Dans les coulisses : Faites connaissance avec une productrice de céréales bio
Shelley and Tony Spruit sèment à contre-vent.
Après plus de 25 ans à faire pousser du blé, du soja et du maïs, surtout destinés aux animaux et à la production d’éthanol, le couple s’est mis à essayer des options de rechange sur les terres familiales près d’Ottawa, en y semant des variétés de maïs et d’orge rarement exploitées en Ontario. Ce virage reflète leur philosophie en matière d’agriculture, et pour Shelley Spruit, il est essentiel d’informer les consommateurs sur ce qu’ils mangent.
« Tout le monde qui mange a un rôle à jouer en agriculture, affirme-t-elle. Ce que nous mettons dans notre assiette montre ce qui compte pour nous et ce que nous sommes disposés à soutenir. La biodiversité en agriculture dépend de producteurs prêts à sortir des sentiers battus et à faire pousser des aliments sains et nutritifs, mais elle dépend aussi de consommateurs prêts à payer pour un produit dont la principale qualité n’est pas d’être le moins cher. La nourriture est intimement liée à la vie : nous ne pouvons plus considérer séparément notre santé, la santé de notre planète et nos choix alimentaires. »
Le Réseau Ingenium s’est entretenu avec Shelley Spruit pour découvrir ce que fait pousser son exploitation familiale, Against the Grain Farms, et l’effet de ses activités sur la santé des consommateurs.
Vue aérienne des cultures multicolores d’Against the Grain Farms.
Réseau Ingenium (RI) : Si je comprends bien, il y a quelques années, vous avez consacré 50 acres de plus à des cultures patrimoniales et non génétiquement modifiées, à des fins alimentaires. Pourquoi avoir pris cette décision?
Shelley Spruit (SS) : Mon mari et moi étions producteurs agricoles depuis 28 ans à l’époque, et nous étions de plus en plus inquiets de constater la perte de biodiversité en agriculture, la perte de diversité génétique dans la culture céréalière et la fluctuation des prix des produits de base. Nous avons décidé d’incarner le changement que nous souhaitions voir dans l’industrie agroalimentaire.
RI : Parlez-moi de la culture céréalière locale en Ontario et au Canada. Que faites-vous pousser et pourquoi ces choix sont-ils importants?
SS : La culture céréalière locale en Ontario et au Canada est semblable à celle d’ailleurs dans le monde. À cause de trois productions – celles du blé, du soja et du maïs – les autres céréales sont devenues en grande partie marginales. L’importation de céréales bon marché fait en sorte qu’il est très difficile pour un producteur de rentabiliser d’autres cultures. Cette année, nous avons semé plus de 28 variétés de blé, d’orge et de triticale. Nous avons aussi 31 variétés de haricots secs patrimoniaux, et nous sommes ravis de constater leur rendement. De plus, nous faisons pousser du maïs de couleur, y compris un maïs rouge espagnol et un maïs blanc du Mexique, tous deux patrimoniaux.
Shelly Spruit d’Against the Grain Farms fait l’inventaire de ses rangées de multiplication.
RI : J’ai cru comprendre que certaines de ces céréales ont d’extraordinaires propriétés nutritives. Pourriez-vous nous en dire plus?
SS : L’an dernier, nous avons lancé un blé ambré patrimonial (Brazilian Lavras), que nous préparions depuis 4 ans pour une réserve en graines. Quand nous l’avons analysé, nous avons découvert que sa teneur en protéines est de 15,3 %, ce qui est exceptionnel quand on sait que la teneur de la plupart des blés est de 13 %. Les boulangers sont tombés sous le charme, et nous sommes très fiers d’avoir pu raviver cette lignée. L’autre céréale qui me tient à cœur est l’orge pourpre. Nous n’avions qu’une poignée de graines au début, mais l’an dernier, nous en avons récolté 1,5 tonne! Pour miser sur une semence pendant 4 ou 5 ans, il faut vraiment y croire, mais c’est si gratifiant quand les chefs cuisiniers, les boulangers et les consommateurs manifestent un tel enthousiasme!
RI : Parlez-moi de votre orge nue, qui a été développée par un savant canadien.
SS : Quand nous avons acheté l’exploitation, il y a 5 ans, nous avions fait beaucoup de recherche sur différentes variétés de céréales. J’avais assisté à un symposium sur les céréales à la Ferme expérimentale, et j’ai été envoûtée par cette variété, qui faisait l’objet d’une allégation selon laquelle elle réduirait le cholestérol, voire la glycémie. L’idée de faire pousser une céréale qui puisse aussi être un « aliment fonctionnel » m’enthousiasmait. Imaginez pouvoir dire aux gens qu’ils peuvent manger un aliment plutôt que de prendre un médicament.
RI : Vous avez créé d’intéressants partenariats au sein de la communauté ottavienne. On me dit que la boulangerie Purebread Organic Bakery et le restaurant Red Apron intègrent à leurs produits la semoule et la farine de maïs violet et l’orge d’Against the Grain Farms. Y a-t-il d’autres endroits à Ottawa où on peut se procurer des produits faits à partir de vos récoltes?
SS : Oui, nous avons établi d’excellentes relations avec des chefs cuisiniers à Ottawa. Ils ont appuyé notre travail, et c’est avec beaucoup d’humilité que nous avons vu, au fil des années, des plats s’ajouter à l’offre des Eldon’s, North & Navy, Baccanelle, Alice et autres. En ce moment, on trouve nos produits au Red Apron, au marché Landsdowne, le dimanche, et à l’entrepôt d’Against the Grain Farms. Nous prévoyons aussi ajouter une boutique en ligne à notre site web.
RI : Dites-nous quelques mots sur votre programme de portions de céréales et sur ce qu’il offre aux consommateurs qui cherchent autre chose que des produits conventionnels.
SS : En vertu d’un partenariat avec Roots and Shoots, nous offrons à leurs clients d’ajouter une part de produits céréaliers à leur commande toutes les semaines ou deux. Pour chaque part, ils reçoivent deux produits de détail d’Against the Grain Farms et des recettes pour les apprêter. Nous joignons aussi une infolettre sur nos activités et des renseignements sur l’histoire des céréales qu’ils reçoivent. Nous faisons une promotion enthousiaste des céréales et grains entiers, de leurs avantages pour la santé, de la facilité avec laquelle on peut les intégrer à notre cuisine et de l’importance d’employer de la farine de grains entiers. La semoule de maïs violet ancien pour le pain de maïs, un mélange de grains anciens pour pilafs et la farine d’orge pour la boulangerie et la pâtisserie ne sont que quelques-unes des options que nous offrons.
Shelley Spruit sera au Musée de l’agriculture et de l’alimentation du Canada le jeudi 26 septembre dans le cadre de la série de conférences À saveur de science.