« Je l’ai, mon diplôme. » : Gaby Morlay, symbole de la Française libre des années folles et première femme pilote de dirigeable au monde
Bonjour, amie(e) lectrice ou lecteur, bonjour. Votre humble serviteur doit avouer que c’est avec un plaisir à peine contenu que je vous offre cet article. Je suis en effet fasciné par ces cétacés volants que sont les dirigeables. Souhaitant être bref, je ne vous ferai pas attendre davantage.
Vous vous souvenez évidemment que Le Miroir, dont votre humble serviteur utilise les photographies ci-dessus, extraites du numéro paru le 26 octobre 1919, est le supplément illustré du grand quotidien français Le Petit Parisien, et… Ça ne vous dit rien, n’est-ce pas? Soupir. Passons.
Notre histoire commence en juin 1893 avec la naissance, en terre de France, la terre de mes ancêtres, de Blanche Pauline Fumoleau. Éprise de liberté, celle-ci s’enfuit du couvent où ses parents l’ont placée et se rend à Paris. L’adolescente espère devenir dactylographe.
Un soir, alors qu’elle assiste à un spectacle, Fumoleau rit à un point tel, un rire pointu et exubérant, qu’un couple assis tout près lui propose gentiment / sérieusement de faire du théâtre. Pourquoi pas, dit-elle? Du moment qu’on est payé. Fumoleau monte sur les planches après un court apprentissage, vers 1909. Elle n’a pas encore 16 ans. Son nom ne roulant pas sur la langue, l’adolescente reçoit un nom de scène, Gaby de Morlaix, qui devient par la suite Gaby Morlay. De Morlaix / Morlay ne tarde pas à plaire au public parisien. De fait, elle l’enchante.
Passionnée par le théâtre, la jeune femme s’adonne toutefois au cinéma au plus tard en 1914, pour assurer sa subsistance. Son triomphe dans un film parlant, en 1930, constitue un point tournant. À partir de ce moment, Morlay prend le cinéma beaucoup plus au sérieux. De fait, elle devient une des plus grandes étoiles du cinéma français, et ce en dépit d’une voix un tantinet fluette.
Que peut-on dire au sujet de cette actrice populaire, spirituelle et talentueuse dont émane une joie de vivre intense? Morlay est une jolie femme toute menue aux yeux pétillants qui, au cours d’une carrière qui s’étale sur plus d’un demi-siècle, joue dans environ 110 films muets et parlants et un nombre indéterminé (40? 45?? 50???) de pièces de théâtre. Cette authentique actrice a autant de succès dans les drames que dans les comédies. Quel que soit le projet sur laquelle elle travaille, Morlay fait preuve de vivacité, de spontanéité, de sérieux, de réactivité, de puissance, de profondeur, d’intuition, d’harmonie, d’habilité, de curiosité et d’adaptabilité.
Dans sa vie de tous les jours, Morlay est le symbole de la Française libre des années folles, ces années 1920 prises en tenaille entre l’hécatombe de la Grande Guerre et le chaos de la Grande Dépression. Cette femme non-conformiste à l’esprit de pionnière aime bouger et innover. Elle aime le sport, et pas seulement comme spectatrice. Bonne cavalière et nageuse, Morlay fait aussi de la boxe et du patinage. En 1920 par exemple, elle participe à la 13ème édition de la traversée de Paris à la nage.
Morlay s’intéresse à pour ainsi dire tous les sports liés à des moyens de transport motorisés : automobile, avion, dirigeable et scooter. Encore une fois en 1920, elle s’inscrit au premier concours de patinettes automobiles / motos patinettes tenu à Paris, organisé par un quotidien sportif parisien bien connu, L’Auto. Souffrante le jour de la compétition, Morlay ne peut pas y participer, et… Qu’avez-vous, amie(e) lectrice ou lecteur, vous semblez un tantinet perplexe. Qu’est-ce qu’une patinette automobile / moto patinette, demandez-vous? Toutes mes excuses. Ces expressions désignent alors les véhicules connus aujourd’hui sous le nom de scooters ou cyclomoteurs.
Détail intéressant, du moins pour votre humble serviteur, un passionné de digression comme vous le savez douloureusement bien, Morlay prévoit participer à la susmentionnée compétition avec une patinette automobile britannique, plus spécifiquement une A.B.C. / Campling Skootamota. Si cette cousine éloignée de la Innocenti Lambretta et de la Piaggio Vespa, 2 véhicules mentionnés dans un numéro d’août 2018 de notre blogue / bulletin / machin, semble être fabriquée et vendue par Gilbert Campling Limited, elle est commercialisée par A.B.C. Motors (1920) Limited. Et c’est là que l’histoire devient intéressante d’un point de vue aérospatial, un détail qui me permet de lier notre sujet de la semaine au mirifique Musée de l’aviation et de l’espace du Canada d’Ottawa, Ontario.
Oui, oui, le fait que le Skootamota soit un mode de transport terrestre me permet aussi de lier notre sujet de la semaine à une institution sœur / frère du stupéfiant Musée de l’aviation et de l’espace du Canada, le Musée des sciences et de la technologie du Canada, à Ottawa.
Ce qui est vraiment intéressant ici, toutefois, c’est le fait que A.B.C. Motors Limited, la firme qui précède A.B.C. Motors (1920), met au point, en 1917-18, un des premiers, sinon le premier moteur en étoile refroidi par air à grande puissance pour aéronefs. Le gouvernement britannique signe des contrats avec 17 ou 18 sociétés qui prévoient la fabrication de 11 930 exemplaires du dit moteur. Ceux-ci sont destinés à être montés sur une bonne partie, sinon la majorité des avions de combat que l’armée de l’air britannique, ou Royal Air Force (RAF), prévoit / espère recevoir en 1918-19.
Le cheveu dans la soupe, si je peux utiliser cette expression, c’est que ce A.B.C. Dragonfly compte parmi les pires moteurs d’aéronefs du 20ème siècle. Si les premiers essais s’avèrent somme toute plutôt réussis, le Dragonfly est néanmoins plus lourd et moins puissant que prévu. Des essais subséquents démontrent que ce moteur vibre à un point tel qu’il menace de s’autodétruire après tout juste quelques heures de fonctionnement. Environ 1 150 exemplaires de cette abomination mécanique sortent d’usines avant l’annulation du programme de production, en 1918. Le nombre de Dragonfly mis à l’essai en plein ciel se compte apparemment sur les doigts des 2 mains d’un être humain, ou d’un singe, typique. Salut, cousin(e)!
Oserais-je dire que la RAF peut se compter chanceuse que l’Armistice qui met fin aux combats de la Première Guerre mondiale soit signé en novembre 1918? Euh, oui, j’ose. Si je peux me permettre un commentaire, un(e) excellent(e) vendeuse ou vendeur et un(e) acheteuse ou acheteur un peu crédule ne constituent pas toujours une bonne combinaison. Mais revenons à la grande actrice française au cœur de cet article.
Fascinée par l’aviation comme des millions d’autres Françaises et Français, Morlay souhaite piloter un ballon. Le début de la Première Guerre mondiale, en 1914, met fin à ses espoirs, mais ce n’est que partie remise. En effet, au plus tard en juillet 1920, Morlay a une licence de pilote d’avions, une licence de pilote de ballons et une licence de pilote de dirigeables, obtenues dans un ordre qui n’est pas nécessairement celui dans lequel elles sont mentionnées ici. L’actrice française est selon toute vraisemblance la première femme au monde, et un des premiers êtres humains, à détenir ces 3 types de licence.
En 1919, Morlay aborde la possibilité d’obtenir sa licence de pilote d’avion avec la première femme au monde ayant obtenue la dite licence, en mars 1910, Élisa Léontine Deroche, plus connue sous le pseudonyme inventé de baronne Raymonde de Laroche. Le décès de cette dernière, en juillet 1919, dans un accident d’avion, attriste profondément Morlay mais ne la fait pas changer d’avis.
Auriez-vous quelques minutes à consacrer à une péroration sur la formation de pilote de dirigeables subie par Morlaix, amie(e) lectrice ou lecteur? Oui? Vermouilleux! Sachez donc que son instructeur est un pilote et ingénieur bien connu dans les milieux aéronautiques français pour ses nombreuses ascensions et vols d’essais, réalisés pour son employeur, la Société française des ballons dirigeables et d’aviation. Cela étant dit (tapé?), Pierre Debroutelle joue selon toute vraisemblance une importance toute aussi grande en matière de sport nautique et de sauvetage maritime. Vous voyez, il complète un bateau pneumatique / gonflable en 1934, ou 1937.
Une version améliorée, mise à l’essai en 1940, est l’ancêtre des bateaux pneumatiques Zodiac utilisés après la Seconde Guerre mondiale par les forces armées de quelques / plusieurs pays de même que par d’innombrables passionné(e)s de sports nautiques de par le monde. L’équipe du célèbre océanographe, inventeur, environnementaliste, cinéaste et auteur français Jacques-Yves Cousteau utilise moult Zodiac lors de ses expéditions, par exemple. Vive la Terre! Nous n’en avons pas d’autre. Et oui, ce gentilhomme est mentionné dans des numéros de janvier et avril 2019 de notre blogue / bulletin / machin, mais revenons à notre histoire.
Un détail avant d’y aller. Zodiac Nautic Société par actions simplifiée, une filiale de la firme française Energetic Développement Société anonyme à responsabilité limitée spécialisée dans la conception, fabrication et commercialisation de bateaux pneumatiques, existe encore en 2019, mais je digresse.
Le dirigeable sur lequel Morlay subit sa formation en 1919 entre selon toute vraisemblance en service au cours de la Première Guerre mondiale. Il sert également selon toute vraisemblance au sein d’une unité anti-sous-marine de la Marine nationale, la marine de guerre française. Son fabricant est la susmentionnée Société française des ballons dirigeables et d’aviation.
Vers la fin de 1919, le dit dirigeable appartient à la Compagnie générale transaérienne, un transporteur aérien dont l’acronyme, CGT, ne doit pas être confondu avec celui de la Confédération générale du travail, une très importante centrale syndicale française mentionnée dans un numéro d’août 2019 de notre blogue / bulletin / machin.
Croiriez-vous qu’un des fondateurs de cette société qui utilise des aérostats et des aéronefs, autrement dit des dirigeables et des avions, est nul autre que Henry Deutsch de la Meurthe, né Salomon Henry Deutsch, un industriel / entrepreneur, mécène et compositeur français mentionné dans ce même numéro d’août 2019 de notre blogue / bulletin / machin?
Vous vous souviendrez peut-être, amie(e) lectrice ou lecteur à la mémoire éléphantesque, que, fin août 1919, le transporteur aérien britannique Aircraft Transport & Travel Limited lance le premier service aérien international régulier, entre le Royaume-Uni et la France. Cela étant dit (tapé?), saviez-vous que cette firme mentionnée dans un numéro de septembre 2019 de notre blogue / bulletin / machin effectue la liaison en collaboration la Compagnie générale transaérienne? Le monde est vraiment petit, n’est-ce pas?
Morlay obtient sa licence de pilote de dirigeables en novembre 1919. Aux dires d’un quotidien français, son succès donne à une actrice américaine du nom de Lillian Sisson (orthographe?) l’idée de faire de même. Votre humble serviteur doit avouer ne pas avoir trouvé le moindre article sur cette jeune femme, ou son projet, dans la presse américaine de l’époque.
Morlay ne semble pas avoir beaucoup volé après avoir obtenu la dite licence de pilote de dirigeables. Cela étant dit (tapé?), elle achète apparemment un ballon à gaz en 1920. En octobre de cette même année, lors d’un important meeting aérien, elle participe, en tant que passagère, à un rallye en ballon. L’aéronaute et auteur Roger Lallier compte parmi les pilotes qui se lancent à la poursuite du ballon piloté par le comte Henry de La Vaulx. Le troisième membre d’équipage de l’aérostat de Lallier est un acteur, chorégraphe et danseur américain du nom de Harry Pilcer. C’est son baptême de l’air.
Croiriez-vous que de la Vaulx compte parmi les fondateurs des 2 sociétés qui donnent naissance à la Société française des ballons dirigeables et d’aviation? Le monde est effectivement vraiment petit, n’est-ce pas?
De fait, vous vous demandez sans doute si, comme la fameux Capitaine Jack Sparrow, un gentilhomme (?) mentionné dans un numéro de septembre 2018 de notre blogue / bulletin / machin, votre humble serviteur écrit un plan à l’avance, ou improvise au fur et à mesure. À vous de décider.
Si Morlay tourne une quinzaine de films au cours de la période pendant laquelle la France est occupée par les forces armées de l’Allemagne national-socialiste, elle précise, une fois son pays libéré, qu’elle n’a jamais travaillé pour Continental Films Société anonyme, une importante maison de production cinématographique de droit française mais à capitaux allemands fondée vers la fin de 1940. Une ombre plane toutefois brièvement au-dessus de Morlay, d’autant plus que plusieurs personnes importantes à Paris savent qu’elle a une liaison avec Max Bonnafous, l’amour de sa vie et le mal marié Ministre secrétaire d’État à l’Agriculture et au Ravitaillement (avril 1942 – janvier 1944) dans le gouvernement collaborationniste dirigé par Henri Philippe Benoni Omer Joseph Pétain pendant la période noire qu’est l’Occupation.
Poursuivi pour son rôle pendant la Seconde Guerre mondiale, Bonnafous obtient un non-lieu à poursuivre en 1948, le juge ayant décidé que la preuve rassemblée contre lui ne justifie pas la continuation de la dite poursuite. Les services qu’il rend à la Résistance et sa résistance polie mais tenace face aux exigences des autorités d’occupation allemandes sont par ailleurs reconnus.
Morlay et Bonnafous demeurent proches jusqu’au décès de l’épouse de ce dernier, en 1961. Les amis / amoureux se marient peu après. Morlay meurt en juillet 1964, à l’âge de 71 ans, peu de temps après avoir complété un film et une pièce de théâtre. Son étoile brille toujours au firmament du cinéma français, européen et mondial.
Paix et longue vie, amie(e) lectrice ou lecteur.