Profil du prix : Établir des liens culturels grâce à notre patrimoine mathématique commun
La collection Petrovic du Musée des sciences et de la technologie du Canada contient plus de 130 instruments mathématiques fabriqués du 12e au 19e siècle, dont George Petrovic, architecte serbe, a fait don au Musée en 1980. Il les avait collectionnés pour documenter les liens entre la pratique mathématique et l’architecture dans la région orientale de la Méditerranée ainsi que dans les pays qui faisaient autrefois partie de l’Empire ottoman.
La collection est maintenant au cœur d’un projet de recherche que mènent Hasan Umut (boursier Ingenium-McGill en histoire des sciences, de la médecine et de la technologie, candidat au doctorat), Assia Kaab (chercheuse principale, Guild of St. Stephen & St. George, R.-U.), et David Pantalony (conservateur des sciences physiques et de la médecine, Ingenium – Musées des sciences et de l’innovation du Canada). Tous les trois ont récemment eu l’honneur de recevoir un Prix d’excellence de l’Association des musées canadiens pour la catégorie recherche.
Le Réseau Ingenium s’est entretenu avec Hasan, Assia et David pour discuter de leur travail sur la collection Petrovic et des liens surprenants qu’elle a créés avec une communauté diversifiée de spécialistes.
David Pantalony, conservateur des sciences physiques et de la médecine, Ingenium – Musées des sciences et de l’innovation du Canada.
Réseau Ingenium : Dans vos propres mots, décrivez l’étendue de votre projet de recherche.
David : Notre principal objectif était d’en apprendre davantage sur l’utilisation et le contexte de cette collection, la collection Petrovic, qui se trouvait dans le Musée depuis des dizaines d’années, mais que nous connaissions pourtant très peu. La collection était donc assez mystérieuse. Elle attendait simplement que les bonnes personnes constatent son importance. Mes collègues et colauréats, Hasan Umut et Assia Kaab, ont joué un rôle essentiel dans la mise en contexte de la collection Petrovic. Hasan planche sur une thèse traitant de l’astronomie islamique, dans le cadre plus vaste d’Études islamiques, cette collection couvre donc de nombreuses régions et périodes qu’il connaît déjà. Assia Kaab, grâce à ses connaissances en matière d’architecture classique et de maçonnerie en pierres, savait combien de ces instruments étaient vraiment utilisés par les bâtisseurs, les inspecteurs et les architectes.
Assia Kaab, chercheuse principale, Guild of St. Stephen & St. George, R.-U.
Assia : Je me suis jointe à l’équipe à l’été 2016, et j’ai fait appel à mon expertise en architecture ancienne pour rechercher l’utilisation, l’authenticité, la valeur culturelle et les sujets d’exposition potentiels de la collection Petrovic. C’était toute une aventure! Qu’il s’agisse de discussions avec des ambassades ou des collectionneurs internationaux, j’en ai appris beaucoup sur l’architecture ottomane et les similarités que je partage avec eux en tant qu’architecte vitruvienne.
Hasan Umut, boursier Ingenium-McGill en histoire des sciences, de la médecine et de la technologie, candidat au doctorat.
Hasan : Je suis candidat au doctorat au Institute of Islamic Studies de l’Université McGill, où ma thèse traite de l’astronomie théorique au début de l’Empire Ottoman moderne. D’autres sujets de l’histoire des sciences, dont la métrologie et les instruments scientifiques, m’intéressent également. Grâce au stage postdoctoral qui m’a été accordé par l’Université McGill et la Société des musées de sciences et technologies du Canada (Ingenium) en 2016, j’ai commencé à travailler sur la collection métrologique de George Petrovic. La portée de notre recherche vise à analyser les instruments métrologiques de M. Petrovic au Musée afin de comprendre comment les instruments scientifiques ont été transférés d’une culture à une autre, d’un siècle à un autre et même d’un continent à un autre. Nous voulons également comprendre le lien entre la formation et la transmission de la collection Petrovic et la bourse qu’il a créée lorsqu’il était professeur d’architecture à l’Université de Belgrade.
Réseau Ingenium : Si vous parliez avec un visiteur moyen au Musée, ou quelconque Canadien, comment expliqueriez-vous l’importance majeure de cette recherche?
David : Je dirais que l’aspect le plus important est que ces outils mathématiques sont en fait très simples, mais pouvaient effectuer des opérations complexes. Nous pouvons en tirer des enseignements sur toutes les compétences et les notions mathématiques sous-jacentes au monde qui nous entoure. Dans ce cas, les instruments ont été utilisés en architecture, construction et couverture, et même pour prendre des mesures dans des ateliers de couture et des marchés.
Dans le monde islamique, nous pouvons observer de magnifiques bâtiments sophistiqués. Il est incroyable de penser que ces outils ont grandement contribué à leur réalisation. Nous ne prêtons pas suffisamment attention aux mathématiques, mais ces instruments font toujours le travail en arrière-plan. La stabilité de ces outils est étonnante au fil des époques et dans différents endroits.
Assia a étudié l’histoire de ces types de pratiques en maçonnerie, ses connaissances ont donc particulièrement contribué à découvrir la véritable utilisation de ces outils. Elle nous a aidés à faire le lien entre la collection et l’étude de l’architecture et de la maçonnerie de pierre, lesquelles sont des traditions conservatrices maintenues par des générations d’experts.
Ces outils démontrent donc réellement comment la pratique mathématique peut être partagée dans diverses cultures. En fait, bon nombre de ces instruments proviennent de régions qui connaissent énormément de conflits de nos jours, et notre recherche indique pourtant comment ces outils laissent paraître un patrimoine mathématique commun. En tant que musée, il est important que nous explorions ces liens, ce que nous avons en commun, et de collaborer avec des chercheurs comme Hasan et Assia originaires de ces différentes parties du monde et qui composent le tissu social diversifié du Canada. Finalement, nous avons découvert que ce projet était très canadien.
Assia : Les morceaux triangulaires brillants sont plus que des outils de mesure. Ils sont les clés d’un monde oublié si débordant de beauté et de splendeur que, jusqu’à ce jour, nous sommes toujours en admiration devant son génie. Je suis encore stupéfaite de notre ressemblance avec les Ottomans. Ce sujet de recherche va au-delà des artefacts. Il ne s’agit pas simplement d’un collectionneur et de sa collection, il s’agit du parcours fascinant qu’ont pris ces artefacts pour se rendre à nous.
Hasan : L’intérêt principal de notre projet se décline en deux volets. Premièrement, il vise à souligner le lien entre les cultures de la région méditerranéenne orientale prémoderne concernant l’aspect pratique des mathématiques. Deuxièmement, l’immigration est un phénomène naturel dans le contexte canadien, mais notre recherche doit être un des seuls, sinon le seul, exemples qui se concentre sur « l’immigration » au Canada d’instruments scientifiques que l’Empire Ottoman, qui régnait sur une grande partie de la région méditerranéenne orientale jusqu’au premier quart du 20e siècle, a produits ou utilisés.
Réseau Ingenium : Racontez-moi un moment surprenant ou mémorable survenu pendant vos travaux de recherche.
David : Le moment le plus mémorable pour moi est survenu il y a cinq ans lorsque j’ai invité le professeur Jamil Ragep (Chaires de recherche du Canada en histoire des sciences dans les sociétés islamiques à l’Université McGill[M1] ) à voir la collection. Prof. Ragep, un expert reconnu du domaine, a été surpris d’apprendre son existence et suffisamment intrigué pour amener ses étudiants de Montréal. Hasan est également venu cette journée-là. Il y a eu beaucoup de discussions et de débats à propos d’une des inscriptions sur une règle fabriquée à Istanbul, mais attribuée à Benghazi. En fait, pendant cette courte séance avec la collection, de nombreuses questions ont été soulevées. Je savais à l’époque que nous avions entre les mains une collection méritant d’être étudiée davantage. Lorsque le projet de recherche de McGill a débuté en 2016, nous avons sauté sur l’occasion de faire venir Hasan ici pour nous aider davantage.
Assia : Pendant une conversation avec un groupe de collectionneurs en Allemagne, on m’a parlé d’un ancien manuscrit andalou qui détaillait une utilisation complètement inopinée des outils. J’ai dû faire appel à des locuteurs d’arabe ancien pour m’aider à traduire les sections pertinentes. J’ai découvert que les instruments sont environ 200 ans plus vieux que je ne le croyais et originalement utilisés comme outil de nivellement agricole!
Hasan : J’ai beaucoup de bons souvenirs de mon temps passé à faire de la recherche au Musée. Laissez-moi vous en raconter un : j’aimerais exprimer mes remerciements pour l’hospitalité, l’aide et la coopération de toutes les personnes au Musée. David, Assia et moi avons présenté certaines de nos observations lors de la réunion d’affaires annuelle générale de 2017, tenue au Aga Khan Museum de Toronto. J’étais tellement ravi de voir que les gens du Aga Khan Museum, ainsi que des membres des trois musées de la bannière Ingenium de divers horizons et domaines, étaient très curieux de découvrir notre projet. C’était très encourageant. Merci à tous!
Réseau Ingenium : Qu’espérez-vous de ces travaux de recherche?
David : Premièrement, ces instruments et les mondes auxquels ils appartenaient (et qu’ils ont créés) méritent d’être partagés avec le grand public au Canada et partout dans le monde. Ce partage pourrait être fait sous forme d’une collaboration pour des expositions internationales, des projets en ligne et d’autres publications. Nous avons également entamé une deuxième phase de recherche relative à l’histoire de M. Petrovic, le collectionneur, pendant les années 1960 et 1970. L’ambassade serbe nous aide actuellement à entrer en contact avec d’importantes ressources à Belgrade.
Assia : Une partie de mes travaux de recherche visait à explorer les sujets d’exposition possibles pour la collection, dont la campagne ottomane, la filière française et l’histoire de l’origine andalouse. Peu importe, je serais ravie de voir la collection exposée pour le public.
Hasan : Nous prévoyons organiser un atelier sur les instruments/l’architecture de l’Empire Ottoman, et continuer notre recherche sur la relation entre les publications de M. Petrovic et la provenance et l’évolution de la collection. Nous espérons que tous nos travaux de recherche encourageront les historiens des sciences et de l’architecture ainsi que les adeptes de l’ottomanisme à venir voir la collection Petrovic afin qu’elle soit le sujet de collaborations avec d’institutions de partout au monde qui possèdent des collections semblables.
Regardez une courte vidéo sur la collection Petrovic – une collection comptant plus de 130 instruments mathématiques – au Musée des sciences et de la technologie du Canada.
Transcription
La collection Petrovic au Musée des sciences et de la technologie du Canada compte plus de 130 instruments mathématiques, du 12e au 19e siècles, couvrant un vaste territoire de la région méditerranéenne, plus particulièrement de l’Empire Ottoman. La collection nous est parvenue en 1980 du Dr George Petrovic, architecte serbe ayant déménagé à Montréal. M. Petrovic a collectionné ces instruments pendant des dizaines d’années afin de documenter les pratiques mathématiques, l’architecture et la couverture dans les régions méditerranéenne et ottomane. Récemment, la collection Petrovic a été le sujet d’un projet de recherche dynamique étudié par Hasan Umut, historien des mathématiques islamiques, et Assia Kaab, spécialiste en histoire de l’architecture islamique. Les liens surprenants créés tout au long du processus de recherche sont l’un de nos aspects favoris de ce projet, comme ceux établis avec des historiens de l’architecture, l’ambassade serbe et le département d’études islamiques de l’Université McGill.