Initiative Femmes en STIM : entretien avec Jillian Anderson
Selon l’astronaute et neurologue canadienne Roberta Bondar, l’exploration n’est pas une activité dont on peut prendre sa retraite, mais un principe qui guide la vie d’une personne. Nous devons absolument nourrir le sentiment de continuité, c’est-à-dire nous efforcer d’innover, alors que nous célébrons, pendant le Mois de l’histoire des femmes, les réalisations des femmes qui nous ont précédées.
Dans le cadre de son initiative Femmes en STIM, Ingenium raconte l’histoire de celles qui ont osé penser différemment afin d’engager une conversation sur l’égalité des sexes et d’inciter les femmes à faire carrière en science, technologie, ingénierie et mathématiques (STIM). De même, le Programme de développement de carrière Dre Roberta Bondar permet aux femmes qui travaillent dans les STIM de réseauter avec des pairs et des leaders de leur domaine d’activité, et de bénéficier d’une perspective privilégiée sur les secteurs canadiens des sciences et de la technologie.
Ce mois-ci, Réseau Ingenium trace le portrait de plusieurs Canadiennes talentueuses qui participent au Programme de développement de carrière Dre Roberta Bondar. Le profil présenté aujourd’hui est celui de Jillian Anderson, experte en mégadonnées originaire de la côte Ouest. Les travaux de Mme Anderson trouvent des applications dans le domaine de l’identification des espèces de poissons, et ils aident même les pêcheurs à identifier leurs prises et à respecter la réglementation.
Réseau Ingenium (RI) : Parlez-moi de votre domaine de compétences, à savoir la science des données, et de l’utilisation que vous en faites dans vos projets actuels.
Jillian Anderson (JA) : Pour moi, la science des données est une sorte de coffre à outils rempli des outils et des approches nécessaires pour exploiter les données. Le coffre de chaque expert en mégadonnées est un peu unique, et le mien est plein d’outils adaptés à l’exécution de tâches comme l’apprentissage automatique, l’intégration de données et le calcul de haute performance. Au quotidien, je mets à profit cette expertise en tant que développeuse de mégadonnées au sein du groupe de calcul informatique pour la recherche de la Simon Fraser University (SFU) en Colombie britannique. À la SFU, je travaille avec des équipes du milieu universitaire, de l’industrie et du gouvernement auxquels je fournis des données scientifiques et mon expertise en mégadonnées pour la réalisation de projets dans divers domaines, notamment ceux de l’économie, des arts de la scène et de l’écologie marine.
Pour l’un de mes projets actuels, je collabore avec une équipe d’étudiants diplômés afin de mettre au point un modèle d’apprentissage profond permettant d’identifier des espèces de poissons côtiers à partir d’images. Ce modèle sera par la suite intégré à l’application FishingBC pour aider les pêcheurs à identifier leurs prises et à respecter la réglementation. De plus, cet outil permettra également à Pêches et Océans Canada de surveiller la pêche récréative le long de nos côtes et de gérer les stocks de poissons en conséquence.
~ Jillian Anderson
Jillian Anderson consulte la version bêta de l’outil amélioré de l’application FishingBC pour l’identification des espèces, qui a correctement identifié le poisson sur l’image comme étant un saumon quinnat.
RI : Une personne en particulier vous a-t-elle inspiré votre parcours scolaire et votre carrière, incitée à faire ces choix?
JA : Oui, plein de gens! Mais si je devais ne retenir qu’une seule personne, ce serait le Dr John McLevey, un des professeurs qui m’a enseigné durant mes études interdisciplinaires de premier cycle pour l’obtention de mon diplôme en intégration des connaissances. C’est dans l’un des cours de John (je travaillais alors comme adjointe à la recherche dans son laboratoire de sociologie informatique à l’Université de Waterloo) que j’ai pris conscience pour la première fois de la façon dont mon intérêt pour l’informatique pouvait servir à résoudre un large éventail de problèmes concrets qui me tenaient à cœur. John non seulement rassemble des personnes issues d’horizons variés — comme la physique, l’anglais et la psychologie —, mais il encourage aussi chaque membre de l’équipe à devenir un expert dans son domaine et lui donne les moyens d’y parvenir. Cette expérience et les encouragements de John m’ont vraiment donné la confiance nécessaire pour poursuivre une carrière en science des données et en particulier au croisement de plusieurs disciplines.
RI : Laquelle des femmes qui font l’objet d’une affiche dans la série Femmes en STIM vous inspire le plus?
JA : Lynn Conway est une véritable source d’inspiration pour moi. Même si ses seules distinctions pour ses réalisations techniques sont incroyablement impressionnantes, ce qui m’inspire le plus dans l’histoire de Lynn, c’est sa résilience, qu’elle a démontrée dans son combat personnel, et son activisme acharné pour les droits des personnes transgenres. Son histoire montre qu’une personne peut avoir plus d’une passion et qu’en tant qu’êtres humains, nous pouvons agir positivement sur le monde et de plusieurs façons.
RI : Racontez-nous une des difficultés ou un des préjugés que vous avez dû surmonter durant votre parcours professionnel.
JA : L’une des difficultés que j’ai éprouvées dans mon parcours, c’est le syndrome de l’imposteur. Je me suis souvent demandé si je méritais vraiment de « jouer dans la cour des grands » ou si on s’était trompé en faisant confiance à mon expertise. À cause de ces doutes, j’hésite à faire part de mes idées, je remets en question mes propres connaissances et j’ai tendance à me ranger à l’avis des personnes qui sont manifestement plus expertes que moi. Cela ne profite à personne, surtout pas à moi ni aux équipes dont je fais partie.
J’ai donc dû apprendre (et je continue de le faire) à reconnaître ma propre expertise et ma façon unique de voir les choses, et à valoriser mon propre apport. Je dois, de temps en temps, réaffirmer que je suis bien à ma place, et c’est chaque fois un peu plus facile pour moi de reconnaître ma propre valeur et d’occuper la place qui me revient. Personnellement, je me suis rendu compte que le fait de me renseigner sur le syndrome de l’imposteur et sur des concepts connexes, comme la menace du stéréotype, m’a permis de valider mes propres sentiments et d’apprendre des trucs pour les vaincre.
RI : Quels sont vos plans pour la suite de votre carrière?
JA : À court terme, je me concentre sur le développement continu de mon propre coffre à outils pour la science des données, en particulier pour le calcul de haute performance et la lutte contre les préjugés et la discrimination en matière d’intelligence artificielle. Je participe activement à des initiatives qui favorisent la diversité et l’inclusion en science des données et dans les STIM, mais aussi dans la société en général.
En revanche, j’ai un peu plus de mal à me projeter dans l’avenir. Pour l’instant, je dirais qu’en général, j’aimerais diriger ma propre équipe interdisciplinaire afin de résoudre des problèmes réels grâce une application socialement responsable de la science des données. Cela dit, je ne sais pas quelle forme cela pourrait prendre plus tard.
L’une des choses qui me plaisent en science des données, c’est qu’elle évolue en même temps que la société en général, qu’elle est en constante évolution. À cause de cette transformation perpétuelle, il est difficile de savoir à quoi pourrait ressembler le domaine dans 10 ans, et à plus forte raison dans 40 ans. Ce flou nous donne la possibilité de façonner la science des données de demain, grâce aux travaux, aux outils et aux approches que nous adoptons et favorisons aujourd’hui.
RI : Quels conseils donneriez-vous à une jeune fille qui voudrait marcher sur vos traces?
JA : C’est au croisement des disciplines qu’on réalise des travaux vraiment intéressants. N’hésite pas à cultiver plusieurs passions. Au contraire, assume-les et laisse-les se nourrir mutuellement. Que tu te passionnes pour la musique, le droit, l’informatique ou l’écologie, ce savoir t’offre un point de vue unique pour aborder de nouveaux problèmes dans d’autres disciplines. En combinant ses passions ou ses champs d’intérêt, on peut souvent commencer à voir des liens qui demeurent invisibles à ceux qui ont des passions ou des expériences différentes des siennes. Grâce à ces liens, on peut éventuellement nouer des collaborations précieuses ou contribuer à la pollinisation croisée d’idées dans plusieurs disciplines, ce qui donne souvent lieu à des travaux vraiment stimulants et intéressants.
Envie d’aller plus loin?
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