Profil du prix : remettre au point une lunette astronomique historique
Au cours d’un projet de neuf ans, les restaurateurs d’Ingenium, Tony Missio et David Elliott, ont eu la chance de travailler sur la restauration et la préservation complètes de la lunette astronomique de 6 po de Cooke & Sons que le Service météorologique du Canada avait achetée en 1882. La lunette a été en service pendant plus de 100 ans, puis son dernier propriétaire, l’Université de Toronto, l’a donnée au Musée en 1984.
La lunette a été démontée et apportée dans les installations d’entreposage de la collection nationale. À l’occasion, on sortait le tube optique pour des événements ou des programmes spéciaux, mais pendant de nombreuses années elle est restée entreposée en pièces détachées.
Puis, au tout début de la rénovation du Musée des sciences et de la technologie du Canada, le conservateur Michel Labrecque s’est fait un point d’honneur de consacrer des ressources à la restauration et à la préservation de la lunette. Grâce à ses années d’expérience passées à organiser le programme d’astronomie du Musée, M. Labrecque savait que cet instrument historique aurait beaucoup de valeur pour les visiteurs.
Plus de 300 heures de travail ont été injectées dans la restauration de cet artefact. En novembre 2017, les restaurateurs ont atteint leur objectif et la lunette était prête à être installée dans les galeries Allée des artefacts et Les mondes cachés du Musée renouvelé. Elle est maintenant exposée pour le plaisir des visiteurs. Un grand moment pour les membres de l’équipe ayant travaillé sur le projet a eu lieu deux semaines avant que la lunette ne soit exposée en permanence : ils ont eu chance de pouvoir observer la Lune à l’aide de l’artefact.
Pour tous ces efforts, les restaurateurs ont reçu le Prix d’excellence de l’Association des musées canadiens pour la catégorie conservation. Le Réseau Ingenium s’est entretenu avec Tony et David pour en apprendre davantage sur l’étendue des travaux qu’ils ont effectués et la raison pour laquelle ils sont importants.
La lunette astronomique de 6 po de Cooke & Sons avant sa restauration.
Réseau Ingenium : Dans vos propres mots, décrivez l’étendue de votre projet de restauration.
David : Frank Askew (machiniste et technicien en instruments), Pierre Fournier (machiniste) et moi-même sommes allés chercher l’artefact à l’Observatoire David Dunlap en 1984. La lunette se trouvait dans un petit dôme sur le toit de l’édifice de l’Observatoire, auquel on accède par une cage d’escalier très étroite. La seule façon de pouvoir l’emporter était de le démonter en plus petits assemblages pouvant être transportés dans la cage d’escalier. Nous y sommes parvenus avec beaucoup d’efforts.
Je n’ai plus repensé à cette lunette pendant plusieurs années, jusqu’en 2008, lorsque le conservateur des sciences physiques de l’époque, Dr Randall Brooks, m’a approché pour me présenter une demande de travail qui consistait à réassembler la lunette. L’objectif de ce projet était de renforcer l’artefact, d’éliminer les risques d’égarer ou de perdre les nombreuses pièces en entreposage. J’imagine qu’un avantage supplémentaire aurait été de pouvoir montrer aux visiteurs un artefact « complet » dans les espaces d’entreposage de la collection.
L’étendue originale du travail devait s’en tenir à un assemblage simple, pour maintenir les coûts au minimum, sans même penser à la restauration. Malheureusement, lorsqu’est venu le temps d’aller chercher la lunette, elle n’avait pas été utilisée depuis de nombreuses années et avait été repeinte (possiblement plus d’une fois) pour des raisons inconnues sur lesquelles je ne spéculerai pas. Le déplacement et le transfert de l’artefact vers le Musée des sciences et de la technologie du Canada l’ont encore plus abîmée, donnant une apparence moins que convenable à un instrument de cette qualité.
Puisque j’étais l’un des membres ayant déplacé la lunette, je tenais particulièrement à ce que cette triste situation soit redressée. J’ai persuadé Dr Brooks de songer à entreprendre la restauration complète de l’artefact pour le remettre en état de marche, plutôt que d’effectuer un simple remontage.
Il faudrait donc retirer délicatement la surpeinture, tout en essayant de préserver les finis originaux en dessous. Cette étape était souhaitable pour conserver le plus de contenu d’origine possible, mais elle nous a aussi aidés à déterminer l’apparence de la lunette à sa fabrication. Il est devenu évident, au fil l’avancement des travaux, qu’il s’agissait effectivement d’un instrument très finement fabriqué et que très peu devait être fait en matière de réparations ou de fabrication de pièces manquantes/endommagées. La lunette, qui a retrouvé ses couleurs d’origine, soit le noir et le vert avec de la quincaillerie en laiton laqué et en bronze, est d’une élégance frappante. Une plateforme structurale a été fabriquée pour y installer la lunette. Elle incorpore une reproduction du pied sur lequel elle était fixée à l’Observatoire David Dunlap.
Le projet allait de l’avant, mais n’a pas bénéficié d’une grande priorité ou d’un important budget. Il a été traité comme un projet de second plan sur lequel on travaillait quand le temps le permettait. Voilà pourquoi on a mis tant d’années à l’achever. Pour compliquer les choses davantage, j’ai pris ma retraite avant la fin du projet et des travaux contractuels m’ont éloigné de la lunette de façon continue.
Heureusement, Tony Missio (restaurateur) est arrivé vers 2016 et a habilement terminé le projet tel que Dr Brooks et moi-même l’avions envisage.
Déplacement de la lunette astronomique de 6 po de Cooke & Sons vers sa nouvelle demeure, le Musée des sciences et de la technologie du Canada.
Réseau Ingenium : Si vous parliez avec un visiteur moyen au Musée, ou quelconque Canadien, comment expliqueriez-vous l’importance majeure de cette recherche?
Tony : Cette lunette a été apportée à Toronto pour observer le transit de Vénus de 1882. Elle est ensuite restée en fonction presque continuellement jusqu’en 1984 (lorsque le Musée est venu la chercher), tout d’abord à plusieurs endroits sur le campus de la U of T, puis après 1952 à l’Observatoire David Dunlap. Bien qu’il y ait eu de plus grandes lunettes astronomiques ailleurs, il s’agissait d’une des rares au pays avec une commande motorisée à être de si haute qualité, particulièrement à ses débuts. Pendant des dizaines d’années, le Service météorologique du Canada l’a utilisée pour observer le Soleil et l’Université de Toronto s’en servait pour former les étudiants en astronomie. Elle était également mise à la disposition des astronomes amateurs.
Nous avons pu la restaurer à, espérons-le, une bonne représentation de son apparence originale, tout en conservant le plus possible les finis et les surfaces d’origine, et en la maintenant en état de fonctionnement.
Réseau Ingenium : Racontez-moi un moment surprenant ou mémorable survenu pendant vos travaux de recherché.
Tony : Après l’achèvement de la lunette, et quelques semaines avant qu’elle soit installée dans le Musée, nous l’avons apportée à l’extérieur par une nuit claire et l’avons dirigée vers la Lune. L’image était nette et lumineuse, et les commandes fonctionnaient très bien. Malheureusement, les téléphones cellulaires et les appareils-photo à mise au point automatique que nous avions avec nous étaient incapables de capter l’image, mais c’était bien de la voir fonctionner.
David : J’aimerais mentionner toute l’admiration que j’ai pour la qualité impressionnante de la fabrication, particulièrement si l’on considère la date de réalisation ainsi que la machinerie et les outils disponibles à cette époque.
Regardez une courte vidéo sur la restauration et la préservation de la lunette astronomique de 6 po de Cooke & Sons au Musée des sciences et de la technologie du Canada.
Transcription
6” Cooke & Sons refracting telescope
This 6” telescope was one of the largest in Canada when it was purchased.
Il a été conçu par Cooke & Sons (Angleterre) l’un des principaux fabricants d’instruments d’optique de l’epoque.
Over 300 hours of work went into the restoration.
Le projet a duré neuf ans.