’Angleterre pendant l’été 1948. En conséquence, le Ministry of Food doit mettre en place un deuxième pont aérien. Ce programme de 1948 est beaucoup plus important et mieux organisé que son prédécesseur. Pas moins de 13 avions fournis par 7 compagnies aériennes indépendantes voyagent entre l’Irlande du Nord (Belfast) et l’Angleterre (Blackpool et Liverpool), par exemple. Un autre opérateur loue un avion à une des compagnies aériennes concernées. Neuf des 14 avions impliqués dans le dit pont aérien sont de grosses machines à 4 moteurs capables de transporter 110 barattes. Les 5 autres sont des avions plus petits, des Douglas DC-3 si vous devez le savoir, capables de transporter 56 barattes. Et oui, la superbe collection du Musée de l’aviation et de l’espace du Canada comprend un DC-3, et un très important en fait. Soit dit en passant, deux des gros avions sont des Consolidated Liberator, un autre type trouvé dans la collection de ce susmentionné musée national du Canada.
Une autre vue de l’avion de transport Halifax de Lancashire Aircraft que nous avons vu plus tôt. De nombreuses barattes de lait sont visibles au premier plan. Anon., « Here and there – Air float. » Flight, 9 septembre 1948, 290.
Une des compagnies aériennes qui prend part au pont aérien est, vous l’aurez deviné, Lancashire Aircraft, la société mentionnée dans la légende de la photo au début de cet article. Sa contribution consiste en 2 avions de transport Handley Page Halifax et ... Oui, savant(e) ami(e) lectrice ou lecteur, vous avez tout à fait raison. Similaire en apparence et en capacité au susmentionné Lancaster, le Halifax est principalement connu pour son rôle de bombardier lourd de nuit pendant la Seconde Guerre mondiale. Ceci étant dit (tapé?), un des Halifax fourni par Lancashire Aircraft, sinon les deux, sont des ex-avions de transport de la Royal Air Force.
Souhaitez-vous lire quelques mots sur l’histoire de Lancashire Aircraft? Non? Ahh, c’est dommage. Cette compagnie aérienne indépendante est un joyau de Eric Rylands Limited, une société appartenant à un entrepreneur en aviation civile du nom de, vous l’aurez deviné, Eric Rylands. De fait, Lancashire Aircraft fait l’acquisition de la susmentionnée Skyways en 1952. Il est intéressant de noter que, lorsque certaines filiales de Eric Rylands commencent à manquer de travaux de nature aéronautique (stockage, ferraillage, réparation, etc.), à la fin des années 1940, elles commencent à fabriquer des châssis pour des autobus à 2 étages usagés et neufs. Vous pourriez être intéressé(e) de lire, ou non, qu’une compagnie aérienne britannique indépendante, Silver City Airways Limited, acquiert Lancashire Aircraft en 1956. Une autre, Euravia Limited, achète Skyways en 1962, mais revenons à notre histoire.
Afin de veiller à ce que les populations des régions touchées de l’Angleterre reçoivent leur ration de lait, le Ministry of Food place la barre très haute. Les équipages des 14 avions de transport devraient effectuer 60 à 70 allers-retours par jour pour atteindre leur objectif de 227 500 litres (50 000 gallons impériaux / environ 60 000 gallons américains) de lait. Pendant une brève période, l’aéroport de Belfast est le plus fréquenté du Royaume-Uni. Dans l’espoir de mieux gérer ce trafic, les autorités britanniques installent un radar d’approche contrôlée au sol à cet aéroport et à celui près de Liverpool. Ils amènent aussi des contrôleurs de la circulation aérienne supplémentaires. Il va sans dire que des centaines d’hommes travaillent sans relâche à Belfast, Blackpool et Liverpool pour charger et décharger les lourdes barattes. Et oui, chaque litre / gallon de lait est de nouveau vendu à perte aux consommatrices et consommateurs.
Le pont aérien de 1948 commence à la fin d’août. Le plan du Ministry of Food est de poursuivre les vols jusqu’à la fin octobre. Bien que le mauvais temps réduise le nombre de vols certains jours, la plus grande partie du lait nécessaire aux habitants de l’Angleterre atteint sa destination. Le succès de l’opération est entaché par la mort, fin septembre, des 4 membres d’équipage d’un avion en route vers l’Angleterre. Un autre avion touche le sol avant la piste, en Angleterre, à la mi-octobre. Son équipage s’en tire apparemment indemne.
Le pont aérien de 1948 prend fin à la mi-octobre, plus tôt que prévu. Cela tient principalement à 2 raisons. D’une part, la pénurie de lait n’est plus aussi critique. D’autre part, les avions de transport sont nécessaires ailleurs – un point que le ministère des affaires étrangères / extérieures / mondiales britannique, le Foreign Office, défend avec force.
Vous voyez, ami(e) lectrice ou lecteur, au début de 1948, les gouvernements américains, britanniques et français commencent secrètement à planifier la création d’un état dans la moitié ouest de l’Allemagne qu’ils occupent. Le gouvernement soviétique apprend ce qui se passe en mars et est très mécontent. Lorsque ses anciens alliés introduisent une nouvelle monnaie dans cette partie occidentale de l’Allemagne, y compris la partie ouest de Berlin, dans l’espoir de reprendre le contrôle de l’économie, le gouvernement soviétique réagit en lançant sa propre monnaie en Allemagne de l’est. Il bloque également tous les accès par route, chemins de fer et canaux aux secteurs de Berlin occupés par les États-Unis, la France et le Royaume-Uni.
Convaincus de la nécessité de se tenir debout, les 3 gouvernements ordonnent à leurs forces aériennes de fournir la nourriture et le carburant dont la population de Berlin-Ouest a besoin. Le pont aérien de Berlin commence en juin 1948, quelques jours après le début du blocus soviétique. Il continue jusqu’en mai 1949, lorsque le gouvernement soviétique desserre son emprise sur la moitié ouest de la ville. Ce blocus est l’une des premières crises internationales majeures de l’après-Seconde Guerre mondiale. Pis encore, les tensions demeurent élevées après sa fin. La Guerre froide est là pour rester.
Et non, l’Aviation royale du Canada, une force aérienne alors connue sous le nom de Corps d’aviation royal canadien, ne participe pas au pont aérien de Berlin. Le gouvernement fédéral choisit de ne pas s’impliquer. Cela étant dit (tapé?), quelques pilotes canadiens participent au pont aérien.
Sur ce, ami(e) lectrice ou lecteur, au revoir, farewell, auf wiedersehen et do svidaniya.