Dans les coulisses : Faites la connaissance d’une apicultrice du Musée de l’agriculture et de l’alimentation du Canada
Nadine Dagenais Dessaint est l’apicultrice principale du Musée de l’agriculture et de l’alimentation du Canada, qui abrite une ruche d’observation. Mme Dagenais Dessaint gère aussi des abeilles mellifères chez elle et vend son propre miel dans la région. Le Réseau Ingenium s’est entretenu avec Mme Dagenais Dessaint pour démystifier son engouement pour l’apiculture.
Réseau Ingenium (RC) : Quand avez-vous adopté l’apiculture?
Nadine Dagenais Dessaint (NDD): J’ai adopté l’apiculture il y a près de 10 ans, lorsque j’ai commencé à travailler sur l’exposition sur les abeilles ici, au Musée. Je faisais des lectures sur les abeilles mellifères et l’apiculture pour me préparer en vue de l’exposition. Plus je lisais sur le sujet, plus je trouvais cela intéressant, alors je me suis dit « Bon, pourquoi ne pas essayer! » J’ai alors acheté mes deux premières colonies et je suis une passionnée depuis ce temps.
RC: Que préférez-vous dans l’apiculture?
NDD: Il y a tellement de choses géniales! Toutes les fois où je me rends dans le rucher, j’éprouve un peu d’excitation. Je me demande toujours ce que je vais découvrir. Je vois toujours des choses que je n’avais encore jamais vues. Je ne travaille pas contre les abeilles, car nous sommes partenaires. Je vais les aider et, en échange, je recueille une partie du miel.
Elles sont tellement mignonnes et adorables. J’aime déplacer les cadres et les admirer, les regarder danser. Il y a des gens qui aiment regarder des vidéos de chats et jouer avec leur chat, mais pour moi, c’est comme jouer avec mes abeilles. En quelque sorte, c’est un passe-temps et c’est très amusant. Je pourrais juste m’asseoir devant la ruche et les regarder aller et venir.
RC : Quand vous avez décidé de vous lancer dans cette aventure, avez-vous suivi une formation?
NDD : J’ai suivi un cours au Collège Algonquin, mais je pense qu’en ayant fait autant de lecture sur l’apiculture – je dois avoir lu plus d’une douzaine d’ouvrages sur le sujet – j’avais déjà la majeure partie des connaissances dont j’avais besoin. En fait, j’ai acheté mes deux premières colonies avant même ma première visite dans un rucher! J’avais aussi un cercle d’apiculteurs que je pouvais appeler et je connaissais même un inspecteur d’abeilles de la région. Durant ma première année d’apiculture, j’ai dû composer avec un problème de couvain plâtré, une infection fongique qui transforme les larves d’abeilles en une substance qui ressemble beaucoup à de la craie. Je me souviens avoir téléphoné à l’inspecteur pour avoir des conseils sur la façon d’enrayer cette maladie.
RC : Que portez-vous lorsque vous allez vous occuper de vos ruches?
NDD : Je porte toujours une combinaison apicole avec un voile pour me protéger contre les piqûres d’abeilles. Je porte aussi des gants lorsque les abeilles sont très agressives, mais sinon, je préfère ne pas en porter. C’est plus difficile de soulever les cadres ou de sentir les abeilles avec des gants. Sans mes gants, je sens les abeilles sous mes doigts. Si je risque d’en écraser une, elle m’envoie habituellement un message avant de me piquer. Elle vibre et elle bourdonne. Croyez-moi, c’est un avertissement que je prends très au sérieux!
RC : Avez-vous peur de vous faire piquer?
NDD : Plus maintenant. Au cours de ma 2e année d’apiculture, j’ai développé des allergies au venin des abeilles mellifères et j’ai eu une réaction anaphylactique. J’avais des démangeaisons dans la paume des mains et sur le cuir chevelu, mes lèvres et ma langue ont enflé et mon rythme cardiaque était rapide. Comme on se fait souvent piquer, les apiculteurs finissent souvent par développer des allergies au venin des abeilles.
Heureusement, les allergies aux abeilles mellifères sont parmi les plus faciles à contrôler. On peut se faire désensibiliser au moyen d’injections de venin d’abeille chez l’allergologue et acquérir une tolérance au fil du temps. C’est ce que j’ai fait.
Je sais maintenant que je peux subir cinq piqûres sans problème. C’est ma limite. Avant, j’allais dans le rucher en short, en camisole et en sandales. J’avais trop chaud dans une combinaison d’apiculteur et les piqûres ne m’incommodaient pas, mais maintenant, je porte ma combinaison. Je ne prends plus de risques.
RC : Quelles sont les principales responsabilités de l’apiculteur?
NDD : En bref, garder les colonies vigoureuses et en santé, pour qu’elles puissent produire beaucoup de miel et survivre à l’hiver.
RC : Comment y arrivez-vous?
NDD : Je vais dans mon rucher toutes les deux semaines, de mars à octobre. Au printemps, je m’assure que mes colonies ne manquent pas de nourriture, surtout si le printemps est froid et humide. Je peux leur donner de l’eau sucrée et les traiter contre les maladies s’il y a lieu. Dès que les colonies sont assez robustes, habituellement vers le mois de juin, je commence à ajouter cadres de miel, les boîtes où les abeilles entreposent leurs surplus de miel. Si j’attends trop longtemps, la colonie risque d’essaimer. L’essaimage se produit lorsqu’une ruche devient trop chargée et que la reine n’a plus de place pour pondre ses œufs. Les ouvrières élèvent de nouvelles reines et la vieille reine va partir avec de nombreuses ouvrières pour démarrer une nouvelle colonie ailleurs. L’essaimage est un réflexe naturel pour les abeilles. C’est de cette façon que les colonies d’abeilles mellifères se multiplient, mais ce n’est pas bon pour nous, les apiculteurs. Les colonies qui essaiment produisent beaucoup moins de miel, alors pour empêcher l’essaimage des abeilles, j’ajoute ces cadres de miel dès qu’ils deviennent nécessaires.
Quand je me rends dans mon rucher, je peux procéder à une inspection complète et écarter tous les cadres de la ruche pour bien les vérifier, un par un. Je fais cela de temps en temps, si les abeilles ont un comportement suspect, comme si elles s’apprêtent à essaimer, si elles ont essaimé, si elles n’ont pas de reine ou si elles présentent des signes de faiblesse ou de maladie. Mais habituellement, je ne fais que soulever le couvercle intérieur pour regarder à l’intérieur du cadre de miel du haut, pour voir si elles ont besoin d’une autre boîte.
Voilà les tâches principales jusqu’en septembre. C’est alors que j’enlève les derniers cadres de miel. Par la suite, mon travail consiste à m’assurer que les abeilles ont assez de nourriture pour survivre à l’hiver. Je traite chaque colonie pour prévenir les maladies et j’isole les ruches avant qu’il se mette à faire trop froid. Le reste leur appartient.
RC : Quelle est la charge de travail en comparaison avec les autres responsabilités de la vie agricole?
NDD : En comparaison avec les autres animaux de ferme, les abeilles mellifères ne nécessitent pas beaucoup de soins. Elles n’ont pas besoin d’être nourries, abreuvées ou nettoyées quotidiennement. Cela dit, elles ont tout de même besoin de certains soins. Elles peuvent tomber malades, perdre leur reine, avoir besoin de plus d’espace ou avoir besoin qu’on les nourrisse au début du printemps et à la fin de l’automne. Sauf durant l’hiver – car il n’y a rien que je puisse faire pour mes abeilles en hiver – je ne peux jamais décider de partir en vacances pour un mois. Du printemps à l’automne, je dois visiter mon rucher au moins toutes les deux semaines.
Il y a beaucoup de connaissances scientifiques et de connaissances générales à maîtriser pour être un bon apiculteur. Si on ne fait que se dire « Je vais installer une ruche dans ma cour, ce sera génial et je n’aurai qu’à recueillir le miel », c’est un peu simpliste. La réalité est plus compliquée que cela. On pourrait toujours faire cela durant un an, mais on risquerait de ne plus avoir d’abeilles l’année suivante. Le défi est de les garder vivantes.
Du point de vue des capacités physiques, ce n’est pas pour tout le monde. Un cadre de miel plein pèse environ 23 kg (50 lb). Pensez-y : je dois le ramasser et il est couvert d’abeilles. J’ai trouvé des façons de m’en sortir, mais c’est vraiment lourd. Et il y a bien des cadres que je dois soulever au-dessus de ma tête, alors c’est facile de s’éreinter. C’est à ce moment-là que j’ai besoin de l’aide de mon mari ou de mes fils.
RC : Les abeilles ont-elles tendance à vouloir protéger le miel quand vous allez le recueillir?
NDD: Cela dépend. Si je recueille le miel en juillet, les abeilles sont assez décontractées durant cette période. Elles sont occupées. Elles ne me verront peut-être même pas partir avec les cadres de miel.
Par contre, à la fin août, c’est une autre histoire. Les abeilles deviennent très agressives et protectrices de leur récolte de miel. Elles ne veulent plus partager. Elles essaiment sur les cadres de miel dès que je les retire des ruches et c’est très difficile de chasser les abeilles des boîtes. Elles savent que la saison tire à sa fin et elles deviennent très protectrices de leur récolte.
Il y a un autre problème avec lequel il faut composer durant la deuxième récolte : les guêpes. En début de saison, il n’y en a pas beaucoup, mais c’est à la fin de l’été que les colonies de guêpes ont le plus de vigueur. Elles essaient d’entrer dans les ruches pour voler du miel. Les abeilles deviennent alors plus agressives et protectrices. Alors c’est la partie que j’aime le moins – ramasser les cadres de miel. C’est à ce moment-là que je subis le plus de piqûres.
RC : Comme citoyens, que peut-on faire pour aider les abeilles mellifères?
NDD : Toutes les abeilles sont en difficulté, surtout les abeilles indigènes, comme le bourdon et l’abeille maçonne.
Si vous voulez aider les abeilles – toutes les abeilles – nourrissez-les. Laissez pousser les pissenlits, le trèfle, le lierre terrestre et la verge d’or dans votre pelouse ou sur votre terrain. Choisissez des fleurs qui produisent du nectar et du pollen. J’ai été étonnée d’apprendre de de nombreuses variétés de tournesols ne produisent pas de pollen. Ces plantes ne sont d’aucune utilité pour les abeilles.
Vous pouvez aussi acheter du miel produit localement. Cela aide les apiculteurs de votre région, comme moi, à prendre soin de nos abeilles… et les abeilles mellifères pollinisent les plantes dans votre région, ce qui est bon pour la biodiversité.