L’île à hélice, par Henri Defrasse – et non pas Jules Gabriel Verne
Bienvenue et welcome, ami(e) lectrice ou lecteur. Êtes-vous prêt(e) à entendre parler d’un des aspects cruciaux de l’histoire de la technologie? Oui? Bienvenue donc dans le monde de l’échec. Vous semblez surpris(e). Ne savez-vous pas que la plupart des projets d’aéronefs des 20ème et 21ème siècles sont des échecs? Ce ne sont pas tous les modèles d’aéronefs qui sont mis à l’essai et un grand nombre de ceux qui sont mis à l’essai ne sont jamais placés en production. Pis encore, de nombreux aéronefs opérationnels ne s’avèrent pas réussis, pour diverses raisons. Donc, nous vivons dans un monde plein d’échecs. Veuillez garder cette pensée à l’esprit lorsque vous regardez l’illustration ci-dessus, extraite des pages du magazine mensuel espagnol Alas, un des nombreux périodiques étrangers qui se trouvent dans l’étonnante bibliothèque du Musée de l’aviation et de l’espace, à Ottawa, Ontario. La dite illustration peut fort bien être une version en noir et blanc d’un dessin / peinture réalisé il y a plus de 90 ans par le Français Henri Defrasse (1896-?), Arch. D.P.L.G. (Architecte diplômé par le gouvernement).
Notre histoire commence en 1923-24 lorsque ce fils du célèbre architecte Henri Alphonse Alexandre Defrasse achève les plans d’une base flottante d’hydravion. Avant même la fin de 1928, l’étude détaillée qui accompagne ces documents reçoit 2, sinon 3 prix prestigieux.
Il y a 90 ans, les avions de ligne géants à réaction que nous tenons pour acquis dépassent tout ce que les gens de l’époque peuvent imaginer. En effet, les avions de ligne capables de transporter des passagers à travers les océans du globe n’existent tout simplement pas. Cela explique pourquoi des pays comme l’Allemagne et le Royaume-Uni dépensent beaucoup d’argent pour construire d’énormes dirigeables rigides. Rien ne ferait plus plaisir à votre humble serviteur que de passer l’heure qui vient à pontifier au sujet de ces géants de l’air, et de la fascinante visite à Saint-Hubert, Québec, du dirigeable rigide britannique R 100, en juillet et août 1930. Je vais cependant résister à la tentation et rester avec le sujet qui nous concerne. Des pots-de-vin ne seront pas acceptés, pour le moment. Venez me voir après le travail et apportez de la bière romulienne, mais revenons à notre histoire.
Croiriez-vous que le consensus général dans les années 1920 est que les avions de ligne transocéaniques qui apparaîtraient, espère-t-on, dans la décennie suivante, seraient des hydravions à coque plutôt que des avions? Les hydravions à coque sont jugés plus sûrs étant donné leur capacité à se poser en pleine mer en cas d’urgence. Leur utilisation élimine par ailleurs le besoin de construire et de maintenir des pistes imposantes et coûteuses, mais revenons à notre histoire.
Bien conscient des limites des avions de ligne du début et du milieu des années 1920, Defrasse suggère que des hydravions géants soient utilisés en conjonction avec, vous l’aurez deviné, un réseau des bases flottantes susmentionnées. Selon toute vraisemblance, il propose qu’une douzaine de ces îles flottantes soient utilisées pour faciliter la traversée de l’Atlantique Nord (France – États-Unis), de l’Atlantique Sud (Afrique occidentale française – Brésil) et du Pacifique (États-Unis – Japon). Outre leur utilisation principale comme bases de ravitaillement, les îles flottantes seraient très utiles si un hydravion à coque subissait des problèmes mécaniques ou devait chercher un abri en cas de mauvais temps. Dans les deux cas, les passagères / passagers et les équipages trouveraient un hébergement confortable à leur bord. Les îles flottantes pourraient également fournir une assistance aux navires en détresse.
Et non, l’Afrique occidentale française n’est pas mentionnée dans un numéro de mars 2018 issue of notre blogue / bulletin / machin. Vous confondez cette fédération de colonies françaises en Afrique occidentale avec l’Afrique équatoriale française, une fédération des 4 colonies françaises d’Afrique équatoriale. Vous n’avez pas à vous excuser.
Vous pouvez penser que l’expression île flottante est une simple figure de style, ami(e) lectrice ou lecteur. Ceci, cependant, serait une erreur. La structure imaginée par Defrasse fait environ 220 mètres (environ 725 pieds) de large par 480 mètres (1 475 pieds) de long. Vue d’en haut, elle ressemble à un navire très large avec une poupe ouverte – ou à un gigantesque fer à cheval. Le bassin pour hydravions inséré dans la structure en béton armé de l’île flottante mesure environ 335 mètres (environ 1 100 pieds) de long et 100 mètres (environ 330 pieds) de large. La profondeur de l’eau qu’il contient atteint les 6 mètres (près de 20 pieds). Des barrières mobiles doubles et une série de petites ouvertures latérales permettent de contrôler les vagues. Les petits hydravions à coque peuvent par conséquent utiliser cette surface d’eau calme pour décoller et amerrir.
La profondeur de l’eau au-dessous de l’île flottante est telle que tout système d’ancrage serait horriblement compliqué, sinon impossible à concevoir. Au lieu de cela, Defrasse inclut deux puissants ensembles de moteurs diesel dans son île flottante, ce qui permet à son commandant de l’orienter pour faciliter l’amerrissage des hydravions à coque, et ce même si l’océan est un peu agité. La vitesse maximale à couper le souffle de cette structure colossale serait de 5 nœuds (9.25 kilomètres/heure / 5.75 milles/heure).
Il est à noter que les hydravions à coque transocéaniques n’utiliseraient pas le bassin pour hydravions pour quitter une île flottante. Un pont d’envol situé sur le côté bâbord / gauche, près des 5 hangars et de l’atelier, comprend un accélérateur / catapulte alimenté par l’électricité qui permet aux hydravions à coque de s’envoler même si l’océan est un peu agité. Le plus grand hangar peut accueillir un hydravion à coque ayant une envergure allant jusqu’à 70 mètres (230 pieds). Croiriez-vous que la superficie totale des 5 hangars est presque aussi grande que celle du bâtiment principal du Musée de l’aviation et de l’espace du Canada?
Avez-vous une question, ami(e) lectrice ou lecteur? Comment chaque hydravion à coque ayant amerri dans le bassin pour hydravions ou en pleine mer atteint-il le pont d’envol? Une bonne question, dis-je. Un radeau motorisé se rendrait sous cet aéronef. Son équipage sécuriserait l’hydravion à coque avant de se diriger vers une rampe. L’aéronef serait alors attaché au chariot de l’accélérateur / catapulte et déplacé vers le pont d’envol. Avez-vous d’autres questions pièges, ami(e) lectrice ou lecteur espiègle?
Et l’hébergement des passagères et passagers, demandez-vous? Une autre bonne question. Une facile aussi. Si vous devez le savoir, il y aurait un terminal et un hôtel de 165 chambres sur le côté tribord / droit, sans oublier une terrasse ainsi que plusieurs cabines, des restaurants, des salles de jeux et des courts de tennis couverts. Il n’y aurait qu’un seul bar. La taille même des îles flottantes rendraient ces espaces d’hébergement remarquablement stables par mauvais temps.
Le centre de commandement, le bureau météorologique et la salle de radio seraient situés à l’avant de l’île flottante, près des quartiers de ses quelque 120 membres d’équipage, et non loin des salles de stockage et des ateliers. L’auteur de ces lignes n’a pas pu trouver l’emplacement de l’infirmerie de l’île flottante. Et oui, la conception de cette étonnante structure a évolué au fil du temps, comme on peut s’y attendre.
Comme vous pouvez l’imaginer, l’île flottante conçue par Defrasse aurait été extrêmement coûteuse. Aucun gouvernement ne montre beaucoup d’intérêt pour le projet, et ce même si des articles à son sujet sont publiés aussi tard qu’en 1928 – sinon plus tard. Dommage.
L’auteur de ces lignes souhaite remercier toutes les personnes qui ont fourni des informations. Toute erreur contenue dans cet article est de ma faute, pas la leur.