Que fait le Groupe des Sept dans un musée de sciences et de technologie?
L’idée qu’un musée de sciences collectionne des œuvres célèbres peut sembler étrange, mais ne l’est pas vraiment quand on connaît toute l’histoire.
Ce printemps, les amateurs d’art canadien souligneront les cent ans du Groupe des Sept. Voilà l’occasion idéale de réfléchir au lien qui unit ce collectif au Musée des sciences et de la technologie du Canada, à Ottawa. La collection du musée comprend des murales créées pour la série de voitures panoramiques Park, dont celles de trois membres du Groupe des Sept, car ces œuvres occupaient une place importante dans l’histoire ferroviaire du Canada.
« Les murales qui ornent ces voitures sont certes de belles œuvres, mais elles représentent autre chose aussi, explique Sharon Babaian, conservatrice des transports terrestres et maritimes. Ces peintures témoignent de la dernière grande époque des voyages en train au Canada. Elles montrent à quel point une nature sauvage autrefois perçue comme un frein au développement s’est transformée en une ressource d’une grande valeur. »
Au milieu des années 1950, raconte Sharon Babaian, le Chemin de fer Canadien Pacifique (CFCP) a mis à jour et revampé son service aux passagers dans l’espoir de faire concurrence au transport aérien et automobile. Le CFCP a fait l’acquisition de 173 voitures de train en acier inoxydable et au profil aérodynamique, achetées de la Budd Company, de Philadelphie. L’Académie royale des arts du Canada s’est vu confier la tâche d’organiser la sélection d’artistes canadiens de renom pour créer des murales devant orner les 18 voitures panoramiques à dôme qui serviraient de wagons de queue pour chacun des trains transcontinentaux. Chaque voiture porterait le nom d’un parc bordant le chemin de fer.
« On a commissionné de célèbres artistes canadiens, dont A.Y. Jackson, A.J. Casson, Edwin Holgate et Charles Comfort, pour peindre une murale représentant chaque parc et qui décorerait la voiture-bar, poursuit Sharon Babaian. Chaque voiture était ornée d’une murale principale dont le thème se prolongeait, dans ses grandes lignes, sur les parois adjacentes et le pourtour des fenêtres. Ces œuvres faisaient partie intégrante des efforts du CFCP pour faire la promotion des voyages en train en montrant aux “voyageurs du monde la beauté touristique et panoramique” des paysages canadiens. »
Chaque artiste recevait 1 400 $ pour trois œuvres. Le musée possède 17 de ces murales produites pour ces voitures panoramiques, dont trois créées par des membres du Groupe des Sept.
Alexander Young Jackson
Une des murales de la collection est une huile d’A.Y. Jackson intitulée Camp Lake, qui représente le parc provincial Kokanee Glacier, en Colombie-Britannique. Né à Montréal en 1882, A.Y. Jackson était artiste de guerre pendant la Première Guerre mondiale. De retour au pays, après la guerre, il a cofondé le Groupe des Sept en 1920.
Pour Camp Lake, Jackson s’est inspiré d’une photographie de Ross Fleming que lui a fournie le CFCP. Dans son ouvrage De l’art dans un grand train canadien, Ian Thom décrit le traitement si distinctif de la couleur qu’a choisi Jackson pour cette œuvre.
« L’emploi que fait Jackson de la couleur est très intéressant. À première vue, il utilise des couleurs ternes : bruns, jaunes, verts, gris, bleus et mauves avec, par-ci par-là, des touches vives qui ne sont là que pour provoquer de l’effet. Presque partout, la murale reflète une étonnante subtilité dans les couleurs et le travail du pinceau. Sur le panneau principal, la plus petite des deux montagnes est, par exemple, surtout définie par l’ensemble complexe des couleurs. »
Mont Tremblant Provincial Park, d’Edwin Holgate (No d’artefact : 1987.0007.001).
Edwin Holgate
Edwin Headley Holgate (1892-1977) s’est vu commander Mont Tremblant Provincial Park, qui évoque « 1 200 miles carrés de pittoresques paysages laurentiens », écrit Ian Thom, qui fait ensuite l’éloge de la murale principale d’E.H. Holgate.
« La lumière, que vient de la droit et qui probablement filtrée par les nuages, enveloppe toute la scène. L’emploi qu’il fait de la couleur donne une impression d’adoucissement : les bleus, les bruns et les blancs s’ordonnent de façon à créer une atmosphère qui soit plus douce que froide, plus relaxante qu’émoustillante. Le skieur, comme nous, spectateurs, fait partie intégrante du paysage. »
Né à Allandale, en Ontario, Holgate a passé la plus grande partie de sa vie à Montréal. En 1931, le Groupe des Sept a accueilli à titre de membre cet ami intime d’A.Y. Jackson.
Algonquin Provincial Park, d’Alfred Casson (No d’artefact : 1987.0003.001).
Alfred Joseph Casson
Alfred Joseph Casson (1898-1992) a peint la murale Algonquin Provincial Park pour la voiture qui rendait hommage à ce vaste parc situé entre Pembroke et North Bay, en Ontario.
Dans son ouvrage, Ian Thom explique que « le choix d’A.J. Casson pour la murale représentant le parc Algonquin était particulièrement judicieux. Il avait « “…fait de nombreuses esquisses dans le parc Algonquin sur une périod d’environ une dizaine d’années, donc, un grand nombre de références sous la main”. »
Ian Thom écrit : « Pour bien des raisons, la composition a de toute évidence répondu aux attentes de l’artiste et du commanditaire. La murale terminée est fidèle en tous points aux promesses de l’étude. » Thom note toutefois qu’on a demandé à Casson d’ajouter à son œuvre deux cerfs et un geai bleu, qui distraient l’observateur du résultat final.
« En fait, ceux-ci sont les seuls éléments qui détonnent dans la composition. Question d’échelle, ils sont déplacés et, pire encore, empruntés dans un paysage autrement très “naturel”. »
Né à Toronto, Casson a mené une prestigieuse carrière comme artiste et designer. En 1925, il a contribué à la fondation de la Société canadienne de peintres en aquarelle. L’année suivante, on l’invitait à devenir membre du Groupe des Sept.