La Lune est une des stations de vacances les plus relaxants de l’univers. Appelez-nous, aujourd’hui, pour un pamphlet d’information gratuit!
Un grand bonjour, ami(e) lectrice ou lecteur. Vous serez heureuse / heureux d’apprendre (lire?), ou pas, que notre sujet de la semaine a, oh surprise, un lien direct avec les principaux champs d’activités de mon auguste employeur, le Musée de l’aviation et de l’espace du Canada, à Ottawa, Ontario. Votre humble serviteur a trouvé le dit sujet alors que je parcourais Le Petit Journal. Plus précisément, je parcourais l’édition du 25 mai 1969 de cet hebdomadaire de Montréal, Québec, aujourd’hui disparu.
Aimeriez-vous être sur la Lune afin d’y passer vos vacances, ami(e) lectrice ou lecteur? Être ou ne pas être, telle est la question, si je peux me permettre de citer, hors contexte et en traduction, le grand William Shakespeare.
Arthur Prévost montrant sa réservation pour le premier voyage organisée vers la Lune. Arthur Prévost, “Sur la mer des Pluies sans… parapluie – Arthur Prévost a fait sa demande pour aller sur la Lune; c’est accepté…” Le Petit Journal, 25 May 1969, 7.
Un journaliste montréalais qui prend sa retraite en janvier 1969 répond à cette question par l’affirmative quelques mois plus tard. De fait, il ferait partie du premier contingent de touristes lunaires. Cet homme de presse unique en son genre, curieux, polyvalent, aimant à rire et amateur de bonne chair, s’appelle Arthur Prévost. Au cours d’une remarquable carrière qui débute en 1936, ce grand voyageur devant l’éternel travaille pour une multitude de quotidiens et hebdomadaires, pour ainsi dire tous disparus aujourd’hui : Le Canada, Le Devoir, Le Jour, Montréal Matin, La Patrie, Le Petit Journal, Photo-Journal, Le Samedi, Samedi-Dimanche, etc. Avez-vous identifié la publication qui existe encore en 2019, ami(e) lectrice ou lecteur? Le Devoir, dites-vous? Félicitations. Buvez un grand verre d’eau à ma santé.
Croiriez-vous que le tout dernier article de Prévost s’intitule apparemment « À l’époque où Guy Mauffette portait sur lui une patate pour soigner ses rhumatismes »? Si je peux me permettre une brève digression, Mauffette est un acteur de théâtre et de télévision, animateur de radio, poète et réalisateur de radio romans québécois bien connu. En ce qui concerne la pomme de terre, je vous suggère de ne pas rigoler trop vite. L’application d’un cataplasme fait de pelures de cet humble tubercule sur une articulation douloureuse, le tout maintenu en place toute la nuit par une bande de tissu bien serrée, compte en effet parmi les remèdes de certaines de nos grands-mères, mais revenons à nos moutons – et à notre voyage dans la Lune.
Au printemps 1969, la compagnie charter américaine Trans International Airlines Incorporated (TIA), une filiale d’une grosse compagnie d’assurances, Transamerica Corporation, depuis 1968, fait parvenir une réservation officielle à Prévost ainsi qu’un pamphlet intitulé TIA Travel Guide – Charters to the Moon. Entièrement fictif, le dit pamphlet fournit des informations sur un séjour sur la Lune dans un avenir rapproché.
TIA semble être le premier transporteur aérien à se lancer dans l’aventure du tourisme lunaire. Et oui, ami(e) lectrice ou lecteur parfois un peu trop sérieuse / sérieux, on peut se demander si TIA, « le transporteur aérien innovateur, » agit de la sorte à des fins purement publicitaires.
Il est à noter que TIA peut être la première compagnie charter ayant utilisé des avions de ligne à réaction, au cours des années 1960. Au cours de cette même décennie, cette société introduits des tarifs économiques fort appréciés sur ses vols transatlantiques, mais revenons à notre histoire.
TIA choisit la première agente de bord pour ses voyages lunaires dès juillet 1969, le mois même pendant lequel 2 des 3 astronautes de Apollo 11 se posent sur la Lune. À l’emploi de la société depuis quelques mois, cette jeune femme a pour nom Darlene Robertson. Une photo montre Miss Around the World, un titre gagné lors d’un concours de beauté tenu à Hollywood, Californie, portant un costume spatial plus ou moins loufoque, le Environmental Variance Equalizer.
Que dites-vous, ami(e) lectrice ou lecteur? TIA n’est pas le premier transporteur aérien à se lancer dans l’aventure du tourisme lunaire? Non, sans blague? Racontez-moi.
Cette histoire débute en 1964, à Vienne, Autriche, lorsqu’un journaliste et auteur, Gerhard Pistor, visite une agence de voyage afin d’acheter un biller d’avion, euh, de fusée, pour la Lune. Quelque peu perplexe, et / ou amusée, la dite agence contacte Pan American World Airways Incorporated, un transporteur aérien mentionné dans des numéros de novembre 2017 et mai 2019 de notre blogue / bulletin / machin. Quelque peu perplexe, et / ou amusé, le dit transporteur aérien accepte néanmoins la réservation environ 2 semaines plus tard, ajoutant que le vol vers la lune devrait avoir lieu vers l’an 2000.
Les choses en restent là jusque vers 1968. Le succès colossal de la missions Apollo 8, sans parler de celui, tout aussi colossal, de 2001 : Une odyssée de l’espace, viennent changer la donne. Ne l’oublions pas, l’avion spatial de ce classique de la science fiction cinématographique porte les couleurs de Pan American World Airways. La direction de ce transporteur aérien décide par conséquent de faire la promotion de sa liste d’attente vers la Lune, et ce aussi bien à la radio qu’à la télévision. La fascination du public ne cessant de grandir, Pan American World Airways crée le club First Moon Flights. Dans une lettre envoyée à tous les membres, le transporteur aérien les prévient à la blague que les tarifs ne sont pas entièrement définis, et pourraient être hors de ce monde. Et oui, 2001 : Une odyssée de l’espace est mentionné dans des numéros de juillet 2018 et janvier 2019 de notre blogue / bulletin / machin.
Entre 1968 et 1971, Pan American World Airways émet non moins de 93 000 cartes de membres du club First Moon Flights à des passionné(e)s de l’espace de 90 pays aussi divers que l’Équateur, les États-Unis, le Ghana, l’Islande, le Nicaragua, la Nouvelle-Zélande et la Pakistan. Certaines de ces personnes sont bien connues du public. Il suffit de songer à Walter Leland Cronkite et Ronald Wilson Reagan. En 1971, confronté à des problèmes financiers qui ne lui permettent plus de répondre à toutes les demandes, Pan American World Airways se voit dans l’obligation de ne plus accepter de nouveaux membres. Cela étant dit (tapé?), le transporteur aérien insiste encore en 1989 qu’il va rembourser les frais d’adhésion au club First Moon Flights. Sa mise en faillite en 1991 met fin à ce grand rêve.
Un grand merci pour cette information, ami(e) lectrice ou lecteur. Souhaitez-vous explorer les monts et les vaux du pamphlet de TIA, une fois son texte traduit en français? Fort bien.
Cette brochure est préparée spécialement pour l’agent de voyages en tant que guide à utiliser dans la planification, pour ses clients, de futurs voyages charters hors du commun. En tant que principal transporteur aérien charter, TIA est fière d’aider les agents de voyages à se préparer pour l’avenir, tout comme nous travaillons ensemble dans le présent.
----
la lune: terre de vacances pour le monde entier
¤ Profitez de votre séjour sur la Lune, une des stations de vacances les plus relaxantes de l’univers. Ses attributs uniques comprennent : une atmosphère sans smog, aucune pluie ou neige, aucun souffle de vent, et un silence profond. ¤ Votre hôtel, le Luna, est situé dans la mer des Pluies – qui n’est, bien entendu, pas une mer (pas plus que la lune n’a de pluies)… plusieurs des caractéristiques géographiques exceptionnelles de la Lune, telles que l’océan des Tempêtes et la mer des Humeurs, ont été nommés avant qu’on ne sache qu’il n’y a pas d’eau ici. ¤ Avant de partir pour un voyage à la surface de la Lune, (et assurez-vous de voyager avec un guide expérimenté), rappelez-vous que le soleil reste au-dessus de l’horizon deux semaines à la fois – prenez donc des dispositions pour rentrer à votre hôtel avant le coucher du soleil, parce que la nuit de deux semaines est le noir le plus profond et le plus sombre que l’homme connaisse. Et, si votre combinaison spatiale vous gardera à l’aise à la température diurne habituelle de [101 ° Celsius] 214 ° [Fahrenheit], les températures nocturnes tombent à un frisquet [– 157 ° Celsius] 250 en dessous de zéro… ce qui liquéfierait l’air s’il y en avait le moindrement. ¤ Puisqu’il n’y a pas d’eau ni d’air ici, il n’y a pas de variation du temps – jamais de nuage, jamais de tempête. Le temps est toujours le même – froid du côté sombre de la Lune, chaud du côté éclairé.
----
Points d’intérêt : des attractions lunaires que vous voudrez voir
Certainement une des expériences les plus dramatiques de la vie!
Les caractéristiques les plus importantes du satellite lunaire sont les milliers de plaines ou de cratères murés. De hautes montagnes dominent le ciel noir; la surface de la Lune est parsemée de cratères de [plus d’un mètre environ] quelques pieds jusqu’à un assez grand pour contenir le Connecticut. Les parties du paysage lunaire que nous voyions à l’aide de télescopes comme des « zones sombres » sont, comme vous vous en rendrez compte, des mers de lave qui se sont répandues à la surface des millions d’années après la formation des cratères, qui sont de grandes fosses circulaires avec des sols en contrebas et bordés de hauts remparts montagneux. Vous visiterez :
La plaine de Bailly – Le plus grand cratère de la Lune, [presque 275 kilomètres] de plus de 170 milles de diamètre. À l’intérieur de ses murs, le cratère n’est pas vraiment une fosse, mais une plaine en forme de soucoupe.
Cratère Tycho – Assez grand pour contenir tout le Rhode Island. Les murs dominent à [4 575 mètres] 15 000 pieds au-dessus du sol. À l’intérieur du cratère se trouve une chaîne de montagnes immense et déchiquetée. Des crêtes de lave sortent du cratère comme des rayons de roue.
Cratère Newton – Les murs ne sont pas très élevés au-dessus du terrain environnant. Newton ressemble à un trou bordé – mais quel trou! Il a [9 515 mètres] 29 000 pieds de profondeur. Si nous y laissions tomber notre plus grande montagne himalayenne, même le sommet de l’Everest ne dépasserait pas.
Cratère Linné – Un autre paysage lunaire unique. Linné est une fosse profonde et petite dans la crête d’une coupole entourée d’un désert blanc. En 1843, il était perçu comme un cratère profond et proéminent au milieu de la mer de Sérénité. En 1865, un astronome allemand l’a vu tel qu’il apparaît maintenant. Qu’est-il arrivé? Probablement un tremblement de Lune, provoquant l’effondrement des murs de l’ancien cratère dans le dépôt désertique qui entoure maintenant le plus petit cratère. Linné présente le seul changement dans le paysage lunaire depuis le développement du télescope céleste il y a des centaines d’années.
----
ajout de notes sur l’itinéraire de la lune
Pour les personnes qui souhaitent visiter la Lune pendant les « jours libres » de leur visite… à un rythme tranquille, à leur rythme… et pour celles et ceux qui souhaitent découvrir de nombreuses surprises agréables et inoubliables dont on ne fait habituellement pas l’expérience lors de visites ordinaires : songez à votre propre Budget Rent-a-Mooncar.
La carte photographique de la Lune dans ce pamphlet, qui comprend des itinéraires touristiques et des points d’intérêt numérotés, vous donne tout ce dont vous avez besoin pour une visite agréable et mémorable de la belle Lune.
Après votre voyage reposant de 63½ heures à bord du TIA « 949 » Super Spacecraft (vous voyagez à une vitesse maximale de [57 930 kilomètres / heure] 36 000 miles / heure – six fois la vitesse de la balle la plus rapide!), après avoir relaxé dans votre hôtel de luxe Luna, rappelez-vous – Budget Rent-a-Mooncar dessert toute la Lune, avec les derniers modèles de véhicules de surface. Bureaux : Cratère Copernic.
----
se promener sur la lune
Pour une expérience unique, essayez une « balade lunaire. » La force de soutien de la surface lunaire est bien supérieure à ce que l’on pensait auparavant.
Vous constaterez que le sol lunaire est un lit sombre, poreux, dur et ressemblant à de la lave. Il n’y a pas d’épaisse couche de poussière blanche; en fait, pas de poussière.
Vous pouvez marcher facilement et sans effort sur la surface de la Lune. Mais ne marchez pas trop vigoureusement et n’essayez pas de courir ou vous pourriez littéralement « sauter sur la Lune, » car la force de gravité n’est qu’un sixième de celle de la Terre.
Le contenu de ce pamphlet n’est-il pas fascinant, ami(e) lectrice ou lecteur, et ce en dépit de quelques petites erreurs, bien compréhensibles d’ailleurs? La Lune, par exemple, est à la fois plus chaude et plus froide que ne l’imagine le commun des mortels en 1969 : environ 123° Celsius (environ 253° Fahrenheit) le jour et environ – 233° Celsius (environ – 387° Fahrenheit) la nuit.
Vu que l’air se liquéfie à environ – 194° Celsius (about – 350° Fahrenheit), la / le ou les auteur(e)s du pamphlet sont dans l’erreur lorsqu’elle(s) ou il(s) disent que ce mélange de gaz préservant la vie serait un liquide sur la face cachée de la Lune. Ironiquement, ce que nous savons aujourd’hui sur notre satellite et ses températures les plus froides confirme que l’air serait un liquide sur sa face cachée, à supposer qu’il soit à l’intérieur d’un contenant scellé.
En ce qui concerne le cratère Newton, le plus profond sur la face visible de la Lune, des travaux récents établissent sa profondeur à environ 6 100 mètres (20 000 pieds). Si nous y laissions tomber notre plus grande montagne himalayenne, le sommet du mont Everest / Chomolungma dépasserait.
Pour ce qui est du cratère Linné, c’est en 1866, et non pas en 1865, qu’un astronome et astrophysicien connaissant fort bien la Lune, Johann Friedrich Julius Schmidt, fait son étonnante et controversée découverte. Il s’avère en fin de compte que l’aspect du cratère n’a pas changé. Il est tout bonnement difficile à observer.
Votre humble serviteur doit par ailleurs avouer que j’ai été surpris par la vitesse de la balle mentionnée dans le pamphlet. Aucun projectile tiré par une arme à feu en 2019 ne va aussi vite.
Contrairement à ce qu’affirme la brochure de TIA, il y a de la poussière sur la Lune. Et quelle poussière! Elle est aussi fine que de la farine mais aussi rugueuse que du papier abrasif. Il peut être difficile de nettoyer les lentilles des caméras et les visières des casques sans les égratigner. Pis encore, la poussière lunaire peut gommer les articulations des combinaisons spatiales et user certaines de leurs surfaces extérieures. Il se peut par ailleurs qu’elle soit toxique si on y est exposé pendant longtemps.
L’importance de bien protéger les astronautes, et les touristes, fait en sorte que les combinaisons spatiales tendent à être assez lourdes et encombrantes. Si la faible force de gravité de notre satellite rend les choses plus faciles en matière de poids, les astronautes et, plus encore, les touristes doivent faire preuve de prudence lors de leurs déplacements. Se relever après une chute peut s’avérer difficile.
Avant que je ne l’oublie, vous vous souviendrez évidemment que le cratère Tycho est l’endroit où l’anomalie magnétique au cœur du susmentionné 2001 : Une odyssée de l’espace se trouve.
Il est à espérer que Prévost ne dépense pas une somme importante pour obtenir sa réservation hors de ce monde. En effet, le voyage lunaire proposé par TIA demeure un simple projet – à supposer bien sûr que cette société envisage sérieusement d’envoyer des touristes sur la Lune. De fait, aucun touriste n’a encore posé le pied sur notre satellite lorsque Prévost quitte ce monde, en novembre 2004, à l’âge de 94 ans. Cette situation est tout aussi vraie en 2019.
Et non, je n’ai nullement l’intention d’acheter un billet pour aller sur la Lune, et encore moins sur Mars.