Dans les coulisses : rencontre avec une chef inuite
Trudy Metcalfe est une perle rare : elle est la seule chef inuite dans le sud du Canada. Loin de sa ville natale de Nain, une communauté inuite au large des côtes du Labrador, Trudy Metcalfe offre un aperçu de sa culture à l’occasion de divers événements dans la région d’Ottawa, où elle se sent désormais chez elle. Réseau Ingenium a récemment rencontré la chef Metcalfe, alors qu’elle se préparait à servir, au Musée de l’agriculture et de l’alimentation du Canada, des délégués venus du monde entier afin d’assister à une conférence.
L’omble chevalier était au menu servi aux visiteurs internationaux lors d’un événement organisé récemment au Musée de l’agriculture et de l’alimentation du Canada.
Que préparez-vous pour les délégués du Comité international pour les musées et collections de sciences et techniques?
L’un des plats est un cari de caribou, qui fusionne la cuisine des Indes orientales et celle des Inuits. Pour nous, Inuits, notre nourriture est une « nourriture traditionnelle » — c’est un terme fourre-tout qui désigne aussi bien des aliments issus de la terre ou de la mer. Je prépare aussi de l’omble chevalier fumé au sésame et glacé à l’érable. Le poisson a été cuit lentement à 105 °C (220 °F) pour l’imprégner de la fumée et de l’arôme du bois de pommier. Le fumage lui confère une toute nouvelle dimension; il s’agit presque d’omble chevalier fumé et confit. La fumée étant froide, le poisson n’a pas été cuit ni séché, sa chair est très moelleuse.
Je crois savoir que vous avez pêché le poisson vous-même — racontez-moi cette expérience.
J’étais au Nunavut l’été dernier et je suis allée pêcher l’omble chevalier avec une canne à pêche pour la toute première fois. Il faisait jour 24 heures sur 24, et il y avait des centaines et des centaines d’ombles qui passaient par là pour se rendre à leurs frayères. C’était incroyable, les mots me manquent pour décrire l’expérience. C’était presque aussi excitant que la chasse au narval — ce que j’ai également fait l’été dernier. Il n’y a que les Inuits qui pratiquent cette chasse traditionnelle. Nous la pratiquons pour nous alimenter, pas pour le plaisir de chasser. Personne ne chasse ou ne pêche à des fins sportives au Nunavut. Des chasseurs sportifs se rendent là-bas et ils paient très cher pour y aller, mais culturellement, nous ne pratiquons pas la chasse ou la pêche de façon récréative.
Le cari de caribou est un plat qui fusionne la cuisine des Indes orientales et celle des Inuits.
Pour les lecteurs qui n’auraient pas encore eu la chance de goûter au caribou, à quoi diriez-vous que son goût ressemble?
C’est une viande au goût très doux. C’est différent de la chair d’orignal ou de cerf; à mon avis, la viande d’orignal a un goût plus prononcé. Le caribou ne goûte pas le gibier du tout. Sa viande est aussi très maigre et ne présente aucun persillage; le gras se trouve juste sous la peau et ne se rend pas dans la chair elle-même. La viande de caribou se sert très bien en ragoût ou en cari; on peut aussi la faire frire rapidement ou même l’ajouter dans une soupe.
Quelle est la réaction des gens qui goûtent à la viande de caribou pour la première fois?
Les gens hésitent parfois un peu parce qu’ils ne connaissent pas ça, même s’ils habitent au Canada — à moins d’être de Terre-Neuve, on n’entend pas vraiment parler de caribou. J’ai servi du caribou au Festival autochtone du solstice d’été à Ottawa l’été dernier, et certains parents disaient à leurs enfants que c’était du bœuf pour les encourager à y goûter. Mais je disais : « Non, ce n’est pas du bœuf — je ne vais pas prétendre que c’est du bœuf! » Ceux qui y ont goûté revenaient constamment pour en manger; cela a été un grand succès.
Que souhaitez-vous que les gens retiennent de votre rencontre et de la dégustation de vos plats?
Je pense qu’il est très important que les gens comprennent d’où vient la nourriture, ce qu’est la chasse durable. Le commerce où je me procure mon caribou est un centre de distribution de l’Arctique qui est inspecté et qui s’approvisionne auprès de chasseurs locaux, ce qui permet à ceux-ci de gagner leur vie. Je veux aussi que les gens sachent que les Inuits ont accès à des aliments extrêmement sains, qui sont probablement parmi les plus biologiques de la planète.
Il y a tellement de gens qui sont contre ce que nous faisons, qui s’opposent à notre mode de subsistance et à notre mode de vie! J’aimerais simplement que les gens comprennent que nous ne sommes pas des bouchers : nous ne sommes pas les gens que Greenpeace dépeint en train de donner des coups de gourdin à des bébés phoques. La nourriture que je sers permet aux collectivités inuites et aux chasseurs de subvenir à leurs besoins. On ne trouve cette nourriture nulle part ailleurs dans le monde — on peut uniquement se la procurer que dans l’Arctique.
Lorsque je cuisine pour un événement, j’apporte toujours des articles inuits spéciaux, comme une peau de phoque, des sculptures et des couteaux inuits. Je couds aussi une variante d’une veste inuite qu’on appelle silapaa. Je discute de ces sujets avec les gens pour leur faire découvrir les traditions inuites, et ça me fait toujours plaisir de répondre aux questions. À mon avis, les questions bêtes, ça n’existe pas. Je préfère que les gens me posent leurs questions pour que je puisse les éclairer. Je ne juge pas les gens. On m’a souvent jugée dans ma vie, mais je ne suis vraiment pas une personne prompte à juger les autres. Je veux simplement que les gens se sentent bienvenus et qu’ils soient enthousiastes à l’idée d’essayer quelque chose de nouveau.