Le frère venu d’une autre Buckingham, Partie 1
Un très grand bonjour à vous, ami(e) lectrice ou lecteur. Votre humble serviteur espère avoir trouvé un sujet que vous trouverez intéressant, original et innovateur dans un numéro de juillet 1958 de l’hebdomadaire Le Petit Journal de Montréal, Québec. Commençons cette histoire sans plus attendre. Il était une fois un… Euh, oui, j’admets volontiers que la formule n’est pas originale mais le contenu ci-dessous devrait l’être. Puis-je poursuivre maintenant? Merci. Il était une fois, dis-je, un jeune franco-américain, un exemple parmi bien d’autres des descendants de la multitude de Québécoises et Québécois qui se sont établi(e)s aux États-Unis vers la fin du 19e siècle afin de trouver du travail.
Né en avril 1899, au Vermont, Hormisdas-Marie Gamelin effectue son noviciat dans un établissement de la congrégation des Frères de l’instruction chrétienne à Laprairie, Québec, vers 1915. Il fait sa profession perpétuelle dans cette congrégation en 1921. Au fil des ans, Gamelin poursuit ses études et obtient quelques diplômes : Life State Certificate de la New York University (1923), Licence ès sciences en chimie générale de l’Université de Montréal (1933), Licence ès sciences en chimie appliquée de l’Université de Montréal (1934), et Doctorat ès science de l’Université de Montréal (1937). Il entreprend par la suite des recherches qui sont subventionnées par l’Office provincial des recherches scientifiques jusque vers 1949. En parallèle avec ces travaux, Gamelin publie quelques articles, seul ou avec des co-auteurs, et ce dans des magazines scientifiques du Québec et d’ailleurs (États-Unis et France). Il participe aussi à quelques congrès scientifiques.
Il est à noter que les travaux réalisés par Gamelin vers la fin des années 1930 comprennent l’analyse de bois provenant d’arbres de la région de Buckingham, Québec, et / ou d’ailleurs dans la province. Il note la quantité de fer et de manganèse présente et transmet ses données à un professeur agrégé à l’École des hautes études commerciales, à Montréal. Gérard Delorme publie un livre sur la question, basé sur sa thèse de doctorat, en 1939. Vous vous souviendrez, ou pas, ami(e) lectrice ou lecteur, que l’utilisation de matière végétale pour découvrir des dépôts minéraux est mentionnée dans un numéro de notre blogue / bulletin / machin datant de juillet 2017. Delorme ne semble toutefois pas sérieusement envisager une telle utilisation de ses travaux.
Vous semblez perplexe, ami(e) lectrice ou lecteur. Vous espériez sans doute lire un texte sur l’aviation ou l’espace. Ne craignez point, j’y arrive. Intéressé par l’aviation dès son arrivée au Québec, vers 1932-33, Gamelin fonde le Club de vol à voile de Buckingham, ou Buckingham Gliding Club, non loin d’Ottawa, Ontario, en 1948. Ce groupe est peut-être initialement connu sous le nom de Club Saint-Michel, ou Saint Michael High School Gliding Club, du nom de l’établissement où Gamelin enseigne. Quoi qu’il en soit, le bon frère demeure président et instructeur du club au moins jusqu’au milieu des années 1960. Au fil des décennies, Gamelin effectue plus de 3 400 vols en planeur, en soutane.
Si le « frère volant, » ou « soutane volante, » comme on appelle souvent Gamelin au cours des années 1950 et 1960, souhaite donner à certains étudiants de l’École supérieure Saint-Michel la chance d’apprendre à piloter un planeur, il espère également leur faire comprendre les principes de physique entourant le vol d’un aéronef. Encore dépourvu d’argent ou d’expérience pratique du vol en 1948, Gamelin ne peut compter que sur sa détermination et sur l’appui de divers organismes de la région, dont les Chevaliers de Colomb et le Gatineau Gliding Club. Il encourage plusieurs de ses étudiants à s’intéresser au projet et organise quelques activités afin de recueillir des fonds.
Mentionnons au passage que le président du Gatineau Gliding Club semble être un certain Arthur Norman « Chem » Le Cheminant. Ce pilier de l’Association canadienne de vol à voile achète un planeur encore bien incomplet fin 1956, début 1957, avec un ami, Richard « Dick » Noonan, un pionnier du vol à voile au Canada qui est alors président de l’association. Le planeur en question est le Czerwinski Shenstone Harbinger, un biplace d’entraînement performant conçu en réponse à une compétition lancée en 1947 par la British Gliding Association. Le Cheminant complète le Harbinger à Ottawa et effectue un premier vol en juillet 1975. Le planeur n’étant pas particulièrement agréable à piloter, Le Cheminant et Noonan le remettent, en 1978, à la Collection aéronautique nationale, l’actuel Musée de l’aviation et de l’espace du Canada, à Ottawa. L’histoire du Harbinger est pour le moins fascinante et mérite d’être racontée, mais revenons maintenant à notre histoire présente.
Ayant recueilli une certaine somme d’argent, Gamelin achète un planeur monoplace usagé américain au printemps 1948. Le Cheminant effectue un vol d’essai au Québec en juin. Ce Schweizer SGU 1-19 se trouve aujourd’hui au National Soaring Museum d’Elmira, New York, ce qui est bien dommage pour la présentation de l’histoire du vol à voile au Canada / Québec. Puis-je me permettre une suggestion un tant soit peu farfelue? Un musée canadien / québécois pourrait envisager la possibilité de mettre en exposition ce planeur qui, sauf erreur, est entreposé depuis de nombreuses années.
Toujours en 1948, ou au plus tard en 1949, Gamelin acquiert une licence de pilote de planeur de même qu’une qualification d’instructeur sur ce type d’aéronef. Un producteur de phosphates de Buckingham, Electric Reduction Company of Canada Industries Limited, lui prête un terrain situé à environ 5 kilomètres (3 milles) de la petite localité et y aménage 2 pistes d’atterrissage. Gamelin et des étudiants érigent un hangar en bois sur ce terrain d’aviation. Tous les aéronefs du club y trouvent éventuellement place, y compris l’avion d’entraînement initial de Havilland Tiger Moth acheté aux surplus de guerre afin de remorquer les planeurs. Et oui, ami(e) lectrice ou lecteur, la magnifique collection du Musée de l’aviation et de l’espace du Canada comprend un Tiger Moth ou, plus exactement, un Menasco Moth.
La formation des jeunes pilotes commence dès 1949 à l’aide d’un planeur biplace usagé Schweizer SGU 2-22. Elle se déroule au terrain d’aviation militaire de Pendleton, Ontario, fermé après la fin de la Seconde Guerre mondiale, grâce à une permission accordée par le ministère de la Défense nationale. Soucieux de ne pas refuser des jeunes gens peu fortunés, Gamelin ne demande initialement que 10 $ en cotisation. Étant le seul instructeur du club, il ne peut toutefois entraîner que 4 ou 5 personnes à la fois. Il est à noter que le SGU 2-22 mentionné plus haut est le tout premier exemplaire de ce planeur on ne peut plus réussi et fabriqué en grand nombre. Vendu au Montréal Soaring Council vers 1963, cet aéronef est par la suite utilisé par la Ligue des cadets de l’air du Canada. Il disparaît du Registre des aéronefs civils canadiens en 1991, ce qui est encore une fois bien dommage pour la présentation de l’histoire du vol à voile au Canada / Québec.
Le Club de vol à voile de Buckingham, apparemment rebaptisé Club Vol à voile Buckingham, ou Buckingham Gliding Club, vers 1952, compte environ 25 membres à cette époque. L’un d’entre eux n’a que 14 ans. Cet adolescent peut fort bien être le plus jeune pilote de planeur au Canada à l’époque. Passionnés par les choses de l’air, 7 membres du club complètent alors des cours de pilotage sur des avions à moteurs à Bradley Air Services Limited d’Ottawa. Trois d’entre eux entreprennent par la suite une formation de pilote commercial. Gamelin est très fier du succès remporté par les jeunes gens qu’il forme.
Vers 1953-54, un club de vol à voile montréalais, le McGill Gliding Club, forme un partenariat avec le Club Vol à voile Buckingham et Joseph Eugène Marcel Jacques Codère de North Hatley, ou Sherbrooke, Québec, pour fabriquer 3 Fauvel AV-36. Chaque membre du partenariat fabrique une partie des 3 planeurs, de même que les longerons de leur propre aéronef. Les planeurs fabriqués à Buckingham et North Hatley / Sherbrooke volent pendant un certain temps. Expulsé d’un atelier de l’avionneur Canadair Limited, à Cartierville, Québec, avant d’être complété, l’AV-36 du McGill Gliding Club est vendu à 2 passionnés de vol à voile. Entreposé dans une grange au cours de l’hiver 1963-64, le planeur est détruit par des enfants qui s’amusent à sauter sur sa structure.
Codère est un individu des plus intéressants. Il suit un entraînement de navigateur dans l’Aviation royale du Canada (ARC), une force aérienne alors connue sous le nom de Corps d’aviation royal canadien, pendant la Seconde Guerre mondiale mais arrive en Europe alors que le conflit prend fin. Cet homme d’affaires apprend à piloter vers 1947. Il effectue son premier saut en parachute au cours de l’année suivante, apparemment sans aucune instruction depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Codère obtient éventuellement ses qualifications d’instructeur tant pour les avions à moteur que pour les planeurs. Il est également instructeur de parachutisme. Codère devient le premier pilote de ballon privé au Québec en 1976, lorsqu’il commence à piloter le « Ballon vert » appartenant à Sherbrooke Trust Incorporé de Sherbrooke. Cette montgolfière monoplace est la second Cloud 69 fabriquée par Peter Owens. Ce pionnier canadien du vol en ballon fabrique plusieurs montgolfières au cours des années 1970.
Si je peux me permettre de pontifier pendant quelques instants, l’AV-36 compte parmi les planeurs mis au point par le Français Charles Fauvel à partir des années 1930. Il effectue son premier vol en 1950. Techniquement très réussi, ce monoplace sans queue, ou aile volante, est fabriqué à plus de 100 exemplaires, en usine ou au domicile de constructeurs amateurs américains, britanniques, canadiens, français et ouest-allemands. Il suffit de songer au Tenardee Gliding Club, un groupe formé par des membres de l’ARC stationnés à Calgary, Alberta. Celui-ci fabrique 4 AV-36 au cours des années 1950, avec l’aide de Norman « Norm » Bruce, le père du vol à voile dans l’Ouest canadien.
Le Club Vol à voile Buckingham peut avoir complété un second AV-36 au cours de la seconde moitié des années 1950. Ce petit groupe fabrique par ailleurs quelques autres planeurs, dont un SGU 2-22 et un Hall Cherokee, au cours des années 1950 et 1960. De conception américaine, le Cherokee compte parmi les planeurs monoplaces les plus fabriqués de son époque. À cet effet, les 2 Cherokee complétés à Edmonton, Alberta, en 1958 méritent d’être mentionnés. Ce sont apparemment les premiers planeurs complétés dans l’ouest canadien ayant reçu des permis de vol du ministère des Transports.
Mentionnons au passage qu’un organisme fédéral connu mondialement, l’Office national du film, produit en 1950 un bref documentaire qui illustre les activités du Club de vol à voile de Buckingham et du Gatineau Gliding Club. Ce film est le 23e dans la série Coup d’œil.
Rebaptisé Centre de formation aéronautique Gamelin en 1985, le club fondé par Gamelin s’éloigne alors des planeurs au profit de l’ultraléger, un type d’aéronef qui connaît une popularité de plus en plus grande. Cette école de pilotage est dissoute en mai 2015. Son terrain d’aviation, situé dans les limites de la municipalité d’Ange-Gardien, cède quant à lui la place à un complexe domiciliaire, le Domaine Vol-à-voile, vers 2005. Ce nom semble avoir disparu entre cette date et le milieu de 2018. Cela étant dit (tapé?), des Chemins Vol-à-voile, des Planeurs et Hormidas-Gamelin (Oui, Hormidas sans S apparemment) existent encore en 2018.
Seriez-vous ennuyé(e) si je remettais à la semaine prochaine la présentation du reste de cet article, oh si patient(e) ami(e) lectrice ou lecteur? Non? Fort bien. À plus.