Vivre dans deux mondes : célébrer les murales de parcs des voitures de train
De nombreuses œuvres d’art sont accrochées au mur pour rester là, immobiles, pendant des années, voire toute la vie. Toutefois, l’histoire de l’art canadien nous révèle qu’une série unique de tableaux ont parcouru le pays à plusieurs reprises.
En 1954, la Royal Academy of Arts a demandé à 18 éminents artistes canadiens de réaliser des tableaux représentant des parcs nationaux et provinciaux. Les œuvres ainsi créées ont été installées dans les voitures-salons du célèbre train transcontinental de passagers Le Canadien du Chemin de fer Canadien Pacifique (CFCP).
À l’époque, 54 œuvres d’art ont été installées dans ce qu’on appelait alors les « Park Cars », des voitures de train panoramiques. Aujourd’hui, 33 de ces pièces se trouvent à Ingenium – Musées des sciences et de l’innovation du Canada, à Ottawa. Mais en raison d’une exposition prolongée à la fumée et aux vibrations et de l’usure générale due à l’emplacement peu conventionnel des tableaux, ces derniers ont dû être restaurés en profondeur. VIA Rail Canada est devenue propriétaire du train Le Canadien en 1978, mais ce n’est qu’en 1984 qu’on a décidé de retirer les œuvres des wagons.
Généralement parlant, on accroche des tableaux aux murs de maisons, de galeries et de bureaux, et on n’y touche plus. Mais dans les voitures panoramiques « Park », les murales étaient littéralement rivées aux parois intérieures des wagons. Elles ont ainsi donné lieu à des galeries mobiles parcourant le chemin de fer du Canadien Pacifique pendant des décennies, étant vues par des auditoires beaucoup plus vastes par rapport aux autres tableaux confinés sur les murs d’institutions variées.
Les murales révèlent leur vécu par les craquelures dans la peinture et les dommages inhérents à toute pièce de mobilier ferroviaire. Comme rien n’en protégeait la surface, les murales ont été exposées à des conditions d’une rudesse sans précédent. La contribution continue de ces œuvres aux discussions sur l’art paysager canadien et sur l’histoire de la décoration intérieure dans le domaine des transports est une occasion fort intéressante pour Ingenium.
L’intérieur d’une voiture-salon ornée de murales, 1954.
L’acquisition des murales soulève la question suivante : quelle est la meilleure façon d’exposer ces pièces pour favoriser un lien plus fort avec les thèmes de l’art et de la science?
Ces œuvres ne sont pas présentées dans le cadre d’une étude sur l’art paysager canadien. Il s’agit plutôt d’œuvres artistiques canadiennes hors de leur fonction première, qui ont été désinstallées et amenées dans un musée, donnant au public l’occasion de les découvrir. Il pourrait être envisagé de créer un cadre moins conventionnel pour les tableaux, pour refléter leur réelle vocation. L’idée préconçue est de traiter ces œuvres comme des peintures sur toile encadrées traditionnelles, une exigence de conservation pour les protéger. Toutefois, il est possible d’élargir la définition de tableaux et de réinventer le concept de murales installées.
Il convient de prendre en considération les différences fondamentales entre les attentes d’une galerie d’art et celles d’un musée scientifique, ainsi que la manière dont ces tableaux particuliers fonctionnent dans les deux cas. En quoi le rôle d’un conservateur ou d’une conservatrice dans une institution axée sur l’art diffère-t-il de celui de son homologue dans un musée scientifique? Les attentes des gens sont différentes lorsqu’ils entrent dans l’une et l’autre de ces deux institutions. Ces attentes sont essentielles dans la conception d’une exposition.
Parc national Banff, par Charles Comfort
Parc provincial Sibley, par Yvonne McKague Housser
De façon générale, lorsqu’on entre dans un musée d’art, on accepte une relation plus émotionnelle avec les objets, plutôt que directement interactive. Par comparaison, dans un musée axé sur la technologie, on s’attend à des interactions plus pratiques et factuelles. Dans le cas des murales, elles peuvent vivre dans les deux mondes. Elles étaient, après tout, des éléments de décoration intérieure fonctionnels dans des trains. Mais il s’agit tout de même d’œuvres originales réalisées de manière traditionnelle par des artistes canadiens connus et compétents. Retirer ce contexte – leur installation dans des voitures-salons – pour leur interprétation serait leur rendre un bien mauvais service, la crainte étant que leur histoire soit perdue et qu’elles soient prises à tort pour des œuvres purement commandées par et pour le Canadien Pacifique.
Parc provincial Sibley, par Yvonne McKague Housser
Installation des murales des voitures panoramiques au Musée des sciences et de la technologie du Canada, octobre 2012. Le musée a depuis été réaménagé, et les murales sont actuellement entreposées.
Pendant un certain temps, elles ont été exposées dans le couloir de l’ancien Musée des sciences et de la technologie du Canada. Le musée a été complètement réaménagé, après quoi les tableaux n’ont pas été raccrochés à la vue du public. Si on devait les ressortir de leur entreposage et les exposer de nouveau au musée, il faudrait prévoir un lien visuel plus direct – quelque chose qui rendrait service à leur vie au sein de la collection du musée. Compte tenu de leur raison d’être initiale, recréer leur contexte antérieur – au moyen de reproductions haute résolution, d’éléments vidéo, ou même de la construction d’une structure pour reproduire l’espace clos d’une voiture-salon de chemin de fer – pourrait permettre à l’auditoire de vivre une expérience indirecte mais engageante avec les œuvres. Ce type de présentation offrirait au visiteur une compréhension concrète de l’expérience que faisaient vivre les tableaux, et permettrait de faire ressurgir leur importante contribution à la fois aux mondes de la peinture murale et de la décoration intérieure ferroviaire du passé.
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