Le soleil, magnifique. La Lune, encore plus magnifique. Oh oui
Espace, frontière de l’infini vers laquelle voyagent des générations d’astronomes amateurs. J’ose espérer que cette entrée en matière, alliée à la photographie ci-dessus, sortie des entrailles de l’édition du 7 juin 1969 de La Presse de Montréal, Québec, le plus important quotidien de langue française en Amérique du Nord, saura attiser un tant soit peu votre curiosité. Je dois avouer que l’observation de la voute céleste ne fait pas vibrer les cordes sensibles de mon âme. Qu’en est-il de vous, ami(e) lectrice ou lecteur?
Cela étant dit (tapé?), je dois également avouer avoir une grande admiration, teintée d’envie peut-être, pour celles et ceux qui consacrent des années, voire des décennies, à une activité non professionnelle qui leur procure de la joie. Un de ces passionnés se trouve au cœur du numéro de cette semaine de notre blogue / bulletin / machin.
Lucien E. « Luno » Coallier voit le jour en 1911, à une date et en un lieu que votre humble serviteur n’a pas encore identifiées. Une certaine incertitude plane par ailleurs sur les origines de la passion de ce grand Québécois pour l’astronomie. Une source souligne que c’est un voisin aimant la lecture qui amène Coallier à s’intéresser à cette science, alors qu’il a à peine 15 ans. Une autre source affirme que la dite passion tient au fait que son père lui achète, un peu avant 1927 peut-être, 3 ouvrages sur l’astronomie rédigés par un astronome et météorologiste amateurs français. L’abbé Louis Théophile Moreux compte parmi les communicateurs / vulgarisateurs scientifiques francophones les plus connus du premier quart du 20ème siècle.
Fasciné par ce qu’il lit dans les dits ouvrages, Coallier entame la fabrication d’une lunette astronomique / télescope réfracteur, en d’autres mots d’un télescope munie de lentilles. N’y connaissant strictement rien au polissage des lentilles, le jeune homme réalise un instrument parfaitement inutilisable. Cet échec ne le décourage pas pour autant. L’astronomie devient pour Coallier une activité fascinante, pour ne pas dire une passion dévorante. Son intérêt se porte de plus en plus vers la Lune. Il réalise peu à peu, à sa grande surprise, que les astronomes professionnels s’intéressent beaucoup plus aux planètes et aux étoiles qu’à la compagne de notre planète bleue. Pis encore, plusieurs d’entre eux ne passent pas beaucoup de temps à observer le ciel.
Au fil des mois et des années, Coallier remplit de nombreux cahiers de notes suite aux observations de la Lune réalisées à l’aide de quelques instruments. En 1957 par exemple, il peut compter sur une lunette astronomique assez performante qu’il prévoit remplacer par un télescope réflecteur dont il polit lui-même le miroir. Coallier devient membre de la Société astronomique de France à une date indéterminée, tout comme le susmentionné Moreux d’ailleurs.
Avant que je ne l’oublie, Coallier semble gagner sa vie dans l’enseignement.
En 1955, Coallier devient membre du Centre français de Montréal de la Société royale d’astronomie du Canada, l’actuel Centre francophone de Montréal de la Société royale d’astronomie du Canada, un groupe fondé en mai 1947 par une dizaine de francophones membre du Montreal Centre de la dite société, lui-même fondé en 1918. Ce groupe ne tarde pas à y effectuer des présentations sur la Lune et d’autres sujets. J’ose espérer que vous souvenez que Valéry René Marie Georges Giscard d’Estaing, un futur président français mentionné dans un numéro de novembre 2018 de notre blogue / bulletin / machin, compte parmi les conférenciers qui parlent à Montréal vers la fin des années 1940.
Aussi important que soit le Centre français de Montréal, le fait est qu’une société d’astronomie francophone, l’Institut astronomique et philosophique du Canada, existe à Montréal entre 1926 et 1933 environ. Son fondateur, typographe, relieur, photographe, libraire, imprimeur, gérant d’imprimerie et agent d’assurance Joseph Edgar Guimont, membre de la Société astronomique de France depuis 1915 environ, compte parmi les membres fondateurs du susmentionné Montreal Centre. Guimont et un autre passionné d’astronomie membre lui aussi de la Société astronomique de France, DeLisle Garneau, un comptable au ministère du Revenu national, inaugurent un observatoire à la résidence de ce dernier en décembre 1941 – le jour même de l’attaque japonaise contre les bases américaines des îles Hawaii. Cet Observatoire Ville-Marie ferme ses portes en 1954 après avoir accueilli année après année plusieurs centaines d’astronomes amateurs.
Croiriez-vous que le Collège Sainte-Marie, un établissement éducatif catholique mentionné dans un numéro d’avril 2019 de notre blogue / bulletin / machin, possède un des rares télescopes existant alors à Montréal? Le monde est petit, n’est-ce pas? Mais revenons au Centre français de Montréal.
Des membres autres que Coallier sont également fort actifs au cours des années 1950 et 1960. Pierrette Jean lance le premier groupe d’observateurs du centre vers 1961. Le premier groupe de constructeurs de télescopes, quant à lui, voit le jour cette même année. Un premier atelier de polissage de miroirs suit quelques semaines plus tard.
En juin 1968, le Centre français de Montréal fonde un organisme indépendant, la Société d’astronomie de Montréal (SAM). Fascinées par la course à la Lune qui oppose alors les Américains et les Soviétiques, des centaines de personnes se rendent à son local, au Jardin botanique de Montréal, pour observer le ciel et / ou assister à des présentations hebdomadaires. En septembre 1969, par exemple, la SAM tient la plus importante soirée d’observation de son histoire : environ 4 500 participantes et participants peuvent observer le ciel à l’aide de plus de 40 lunettes astronomiques et télescopes réflecteurs.
Et oui, ami(e) lectrice ou lecteur dont la culture n’égale que sa curiosité, le frère Marie-Victorin, né Joseph Louis Conrad Kirouac, mentionné dans un numéro d’avril 2019 de notre blogue / bulletin / machin, est bel et bien le fondateur du Jardin botanique de Montréal. J’applaudis votre enthousiasme mais ne nous éloignons pas trop de notre sujet.
Au tournant des années 1960 et 1970, la SAM est le plus important club d’astronomie francophone en Amérique du Nord. Un de ses membres les plus connus et fameux est sans nul doute Jacques Lebrun, un passionné d’astronautique et un de mes héros qui, si vous êtes bien sage, pourrait faire l’objet d’un article dans notre blogue / bulletin / machin, et… D’accord, d’accord, on se calme. Un article sur Lebrun devrait sortir avant la fin de 2019, si le monstre spaghetti volant le veut, et… Vous voulez en savoir davantage sur Coallier, ami(e) lectrice ou lecteur? Fort bien.
Nous sommes en septembre 1963. Coallier observe alors une région de la mer de la Tranquillité, près d’un des sites potentiels d’alunissage relativement plats évalués par la National Aeronautics and Space Administration (NASA), un organisme américain mondialement connu mentionné à quelques reprises depuis mars 2018 dans des numéros de notre blogue / bulletin / machin. Ayant découvert une pente assez raide, et potentiellement dangereuse, il informe aussitôt la NASA. Deux observatoires américains confirment la découverte de Coallier. Celui-ci note par la suite certains problèmes concernant un autre site potentiel d’alunissage, au pied de la chaîne de montagnes des Apennins. Cette observation est également confirmée.
En 1964, Coallier devient un des 12 membres canadiens d’un groupe de recherches mis sur pied par la NASA en collaboration avec un centre de recherches de la Smithsonian Institution. Ce regroupement d’astronomes (amateurs?), connu sous le nom de Lunar International Observers Network (LION), s’intéresse aux phénomènes dits passagers qui se déroulent sur notre satellite. En 1969, par exemple, plus de 175 astronomes de près de 35 pays observent la Lune au cours de la mission Apollo 10. Toute observation jugée importante est transmise aux 3 astronautes pour fin de vérification. LION produit par ailleurs une étude cartographique utilisée par la NASA lorsque celle-ci choisit les sites d’alunissage des Apollo Lunar Modules / Lunar Excursion Modules du programme Apollo.
Parlant de phénomènes dits passagers, il est à noter que Coallier observe quelque chose de ce genre en 1963 dans le cratère Aristarque. Au moins un observateur américain dit alors voir vu une lueur dans ce même cratère. Des astronomes de LION basés aux États-Unis et en Espagne voient eux-aussi quelque chose en 1969. En juillet de la même année, au cours de la mission Apollo 11, au moins un astronaute rapporte avoir vu une lueur dans le cratère Aristarque – une première en matière d’observation de phénomène passager. Un membre ouest-allemand de LION confirme cette observation. En 1971, alors qu’il survole la Lune, l’équipage de Apollo 15 détecte un flux de radiation inoffensive provenant de la région entourant le cratère Aristarque. De fait, plus de 120 rapports de phénomènes dits passagers datant de diverses époques existent pour cette région.
Se pourrait-il que quelqu’un tente d’attirer notre attention? Vous vous souviendrez évidemment qu’une anomalie magnétique se trouvant dans le cratère Tycho est au cœur de l’intrigue du magnifique film 2001 : Une odyssée de l’espace. La dite anomalie est mentionnée dans un numéro de mai 2019 de notre blogue / bulletin / machin.
Coallier inaugure son propre observatoire, derrière sa maison, à Ville de Laval, Québec, en juin 1969. Le maire de Ville de Laval, Joseph Jacques Maurice Tétreault, participe à l’événement. Le dit observatoire, connu sous le nom de Luno, comme son créateur, renferme la plus puissante lunette astronomique d’amateur au Canada. Cet instrument de haute précision se trouve sur la photo de gauche, au tout début de cet article. Coallier et sa conjointe, Nolita Saint-Cyr Coallier, membre de la SAM depuis 1962, l’utilisent pendant une bonne dizaine d’années pour réaliser des dessins de la surface lunaire.
Saviez-vous que Tétreault compte parmi les très nombreux diplômés du susmentionné Collège Sainte-Marie? Notre monde est vraiment bien petit.
Le complexe mécanisme d’entraînement de la grande lunette astronomique de Coallier compte parmi les nombreuses réalisations d’Adélard Rousseau. Ce machiniste de profession d’une rare habilité occupe le poste de conseiller du Centre français de Montréal et de la SAM entre 1958 et 1982. Il compte parmi les âmes dirigeantes de la section d’optique lancée officieusement à l’automne 1965.
Coallier est bien connu pour sa chronique, « Club des Observateurs, » publiées entre 1877 et 1980 dans le magazine bimestriel de la SAM, Le Québec astronomique, fondé en 1972. Au fil des ans, il inspire et aide des astronomes amateurs québécois de tous les niveaux. Coallier entretient par ailleurs une volumineuse correspondance avec des astronomes amateurs d’autres pays.
En 1979, par exemple, alors qu’il occupe la présidence de la SAM, Coallier rappelle à ses membres que plusieurs astronomes amateurs québécois gagnent des prix à la Stellafane Convention, un concours annuel de fabricants de télescope amateurs qui se tient à l’observatoire de Stellafane, près de Springfield, Vermont, depuis 1926. Le moment est venu, dit-il, de reconnaître la qualité du travail de ces personnes. Le Concours annuel de fabricants de télescope amateurs (CAFTA) voit ainsi le jour. À 2 exceptions près (1989 et 1990), cette compétition se déroule depuis lors afin de récompenser le magnifique travail d’astronomes amateurs québécois. La SAM organise le CAFTA en collaboration avec le Club d’astronomie Orion de la région de Salaberry-de-Valleyfield et / ou le Club d’astronomie de Dorval depuis 1992 environ.
Récipiendaire de récompenses de la Société royale d’astronomie du Canada et de l’Association des groupes d’astronomes amateurs, l’actuelle Fédération des astronomes amateurs du Québec, en 1981 et 1983, Coallier meurt en décembre 1986, à l’âge de 75 ans. Sa passion pour l’astronomie inspire encore de nombreux astronomes amateurs québécois.