Forger leurs épées en socs dans le grand état du Montana
Vous semblez perplexes, ami(e) lectrice ou lecteur. L’expression « bombe à eau » est-elle nouvelle pour vous? Ne craignez point, votre humble serviteur a une explication. Notre histoire, une triste histoire, commence vers 1925 avec l’un des feux de forêts les plus dévastateurs de l’histoire du nord-ouest des États-Unis. Ce feu de cime saute de manière incontrôlable de cime d’arbre en cime d’arbre. Des équipes du United States Forest Service payent le prix fort pour maîtriser ce monstre. Plusieurs hommes sont blessés et plusieurs des mules qui portent du matériel périssent dans les flammes.
Le chef du service de luttes contre les incendies du United States Forest Service, Howard R. Flint, est dévasté. Combattre un feu de cime à partir du sol n’a aucun sens, pense-t-il. Ce type de feu de forêt doit être combattu par le haut. Flint met son idée à l’essai en lançant des sacs en papier remplis d’eau sur des arbres en feu à partir d’un Curtiss JN-4 Jenny, un célèbre biplan d’entraînement de la Première Guerre mondiale. Ces essais échouent complètement. L’utilisation d’un agent extincteur non identifié pour remplir les sacs n’améliore guère les choses. La précision demeure exécrable et les sacs contiennent de toute façon trop peu de produit pour avoir un impact sur un feu. Et non, le Musée de l’aviation et de l’espace du Canada n’a pas de Jenny. Il a toutefois un Curtiss JN-4 Canuck, mais je m’égare.
À au moins deux occasions au cours des années 1930, des équipes effectuent apparemment des essais avec des avions de transport Ford Trimotor. Elles lancent des barils de bière remplis d’eau hors de l’avion ou larguent l’eau contenue dans un réservoir de près de 400 litres (près de 85 gallons impériaux / 100 gallons américains) dans la cabine. Ces tentatives effectuées au Washington et au Montana ne donnent pas de bons résultats. Le largage de petites « bombes » contenant des produits chimiques, en Californie, en 1937, ne donne pas de meilleurs résultats.
Au fil du temps, le United States Forest Service met en service des camions spécialement conçus qui transportent des mules bien entraînées aussi près que possible d’un incendie. Il est également le pionnier de l’utilisation, en 1940, de parachutistes hautement qualifiés, les célèbres pompiers parachutistes. Aussi efficaces que soient ces idées nouvelles, Flint demeure persuadé que la lutte aérienne contre les feux de forêts peut s’avérer très utile.
Peu après la fin de la Seconde Guerre mondiale, Flint contacte des officiers hauts gradés des United States Army Air Forces (USAAF). Bien que surpris, ces hommes doivent admettre que son idée peut avoir du bon. Leurs bombardiers peuvent livrer avec précision les lourdes charges nécessaires pour lutter contre un petit incendie avant que celui-ci ne devienne un enfer. Les USAAF fournissent facilement au United States Forest Service un certain nombre de réservoirs d’essence externes largables, apparemment conçus pour être utilisés sur l’un des aéronefs les plus distinctifs de la Seconde Guerre mondiale, le chasseur monoplace bimoteur Lockheed P-38 Lightning. Conçus pour contenir environ 625 ou 1 180 litres (137 ou 260 gallons impériaux / 165 ou 312 gallons américains) d’essence, ces réservoirs sont vite munis d’ailettes de queue de bombes afin d’améliorer la précision des largages d’eau. Ce travail est effectué dans un atelier d’usinage du United States Forest Service. En parallèle, Flint et son personnel effectuent des expériences avec des agents extincteurs liquides et mélangés.
Les premiers essais de bombardement à eau se déroulent en Floride, puis au Montana, dans la Flathead National Forest. Au début, les bombes à eau sont simplement larguées sur un incendie démarré dans un site précis. Flint est satisfait des résultats mais suggère que leur détonation au-dessus du feu serait plus efficace. Les officiers des USAAF pensent de nouveau que son idée a du bon. Ils fournissent au United States Forest Service un certain nombre d’items très secrets, des fusées de proximité fonctionnant par radio / radar si vous devez le savoir, qui ouvriraient les bombes à eau à n’importe quelle hauteur souhaitée.
Si un bombardier lourd quadrimoteur Boeing B-17 Flying Fortress est apparemment utilisé au début, le principal transporteur de bombes à eau est un Boeing B-29 Superfortress, un bombardier lourd quadrimoteur et le plus formidable aéronef de ce type utilisé pendant la Seconde Guerre mondiale. Ce « Rocky Mountain Ranger » peut transporter jusqu’à 8 bombes à eau – ou 184 petites bombes remplies de produits chimiques. Deux chasseurs bombardiers monomoteurs monoplaces Republic P-47 Thunderbolt portant une paire de bombes à eau sans fusées de proximité sont utilisés pour repérer les feux et lancer l’attaque. Le Superfortress ne se déplace que si nécessaire. Soit dit en passant, vous vous souviendrez que ce type de bombardier est mentionné dans un article de notre blogue / bulletin / machin publié plus tôt au cours du mois de février 2018.
Après avoir passé du temps à lutter contre des feux d’essai dans la Flathead National Forest, les pilotes de Thunderbolt et l’équipage du Superfortress entament le combat contre de vrais incendies dans l’arrière pays. Ce dernier découvre rapidement que le largage avec précision d’une masse d’eau sur le flanc d’une montagne dans des conditions très turbulentes est beaucoup plus difficile que tout ce qu’il a vécu lors de raids de bombardement sur le Japon. Les essais se poursuivent pendant la majeure partie de l’été 1947. Bien qu’assez réussis, ils ne suscitent pas la création d’une force aérienne de lutte contre les feux de forêts, évaluée à 30 Superfortress et 75 Thunderbolt. Le perfectionnement de l’équipement prendrait du temps et coûterait une bonne somme d’argent. La formation des équipages et l’entretien des aéronefs seraient également coûteux. Point plus important encore, peut-être, à mesure que la situation évolue, la bombe à eau n’est pas la meilleure arme pour effectuer le travail.
La lutte aérienne contre les feux de forêts telle que nous la connaissons aujourd’hui est développée en grande partie au Canada à partir de 1945 par des organismes comme Ontario Provincial Air Service, Field Aviation Company Limited, de Havilland Aircraft of Canada Limited et Canadair Limited. Mais ceci, ami(e) lectrice ou lecteur déçu(e), est une autre histoire.