Un petit pas pour un homme, un pas de géant pour la construction amateur, Partie 1
À première vue, le Stits SA-3 Playboy du Musée de l’aviation et de l’espace du Canada, à Ottawa, Ontario, n’est pas un aéronef particulièrement impressionnant. Son apparence bien ordinaire cache toutefois une histoire des plus intéressantes qui remonte à plus de 60 ans, comme le laisse entendre la photo ci-haut, publiée dans le numéro de septembre 1957 du magazine mensuel Canadian Aviation.
La construction amateur, autrement dit la construction d’aéronefs à l’aide de plans ou de kits plus ou moins prêts à assembler par des personnes travaillant chez elles, est un aspect particulier de l’engouement pour l’aviation qui existe pendant la période de l’entre-deux-guerres qui va de novembre 1918 à septembre 1939. S’il est vrai que ce type d’activité existe dès le début des années 1920, principalement aux États-Unis, le fait est que la traversée de l’Atlantique en solitaire réalisée par l’Américain Charles Augustus Lindbergh en mai 1927 vient complètement changer la donne. Le nombre de constructeurs amateurs monte en flèche, tout particulièrement aux États-Unis. De fait, pour ainsi dire tous les aéronefs disponibles en Amérique du Nord, sous forme de plans ou de kits, proviennent de ce pays.
Un examen du registre des aéronefs civils canadiens révèle la présence d’une centaine d’aéronefs, des monomoteurs à une ou deux places pour la plupart, fabriqués par des constructeurs amateurs entre novembre 1918 et septembre 1939. De recherches effectuées par l’auteur de ces lignes ont par ailleurs mis en lumière l’existence d’environ 25 aéronefs non-immatriculés complétés au cours de cette période. Plusieurs autres restent probablement à découvrir. D’autres recherches effectuées par votre humble serviteur ont par ailleurs identifié une trentaine d’aéronefs partiellement complétés. De fait, nous ne saurons jamais combien de constructeurs amateurs canadiens ont entrepris la fabrication d’un aéronef pendant la période de l’entre-deux-guerres.
Le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale porte un dur coup à la fabrication d’aéronefs par des constructeurs amateurs. Plusieurs d’entre eux décident en effet de travailler dans l’industrie de guerre ou de s’enrôler dans les forces armées. Le gouvernement fédéral impose par ailleurs des limites sévères au vol privé. En avril 1942, le régulateur du pétrole, George Richardson Cottrelle, un banquier et président du Maple Leaf Gardens de Toronto, un des hauts lieux du hockey nord-américains, introduit des coupons de rationnement pour l’essence qui affecte tous les déplacements jugés non-essentiels. Les pilotes privés doivent dès lors choisir entre leur automobile et leur aéronef. En effet, les 45 litres (10 gallons impériaux / 12 gallons américains) d’essence qu’ils peuvent utiliser chaque mois leur permettent de parcourir environ 270 kilomètres (165-170 milles) en voiture – une performance bien limitée si on la compare à celle que réalisent les automobiles disponibles en 2017.
Vers octobre 1942, Ralph Pickard Bell, directeur général de la Production aéronautique au Ministère des Munitions et des Approvisionnements, interdit la fabrication d’aéronefs par toute personne n’ayant pas de permis. Pis encore, ce même ministère s’allie à Cottrelle pour interdire l’utilisation de produits pétroliers par des aéronefs non-essentiels. Du coup, pour ainsi dire tous les aéronefs privés canadiens se voient cloué au sol jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Compte tenu des circonstances, le nombre d’aéronefs de construction amateur complété entre septembre 1939 et août 1945 est pour le moins limité.
La période de l’après-guerre ne commence pas non plus sur une très bonne note pour les propriétaires canadiens de tels aéronefs. Leurs tentatives de renouveler le certificat d’immatriculation des machines qui volaient avant la Seconde guerre mondiale sont poliment rejetées. Un amendement au Règlement de l’Air de 1938 adopté en juin 1947 par le ministère des Transports stipule en effet que tous les aéronefs immatriculés au Canada doivent avoir un certificat de navigabilité. Ce document ne s’appliquant qu’aux aéronefs fabriqués en usine, les aéronefs de construction amateurs se voient interdits de vol. Les quelques constructeurs amateurs qui complètent des aéronefs vers la fin des années 1940 ou le début des années 1950 l’apprennent à leurs dépens. En effet, le ministère des Transports ne leur permet pas de prendre l’air, quelle que soit la qualité de leur machine. La seule exception à la règle consiste à utiliser une immatriculation expérimentale.
C’est ce que fait un vétéran de l’Aviation royale du Canada, une force aérienne connue à l’époque sous le nom de Corps d’aviation royal canadien. Léon Beliaeff complète un Payne Knight Twister, un petit biplan monoplace mis au point aux États-Unis pendant la période de l’entre-deux-guerres, vers la fin de l’été 1949. Les difficultés que ce mécanicien (francophone?) de Verdun, Québec, doit surmonter pour faire immatriculer son aéronef sont telles qu’il le baptise Nobody Loves Me. Beliaeff atteint son objectif au début de septembre 1949. Il prend l’air un peu plus tard. Le certificat d’immatriculation de l’aéronef arrive à expiration au plus tard au début de 1954. Il n’est pas renouvelé
Vous semblez perplexe, ami(e) lectrice ou lecteur. Vous vous demandez sans doute ce que le Stits SA-3 Playboy du musée vient faire dans cette histoire. Ceci est une très bonne question. Une réponse se trouve dans la seconde partie de cet article.