Un petit pas pour un homme, un pas de géant pour la construction amateur, Partie 2
C’est en Ontario qu’il faut chercher le père du mouvement de construction amateur canadien de l’ère moderne. Né le 17 septembre 1915, Keith S. « Hoppy » Hopkinson est un jeune homme curieux et habile de ses mains. Pendant la Seconde Guerre mondiale, il sert dans l’Aviation royale du Canada, une force aérienne connue à l’époque sous le nom de Corps d’aviation royal canadien. Ce jeune pilote est instructeur en chef de formation au sol dans la 12e École de pilotage élémentaire de Sky Harbour, près de Goderich, Ontario, un des nombreux éléments du Plan d’entraînement aérien du Commonwealth britannique. Le dit plan compte parmi les plus importantes contributions du Canada à la victoire alliée lors de la Seconde Guerre mondiale.
Conscients que leur école va fermer tôt ou tard, une quinzaine de militaires et d’employés civils sous la gouverne de Hopkinson décident de se lancer en affaires. Ils achètent à rabais l’atelier d’un petit chantier naval, National Shipbuilding Company, devenue le manège militaire d’un régiment de Milice en 1937. Dans les jours qui suivent la fermeture de la 12e École de pilotage élémentaire, en juillet 1944, le groupe fonde Huron Engineering & Research Company (Herco). En tant que président fondateur, Hopkinson supervise la fabrication de produits on ne peut plus variés, des bâtons de baseball aux chaises pliantes en passant par des poussinières électrique et des jouets en bois. Il conçoit une fournaise à eau chaude très économique fonctionnant au charbon qui n’est pas produite en grande quantité. Située sur le site de l’école de pilotage, loué par le conseil municipal de Goderich, Sky Harbour Air Services Limited est la plus importante filiale de Herco. Elle offre des leçons de pilotage et effectue des travaux de réparation et d’entretien d’aéronefs. Hopkinson en est également le président fondateur.
Aidé par quelques amis, Hopkinson entame la construction d’un aéronef monoplace de conception américaine, un Stits SA-3 Playboy modifié, en 1954, dans l’atelier de Sky Harbour Air Services. Tout comme de nombreux autres constructeurs amateurs de toutes les époques, la petite équipe utilise divers éléments provenant d’autres aéronefs. Le Playboy, baptisé « Little Hokey », vole en septembre ou octobre 1955 et s’avère fort réussi.
Avant même la fin de l’année, Hopkinson et quelques autres constructeurs amateurs canadiens fondent la Ultra Light Aircraft Association of Canada (ULAAC) dans l’espoir d’amener le ministère des Transports à permettre l’immatriculation d’aéronefs de construction amateur. Le président fondateur de l’Experimental Aircraft Association (EAA), la plus importante organisation nord-américaine liée à ce type de travail, Paul Howard Poberezny, les appuie de son mieux dans leur démarche.
Reconnaissant le sérieux de Hopkinson et de ses associés, le ministère des Transports fait preuve d’ouverture d’esprit. En janvier 1956, Hopkinson reçoit le tout premier permis de vol, un nouveau type de document officiel, afin d’évaluer l’utilité de créer une nouvelle catégorie d’aéronefs, dite ultralégère. Un peu plus tôt ou plus tard, le ministère transmet le brouillon d’une directive à l’Air Industries and Transport Association of Canada. Ce porte-parole de l’industrie aéronautique canadienne contacte ses membres afin de recueillir leurs opinions. De manière générale, ce brouillon de directive selon laquelle des aéronefs ultralégers canadiens monoplaces ou biplaces pourraient voler sans certificat de navigabilité est accueilli favorablement. La directive du ministère des Transports est par conséquent émise en juillet 1956. Le Playboy de Hopkinson est le premier aéronef immatriculé en vertu de la nouvelle réglementation. Il reçoit une nouvelle immatriculation en décembre qui reflète son statut d’aéronef ultraléger – une expression qui ne correspond pas nécessairement à la définition de ce type de machine volante en 2017.
La nouvelle réglementation constitue une véritable déclaration d’indépendance pour les constructeurs amateurs canadiens. Les mises en chantiers se multiplient. Le nombre d’aéronefs de construction amateur immatriculés au Canada passe d’une vingtaine à environ 155 entre 1959 et 1965. Vers la fin de 1964, il y a environ 60 aéronefs en cours de construction en Colombie-Britannique et plus de 150 dans la seule région de Toronto, Ontario.
De nombreux constructeurs amateurs canadiens joignent les rangs de l’EAA. Fondée en janvier 1953 sous le nom d’Experimental Aircraft Owners and Pilots Association, celle-ci devient peu à peu la plus importante organisation de constructeurs amateurs au monde. Le premier chapitre canadien de l’EAA voit le jour à Edmonton, Alberta, en 1958. Il s’agit en fait du premier chapitre étranger de l’organisation. D’autres chapitres ne tardent pas à voir le jour ailleurs au Canada. Il y en a une vingtaine au printemps 1965 par exemple. Si le ministère des Transports fournit certaines informations aux constructeurs amateurs canadiens, c’est surtout vers l’EAA et l’ULAAC qu’ils se tournent pour obtenir réponses à leurs questions. Il est à noter que cette dernière semble disparaître avant le milieu des années 1960.
Hopkinson ne participe malheureusement pas très longtemps au développement de la construction amateur au Canada. Il meurt en effet le 26 mars 1964 dans l’écrasement d’un aéronef de Sky Harbour Air Services. Ce père de la construction amateur au Canada a à peine 48 ans. Un autre Ontarien, Donald A. « Don » Kernohan, achète le Playboy en août 1977. Il vend l’aéronef à la Collection aéronautique nationale, l’actuel Musée de l’aviation et de l’espace du Canada, en juillet 1978. Cette institution a la chance de posséder deux autres aéronefs d’importance historique ayant appartenu à Hopkinson :
– le monoplan conçu et fabriqué entre 1912 et 1915 par Robert McDowall, le plus ancien aéronef canadien encore en existence, et
– un monomoteur biplan Travel Air Modèle 2000 ayant appartenu à une compagnie fondée par Ernest Lloyd Janney, le chef de la première force aérienne canadienne, en 1914.
Conscient que certaines et certains d’entre vous seraient heureux d’en savoir un peu plus sur l’histoire du Stits SA-3 Playboy et de son concepteur, l’auteur de ces lignes vous invite à revenir sur ce site Web pour lire la troisième et dernière partie de cet article.