Jamais le dimanche : La grande histoire d’un Roland ibérien, Partie 2
Bienvenue, ami(e) sceptique. Reprenons le fil de l’histoire où nous l’avons laissé. Il y a bien longtemps, en 1918 plus précisément, un ingénieur aéronautique chez Zeppelin-Werke Staaken Gesellschaft mit beschränkter Haftung, une filiale de Luftschiffbau Zeppelin Gesellschaft mit beschränkter Haftung, conçoit un énorme bombardier à 5 moteurs fait presque entièrement d’alliage aluminium pour le service aérien allemand, le Luftstreitkräfte. (Quelques instants s’il vous plaît, afin que je reprenne mon souffle. C’était une longue phrase et je ne suis plus jeune jeune.) S’il est vrai que la signature de l’Armistice, en novembre, met fin à ce projet révolutionnaire, Adolf Rohrbach (1889-1939) utilise apparemment le travail accompli jusqu’alors pour concevoir le premier avion de ligne multimoteur tout métal, ou presque, au monde. Le quadrimoteur Zeppelin Staaken E.4/20 vole au début d’octobre 1920. Son concept et ses capacités impressionnent profondément toutes celles et ceux qui le voient.
Prétextant que le E.4/20 peut être transformé en bombardier, la Commission interalliée de contrôle aéronautique (en Allemagne?) responsable du désarmement aérien de l’Allemagne après la Première Guerre mondiale met fin à tous les essais. Entre nous, il se peut que les gouvernements britannique et, plus encore, français veulent paralyser, sinon éliminer l’industrie aéronautique allemande, excluant ainsi un concurrent majeur ce de qu’ils espérant être un marché international en plein essor pour des aéronefs civils. En effet, la production d’aéronefs de toute sorte en Allemagne est interdire entre mai 1921 et juillet 1922. Les règlements introduits au milieu de 1922 font en sorte que les entreprises allemandes ne peuvent produire que de petits aéronefs avec des capacités limitées. Les aéronefs de combat de tous types sont interdits. Le E.4/20 se démarque douloureusement dans ce meilleur des mondes.
Il y a beaucoup de colère dans les milieux aéronautiques allemands lorsque la Commission interalliée de contrôle aéronautique ordonne que ce gros aéronef soit envoyé à la casse, ce qui est fait en novembre 1922. Un certain nombre de chroniqueurs et passionnés d’aviation dénoncent cette action au fil des décennies. Ce type de technophilie rose bonbon est peut-être mal placé. Oui, mal placé, mais ici et maintenant ne sont pas le lieu et l’heure de s’arrêter sur cette question. Votre humble serviteur espère, a l’intention oserais-je dire, de mijoter ou pondre un petit quelque chose sur le E.4/20 avant trop, trop longtemps. Mais revenons à notre histoire.
En 1922, Rohrbach fonde Rohrbach Metall-Flugzeugbau Gesellschaft mit beschränkter Haftung. Incapable de construire de gros aéronefs en Allemagne à cause des restrictions susmentionnées, il crée une compagnie au Danemark, Rohrbach Metal Aeroplan Company Aktieselskap, où il peut œuvrer en paix. À mesure que le travail progresse sur divers projets, la situation en Allemagne commence à changer. Les restrictions susmentionnées sont quelque peu atténuées en 1925 et abolies totalement en 1926, pour les aéronefs civils seulement bien sûr.
Cette même année, en septembre, Rohrbach Metall-Flugzeugbau entame les essais du, vous l’avez deviné, Rohrbach Ro VIII Roland (ROhrbach LANDflugzeug, ou avion terrestre Rohrbach). Cet avion de ligne à 10 passagères ou passagers avec cabine isolée et insonorisée, sans parler d’une toilette, est basé, vous l’avez deviné de nouveau, sur le E.4/20. La principale société aérienne allemande, Deutsche Luft Hansa Aktiengesellschaft (DLH), accepte cet aéronef avant même la fin de l’année. Elle met en service 17 autres Roland en 1927, 1928 et 1929. Curieusement, les pilotes et copilotes des six premiers aéronefs volent à l’air libre. Leurs plaintes conduisent à l’installation de cockpits fermés dans les Roland fabriqués par la suite et la plupart, sinon la totalité de ceux déjà en service.
DLH commence à utiliser ses Roland en 1927. Au fur et à mesure que le nombre d’aéronefs en service augmente, ils volent vers de plus en plus de villes européennes d’importance, telles Amsterdam, Genève, Londres, Milan et Vienne. Le Roland est une machine solide et fiable avec de bonnes performances. En date de mai 1929, des aéronefs de ce type ont établi pas moins de 22 records mondiaux (distance avec charge, vitesse avec charge sur des distances particulières, etc.).
Désireuse de concurrencer une société aérienne espagnole créée avec l’aide d’un avionneur allemand, DLH affrète jusqu'à sept Roland à Iberia, Compañía Aérea de Transportes Sociedad anónima à divers moments en 1927-28. Ces aéronefs volent tout d’abord du lundi au samedi, jamais le dimanche, sur une route subventionnée par le gouvernement allemand. Un passager parti de Madrid à 8h 30 du matin arrive à Berlin le lendemain, ce qui est très bien pour l’époque. L’auteur de ces lignes n’a pas trouvé l’heure de départ du vol de retour vers Madrid. Le nombre de vols hebdomadaires est réduit à deux en février 1928, tout juste avant que le gouvernement espagnol ne prenne en charge le financement de la route, mais il remonte à quatre en avril. La route Madrid-Berlin est abolie en décembre 1928, apparemment faute de trafic.
Au fur et à mesure que des avions de ligne plus récents et plus performants entrent en service, DLH commence peu à peu à disposer de ses Roland. Une société aérienne germano-soviétique dirigée principalement par des Allemands, Deutsch-Russische Luftverkehr Aktiengesellschaft, or Deruluft, obtient trois aéronefs vers 1932. Le dernier Roland utilisé par DLH est mis au rancart en 1935.
Vous serez intéressés, ou pas, d’apprendre que le prototype du Roland et l’aéronef initialement immatriculé en tant que M-CACA sont la même machine. Peu après son retour en Allemagne, en août 1928, cet avion de ligne est brièvement et secrètement / illégalement transformé en machine militaire – vraisemblablement un bombardier.
Et non, votre humble serviteur n’a pas oublié son opinion qu’il est possible de faire le lien entre von Zeppelin et Allen. Vous devrez cependant attendre encore un peu pour lire tout cela.