Une autre brique dans le mur, Partie 1
Le milieu des années 1970 constitue une date importante dans l’histoire du vol privé et de l’aviation légère. Un nouveau type d’aéronef voit en effet le jour à cette époque. Connu sous le nom d’ultraléger, il doit pour une bonne part son origine à l’engouement de milliers de Nord-Américains, et de plusieurs Nord-Américaines, pour le deltaplane. Vers 1975-76, certains de ces passionnés du vol installent des petits moteurs sur des deltaplanes à aile rigide ou souple. Ces deltaplanes motorisés ne tardent pas à attirer l’attention. Plusieurs concepteurs entament alors la mise au point d’aéronefs minimalistes qui rappellent un tant soit peu les machines volantes des premiers jours de l’aviation, au début du 20e siècle.
Le pilote d’essais du Moto-Plane, Jean « Johnny »Tardif, et un Moto-Plane pendant une tournée de démontration, Aéroport de Saint-Honoré, près de Chicoutimi, Québec, février 1974. Progrès-dimanche, Marc Quenneville, « Le Moto-Plane va-t-il révolutionner l'aéronautique. » 10 février 1974, 113.
Un des premiers ultralégers canadiens, pour ne pas dire nord-américains, prend l’air fin 1973, début 1974. De fait, sa conception pourrait avoir commencé au cours de 1972. Le concepteur de cet aéronef monomoteur et monoplace, le Moto-Plane, est un pilote, parachutiste et inventeur prolifique québécois. Apparemment briqueteur de profession, Jean Saint-Germain (1937-2016) fonde Moto-Plane Aviation Incorporée à Saint-Jean, aujourd’hui Saint-Jean-sur-Richelieu, Québec, afin de vendre des kits et de séries de plans. La petite compagnie peut avoir reçu quatre commandes. Des conflits ayant éclaté au sein de la direction, Saint-Germain démissionne. Moto-Plane Aviation semble avoir disparu peu après. L’auteur de ces lignes ne sait pas si tous les Moto-Plane commandés sont complétés.
Saint-Germain fabrique un deltaplane motorisé vers 1974-75. Ce prototype pour ainsi dire incontrôlable est vite abandonné. Cela dit, l’inventeur assemble une petite équipe vers 1975 et complète un autre ultraléger en 1976. S’il faut en croire son autobiographie, Lâche pas : Y’a toujours un moyen, Saint-Germain prend l’air à bord du prototype du Raz-Mut, une forme anglicisée du mot rase-motte, en août ou septembre. L’aéronef monoplace n’étant pas immatriculé, ce vol est on ne peut plus illégal. Un inspecteur du ministère des Transports invité par Saint-Germain déclare le Raz-Mut inapte au vol. Outré, l’inventeur se rend à Toronto, ou Ottawa, avec son prototype. Un autre inspecteur du ministère juge l’aéronef acceptable. Le Centre de recherche Jean Saint-Germain Incorporé de Drummondville, Québec, commence à vendre des séries de plans avant même la fin de 1976.
Vous souviendrez, ou pas, ami(e) lectrice ou lecteur, que c’est avec une photo d’un Raz-Mut, tirée du numéro du 1er au 14 octobre 1977 du bimensuel français Aviation magazine international que cet article a commencé. Vous souvenez vous de l’endroit où cette photo a été prise, ami(e) lectrice ou lecteur attentif? Oh, je vois. Pas d’étoile dorée pour vous aujourd’hui, mais revenons à notre histoire.
En 1977, une petite équipe se rend à Oshkosh, Wisconsin, pour présenter le Raz-Mut aux passionnés de vol qui visitent le EAA Annual Convention and Fly-In, l’actuel EAA Airventure Oshkosh, le plus grand spectacle aérien au monde, organisé par l’Experimental Aircraft Association (EAA), la plus importante organisation liée à l’aviation légère au monde. Le nouvel aéronef suscite un réel intérêt. De fait, au fil des semaines, le Centre de recherche Jean Saint-Germain vend environ 115 séries de plans du Raz-Mut. Encouragé par ce succès, il entreprend la fabrication de kits – selon toute vraisemblance une première pour un ultraléger canadien. Une trentaine de ces kits quittent l’atelier.
Ne souhaitant pas transformer son petit centre de recherche en avionnerie, Saint-Germain tente de vendre des licences de production à quelques compagnies étrangères. Il affirme avoir envoyé des Raz-Mut pour fins de démonstration dans divers pays d’Amérique (États-Unis et Mexique), d’Europe (Belgique, France et Tchécoslovaquie) et d’Océanie (Australie) au cours de l’année 1977. Ses espoirs semblent déçus. Au printemps 1978, une quarantaine de passionnés de vol de la région de Sainte-Anne-des-Monts, Québec, achète la franchise du Centre de recherche Jean Saint-Germain afin d’assurer la distribution et la vente du Raz-Mut au Canada. Tant cette association que l’aéronef ne font plus parler d’eux par la suite.
Grand inventeur devant l’éternel, Saint-Germain développe plus d’une centaine de concepts très variés à partir de 1953, du biberon anti-colique à la soufflerie verticale récréative. Votre humble serviteur vous propose un bref survol de ses autres projets aéronautiques dans la seconde partie de cet article. À plus.
Un commentaire avant de vous quitter. Je crois qu’il pourrait être intéressant pour le Musée de l’aviation et de l’espace du Canada, à Ottawa, Ontario, de vérifier la rentabilité d’une soufflerie verticale récréative – si un riche bienfaiteur qui veut demeurer anonyme se présente avec des valises pleines de fric.