Un futur président de la république dans un repaire de socialistes athées
Je vous salue, ami(e) lectrice ou lecteur. Si vous n’y voyez pas d’inconvénient, j’aimerais vous offrir un sujet relativement bref cette semaine. Nous sommes en effet bien occupé(e)s à ce temps-ci de l’année. Notre sujet pour cette semaine touche à un champ d’activité qui concerne l’auguste institution pour laquelle j’ai l’honneur et le privilège de travailler. Cela étant dit (tapé?), votre humble serviteur n’a pas fait appel aux incommensurables ressources de la bibliothèque du Musée de l’aviation et de l’espace du Canada, à Ottawa, Ontario. Soucieux d’élargir les horizons de notre blogue / bulletin / machin, j’ai puisé la photo qui illustre mon propos dans le numéro du 16 décembre 1948 d’un hebdomadaire de Montréal, Québec, aujourd’hui disparu, Photo-Journal.
Notre histoire commence en 1948 lorsqu’un jeune homme de 22 ans qui vient tout juste de compléter ses études à l’École polytechnique, à Paris, arrive en Amérique du Nord. Avant d’entreprendre d’autres études à la toute nouvelle École nationale d’administration, à Paris, ce Français souhaite visiter une région du monde qui l’intéresse tout particulièrement. Ayant passé un certain temps aux Etats-Unis, il se rend au Canada. Notre jeune ami trouve un emploi temporaire à Outremont, en banlieue de Montréal, Québec : il enseigne le français et / ou l’histoire pendant un trimestre (?), au Collège Stanislas. Cet établissement d’enseignement privé catholique réputé qui offre une formation primaire et secondaire est une filiale du Collège Stanislas, une institution d’enseignement privé catholique réputée de Paris. Ces deux établissements existent encore en 2018.
Pour une raison ou pour une autre, le premier ministre du Québec entre 1944 et 1959, le très (trop?) conservateur Maurice Le Noblet Duplessis, n’aime pas le Collège Stanislas de Montréal. Il s’agir selon lui d’un repaire de socialistes athées – un commentaire simpliste mais somme toute typique du personnage. Notre jeune ami français, par exemple, n’a pas l’ombre d’un globule rouge socialiste dans ses veines ou artères.
Passionné(e) d’aviation comme vous l’êtes, ami(e) lectrice ou lecteur, si, si, vous l’êtes, assumez votre passion. Passionné(e) d’aviation comme vous l’êtes, dis-je, votre humble serviteur a le plaisir de vous informer qu’un groupe de scouts voit le jour au Collège Stanislas en avril 1939. Ce Groupe Stanislas, l’actuelle 55ème Guynemer d’Outremont, emprunte tant les couleurs de son foulard que son modèle au groupe de scouts du Collège Stanislas de Paris. Ces 2 groupes existent encore en 2018. Vous savez-tout comme moi que Georges Marie Ludovic Jules Guynemer compte parmi les plus fameux pilotes de chasse de la Première Guerre mondiale.
À une certaine époque, la 55ème Guynemer d’Outremont compte parmi ses membres un futur économiste, haut fonctionnaire, professeur, homme politique et premier ministre québécois. Jacques Parizeau compte pendant longtemps parmi les membres les plus influents du parti politique dirigé à une certaine époque par René Lévesque, un personnage mentionné dans des numéros de septembre et novembre 2018 de notre blogue / bulletin / machin.
Vous rappelez-vous le nom du jeune visiteur venu de la douce France qui est au cœur de cet article? N’avez-vous pas lu et mémorisé la légende de la photo ci-dessus? Soupir. Notre jeune visiteur est nul autre que Valéry René Marie Georges « VGE » Giscard d’Estaing, et… Qu’y a-t-il? Vous ne savez pas qui est cette personne? Sérieusement?! Sachez que Giscard d’Estaing est président de la France entre 1974 et 1981. Défenseur d’un projet de société libérale avancée, il fait voter diverses mesures en ce sens : abaissement de la majorité électorale et civile, dépénalisation de l’avortement, fin de la tutelle de la télévision publique, etc. Conscient de l’importance de la haute technologie pour l’économie française, Giscard d’Estaing développe un projet de train rapide, le fameux Train à grande vitesse, ou TGV, ce qui est fort bien, et relance l’industrie nucléaire, ce qui n’est pas nécessairement aussi bien.
Aussi intéressante qu’une visite en Amérique du Nord puisse être pour ce vétéran de la Seconde Guerre mondiale, vous comprendrez que votre humble serviteur ne souhaite pas parler tourisme aujourd’hui. Désolé. Notre blogue / bulletin / machin étant une source indispensable de savoir multidisciplinaire et holistique pour sa multitude de lectrices et lecteurs, une bonne douzaine aux dernières nouvelles, je souhaite porter à votre attention la demi-douzaine de conférences sur l’astronomie prononcées par Giscard d’Estaing à Montréal en décembre 1948. Celles-ci sont offertes conjointement par l’Association canadienne-française pour l’avancement des sciences (ACFAS), l’actuelle Association francophone pour le savoir, et la Société royale d’astronomie du Canada.
Qu’est-ce l’ACFAS, dites-vous, ami(e) lectrice ou lecteur avide de savoir? Et bien, il s’agit d’une association sans but lucratif ayant pour mission de promouvoir l’activité scientifique, stimuler la recherche et diffuser le savoir en français. En dépit de son nom, l’ACFAS s’intéresse à tous les domaines de la recherche, de la sociologie à la physique. Elle voit le jour en 1923, à Montréal. Et oui, ami(e) lectrice ou lecteur perspicace, ce sont des professeurs de l’Université de Montréal qui lancent cet organisme qui joue un rôle crucial dans l’histoire de la communauté scientifique canadienne-française / québécoise. Et oui encore, cette université est mentionnée dans des numéros de juillet et de novembre 2018 de notre blogue / bulletin / machin. Oserons-nous dire « et oui » une troisième fois? Et oui, un personnage mentionné dans un numéro de juillet 2018 de notre blogue / bulletin / machin, le frère Hormisdas-Marie Gamelin, participe à au moins un congrès annuel de l’ACFAS. Votre curiosité toute naturelle concernant cet organisme étant satisfaite, revenons au sujet qui nous concerne.
Un examen des quotidiens et hebdomadaires de l’époque ne révèle malheureusement pas grand chose sur le contenu des conférences prononcées par Giscard d’Estaing. Un commentaire rapporté par l’auteur de l’article d’où provient la photo de ce dernier mérite toutefois d’être souligné. Aux dires de Giscard d’Estaing, et je cite, « il ne faut pas trop ajouter foi à la croyance populaire qui veut que les anciens aient été très versés dans cette branche de la science » qu’est l’astronomie. Divers travaux de recherche effectués un peu partout dans le monde au cours des dernières décennies révèlent en fait que certains peuples anciens étaient très versés dans cette branche de la science qu’est l’astronomie. Il suffit de songer au calendrier maya, aux chroniques chinoises ou au mécanisme / machine d’Anticythère pour s’en convaincre.
Qu’est-ce que le mécanisme d’Anticythère, dites-vous, ami(e) lectrice ou lecteur? Rien de moins que le premier calculateur analogique fabriqué de main humaine dont l’existence peut être confirmée. Complété il y a au moins 2 100 ans, par des artisans grecs, ce dispositif en bronze d’une grande complexité permet de prédire les positions des astres du système solaire (Soleil, Lune, Mercure, Vénus, Mars, Jupiter et Saturne) et les dates d’éclipses du soleil et de la Lune, et ce des décennies à l’avance. Les restes du mécanisme d’Anticythère sont découverts en 1901, dans l’épave d’une galère romaine qui a coulé près de l’île d’Anticythère, près de l’île de Crête, un état autonome au sein de l’Empire Ottoman, mais je m’égare, emporté par l’enthousiasme que je ressens envers ce bijou technique absolument unique.
Si je peux me permettre une suggestion, le Musée des sciences et de la technologie du Canada, une institution sœur / frère du Musée de l’aviation et de l’espace du Canada, pourrait / devrait envisager la possibilité de créer une exposition temporaire ou itinérante sur l’astronomie des peuples anciens et autochtones du monde entier. Je vous dis ça comme ça, moi. Une section de la dite exposition pourrait / devrait examiner les affirmations, sans fondement selon votre humble serviteur, selon lesquelles la précision des calendriers et des alignements d’édifices, de même que l’existence de certains objets énigmatiques, tels le mécanisme d’Anticythère et l’oiseau / planeur de Saqqarah, réalisés il y a fort longtemps, prouvent que des intelligences extraterrestres ont visité / visitent la Terre. De fait, je me demande si une exposition temporaire ou itinérante sur la non-présence de ces intelligences extraterrestres sur notre planète ne serait pas une meilleure idée.
Attendez un peu, à mieux y penser, c’est le Musée de l’aviation et de l’espace du Canada qui devrait réaliser de telles expositions qui touchent pleinement à ses champs d’activités, mais je m’éloigne de nouveau du sujet de cette semaine. Toutes mes excuses et… Vous semblez de nouveau perplexe, ami(e) lectrice ou lecteur. Que dites-vous? Vous n’avez jamais entendu parler de l’objet fortéen qu’est l’oiseau de Saqqarah? Oh joie, vous m’offrez une nouvelle autre occasion de pontifier! Pardon. L’enthousiasme m’emporte, ce qui me donne l’opportunité de vous rappeler que le terme fortéen est mentionné dans un numéro d’octobre 2018 de notre blogue / bulletin / machin.
Découvert en 1898, à Saqqarah, Égypte, lors de l’excavation (profanation?) d’une tombe, l’oiseau de Saqqarah est une statuette en bois vieille de 2 200 ans qui reproduit la forme d’un faucon en vol. Un Égyptien passionné d’aéronautique décrit de diverses manières (archéologue, architecte, égyptologue, maquettiste, médecin, parapsychologue, professeur d’université et radiesthésiste) tombe dessus par hasard en 1969 alors qu’il examine des modèles d’oiseaux dans une boîte. Fasciné par la forme aérodynamique de la statuette, il en vient à croire que l’oiseau de Saqqarah prouve que les principes de base du vol sont connus, en Égypte, environ 2 000 ans avant les travaux de sir George Cayley, le gentilhomme britannique que plusieurs considèrent comme étant le père de l’aéronautique. Une commission d’enquête créée par le gouvernement égyptien arrive à une conclusion similaire vers 1971. L’oiseau de Saqqarah est placé en exposition pendant plusieurs années. Au fil des ans, de nombreux articles, livres et sites Web parlent de cet objet fascinant.
Comme on peut s’y attendre, toutes ces affirmations soulèvent la controverse. L’oiseau de Saqqarah demeure en fait fort controversé en 2018. Des essais en vol avec des répliques de taille variée de la statuette ne permettent pas de trancher. Les milieux académiques mettent de l’avant diverses hypothèses pour expliquer la fonction de l’oiseau de Saqqarah. Il s’agit peut-être d’un objet rituel, d’une girouette ou d’un jouet. Aucun texte ne mentionnant cette statuette, nous ne pouvons que spéculer, mais revenons à notre histoire.
La première des conférences prononcées par Giscard d’Estaing s’intitule Univers 1948. Elle se tient le jeudi, 2 décembre, dans le grand amphithéâtre de l’École polytechnique de Montréal, une institution associée à l’Université de Montréal sans lien direct avec son homonyme parisien. Les 5 autres conférences sont présentées dans des locaux de l’Université de Montréal :
le mardi 7 décembre La mécanique du monde solaire,
le vendredi 10 décembre La physique du monde solaire,
le mardi 14 décembre Connaissance des étoiles,
le mercredi 15 décembre Les étoiles variables et les sources d’énergie stellaire, et
le vendredi 17 décembre L’évolution de l’univers.
Si je peux me permettre de paraphraser un article publié à l’époque, le public, les étudiant(e)s et les diplômé(e)s de l’École polytechnique de Montréal sont cordialement invité(e)s. Et oui, vous êtes dans le vrai, ami(e) lectrice ou lecteur, de nombreuses personnes célèbrent, le 17 décembre 1948, le 45ème anniversaire du premier vol contrôlé et soutenu d’un avion à moteur, réalisés par Orville et Wilbur Wright, deux Américains mentionnées à diverses reprises dans des numéros de notre blogue / bulletin / machin.
Euh, en fait, je dois avouer ne pas avoir grand-chose à ajouter sur le séjour en sol québécois d’un futur président de la république française, si ce n’est que Giscard d’Estaing souhaite apparemment participer à des émissions radiophoniques de la Société Radio-Canada, un radiodiffuseur d’état mentionné dans un numéro de novembre 2018 de notre blogue / bulletin / machin. Il peut même avoir soumis un projet qui ne va nulle part.
Giscard d’Estaing quitte le Collège Stanislas, Montréal, le Québec, le Canada et l’Amérique du Nord à la fin de décembre 1948. Il entame ses cours à École nationale d’administration en janvier 1949, après une absence de 4 mois. Le séjour de Giscard d’Estaing au Québec ne laisse que peu de traces. Il ne le mentionne pas dans ses mémoires, par exemple.
Cela étant dit (tapé?), Giscard d’Estaing compte parmi les personnages d’un roman du fameux dramaturge, romancier et scénariste québécois Michel Tremblay qui se déroule vers 1948. Publié en 1982, La duchesse et le roturier, troisième tome des Chroniques du Plateau Mont-Royal, mentionne également le chanteur français Tino Rossi, né Constantin Rossi. Si ce dernier est décrit comme étant un Français sympathique et aimé du petit peuple québécois, Giscard d’Estaing représente le Français intimidant et beaucoup moins apprécié. Le futur président de la république décrit par Tremblay semble pourtant aimer les spectacles d’humour. Il se rend au Théâtre National, par exemple. Giscard d’Estaing est à ce point impressionné par le talent de la propriétaire de l’établissement qu’il se rend en coulisse pour la féliciter. Ne pouvant croire que ce Français de bonne famille s’appelle vraiment Valéry, la reine du burlesque québécois pense qu’il veut se payer sa tête et l’envoie promener.
Si je peux me permettre une clarification, le burlesque québécois est composé de sketchs improvisés, de monologues humoristiques et de chansons. On n’y retrouve aucun effeuillage. Les comédiennes et comédiens s’expriment souvent en « joual, » le français populaire parlé dans la région montréalaise. Le clergé catholique et l’élite laïque du Québec n’apprécient guère le burlesque, qu’ils jugent par trop vulgaire. Plus ou moins consciemment, elle et ils réalisent peut-être que cette forme de divertissement a un côté social, voire subversif. Certaines interprètes féminines, y compris la susmentionnée reine du burlesque, incarnent en effet des épouses qui n’hésitent pas à défier l’autorité masculine et / ou à rendre la monnaie de leurs pièces à leur époux infidèle.
Dans les faits, et ce qui suit n’est pas une blague, la rencontre entre Giscard d’Estaing et Marie Rose Alma Nélida Ouellette, une comédienne et humoriste mieux connue sous le nom de « La Poune, » se termine plutôt bien. Mieux encore, ils semblent échanger des lettres pendant un certain temps. Croiriez-vous que, lors d’une rencontre avec le premier ministre du Québec, Robert Bourassa, à Paris, en décembre 1974, Giscard d’Estaing, alors président de la république, laisse son visiteur pantois lorsqu’il lui demande comment va « La Poune? »
Et c’est tout pour aujourd’hui. Si, si, c’est vraiment tout. Bonne semaine à vous, et bonne année.