Honorer un innovateur qui a « fait don de liberté » à d’autres personnes
Elaine Wolfe, résidente d’Ottawa, pensait sans aucun doute à son défunt père, Clifford Wolfe, lorsqu’elle a visité l’exposition Récits (é)mouvants la semaine dernière au Musée des sciences et de la technologie du Canada.
L’exposition temporaire, qui présente des artefacts rarement vus de la collection des transports du Musée, comporte le Chevy Blazer 1988 d’Elaine. Le véhicule est équipé d’une plateforme élévatrice novatrice pour fauteuils roulants, laquelle a été inventée par son père lorsqu’elle était une jeune adulte.
« Dire que mon premier camion est un artefact me fait sentir très vieille », blague Elaine qui était à l’ouverture de l’exposition avec de nombreux amis et membres de sa famille, notamment sa mère et ses deux filles adultes.
En 1983, à 18 ans, Elaine a plongé dans la partie peu profonde d’une piscine et s’est cassé le cou. Devenue quadriplégique à cause de cet accident, elle a suivi des traitements de physiothérapie et d’ergothérapie intenses au Centre de réadaptation d’Ottawa pendant près d’un an.
« Ce fut tout un choc, dit-elle en parlant de l’accident. C’est difficile de comprendre ce qui se passe quand on se réveille et qu’on ne peut pas bouger. »
Mais la fougueuse adolescente était déterminée à renforcer son corps et attribue son incroyable progrès à l’équipe de réadaptation, à sa famille et à ses amis.
« Lorsque je me suis cassé le cou, je pouvais hausser les épaules. J’ai toutefois été très chanceuse, car ce n’était qu’une fracture partielle, explique-t-elle. Reprendre mes forces avec le retour de la sensation dans mes muscles était mon principal objectif. Je peux maintenant bouger les bras. »
Avant son accident, Elaine prévoyait aller à l’université à Waterloo, en Ontario. Comme la plupart des jeunes de son âge, elle se rappelle avoir eu hâte de s’éloigner de ses parents.
« Pendant ces longs mois, j’ai vraiment commencé à évaluer mes options pour l’université et le transport, dit-elle, ajoutant qu’elle avait finalement décidé d’aller à l’Université Carleton puisqu’ils offraient la meilleure accessibilité pour les fauteuils roulants à l’époque. Ils avaient même une résidence accessible en fauteuil roulant. À tous les instants, je songeais à de nouvelles façons d’être indépendante. »
En 1984, l’adolescente déterminée a quitté Smiths Falls pour aller à Ottawa et a commencé à étudier les communications de masse à l’Université Carleton. Même si elle avait appris à conduire avant l’accident (son père leur avait enseigné, à elle et à ses sœurs, à conduire dans son ancienne « coccinelle » de Volkswagen), elle devait maintenant dépendre sur le transport public pour se déplacer avec son fauteuil roulant.
Trouver un meilleur moyen
Elle a commencé à travailler après ses études. Elle nous raconte toutes ces heures passées à se déplacer pour le travail, ce qui rendait ses journées très longues et fatigantes. Elaine se rappelle avoir parlé à son père à propos du service de transport en commun irrégulier qui lui faisait perdre beaucoup de temps.
« Ce sont mes plaintes sur le peu de service qui m’était offert qui l’ont poussé à me dire qu’il croyait pouvoir arranger les choses, dit-elle. Je considérais les options de ce que je pouvais conduire à l’époque et il n’y avait seulement que des fourgonnettes de grande taille. Elles avaient un toit surélevé en plus d’être laides et volumineuses. Il n’y avait vraiment pas d’autres choix et je voulais vraiment quelque chose à l’allure sportive! »
Clifford Wolfe souhaitait vraiment aider sa fille. Il s’est donc mis à faire des dessins pour voir comment on pouvait modifier un véhicule pour qu’il soit facilement accessible en fauteuil roulant.
« Mon père aimait résoudre des problèmes, explique Elaine. Il était très fier de mon indépendance et voulait l’encourager à chaque occasion possible. »
Elaine et son père ont donc fait un remue-méninges pour trouver quel type de véhicule lui conviendrait le mieux. Elle précise qu’ils ont finalement choisi le Chevy Blazer en raison de son allure sportive et de ses quatre roues motrices.
« Ainsi, on évitait de s’enliser dans la neige des hivers canadiens, dit Elaine. Puisque je suis handicapée, je n’aurais pas été capable de sortir et de me déplacer dans la neige. J’ai entendu parler de gens qui sont décédés de cette façon. Mon père pensait à la sécurité avant tout. »
Elaine faisant la démonstration du fonctionnement de l’appareil Elaine Anne Lift System peu après sa creation.
Après qu’elle eut acheté le véhicule, Clifford a installé un prototype de son invention, plus tard breveté sous le nom Elaine Anne Lift System. Lorsqu’Elaine tenait un aimant près du feu arrière du véhicule, elle activait la porte-conducteur qui s’ouvrait, puis l’élévateur descendait jusqu’au sol. Elle pouvait ensuite s’installer sur l’élévateur qui la montait à la place du conducteur, et ce, tout en demeurant dans son fauteuil roulant. À l’intérieur, le Blazer était équipé d’un volant modifié qu’Elaine pouvait faire fonctionner avec son bras droit et d’un dispositif manuel pour l’accélérateur et les freins pour sa main gauche.
Elaine parle de la première fois qu’elle a conduit le Blazer modifié comme étant une expérience absolument terrifiante.
« J’avais peur de ne pas être assez forte pour tourner la roue ou de ne pas me souvenir de pousser pour freiner et de tirer pour accélérer », dévoile-t-elle. Mais son père a travaillé patiemment avec elle jusqu’à ce qu’elle soit à l’aise. « Il m’amenait à une ancienne carrière pour pratiquer. Nous avons fait ça pendant des semaines. Il était très dévoué pour me montrer à conduire. C’était stressant, mais particulièrement amusant. »
Elaine revient sur l’énorme impact que l’innovation de son père a eu sur sa vie.
« Il m’a offert la liberté, dit-elle simplement. J’ai adoré ce camion. Il m’a permis d’être plus indépendante, plus indépendante durant les cinq années après être devenue paralysée. Puisque je me sentais libre, je participais à beaucoup d’activités. Ma vie était donc plus remplie qu’elle ne l’aurait été sans le camion, car j’aurais moins eu tendance à sortir si ça avait été plus compliqué. »
Effet d’entraînement
L’appareil Elaine Anne Lift System a attiré beaucoup d’attention presque immédiatement.
« Pratiquement toutes les personnes handicapées que je croisais me demandaient où j’avais acheté cet élévateur », dit Elaine, ajoutant qu’en 1989 son père en a fabriqué un deuxième pour un de ses bons amis, Mike Griffin.
Clifford et sa femme, Elizabeth, se sont rendu compte de l’incroyable occasion d’affaires qu’ils avaient devant eux. Ils ont créé une entreprise et acheté un atelier, et Elizabeth gérait le bureau.
« C’était un travail d’équipe entre maman et papa, ils travaillaient vraiment bien ensemble », se rappelle Elaine.
Plus de 100 appareils Elaine Anne Lift System ont été produits.
« Des camions ont été expédiés en Belgique, en Autriche, en Israël, au Canada et aux États-Unis, précise Elaine. Les clients étaient tous des quadriplégiques qui croyaient ne jamais pouvoir réaliser leurs rêves. Ils étaient tellement reconnaissants envers mon père et sa technologie. »
Elaine transportait la petite Jamie dans une écharpe avant de la mettre dans le véhicule et après l’en avoir sortie.
Maternité modifiée
Des années plus tard, lorsqu’Elaine et son mari, Jim, étaient prêts à fonder une famille, Clifford a recommencé à chercher des façons de rendre la maternité plus accessible pour sa fille.
« Il était vraiment le type de personne qui se mettait à chercher des solutions si un problème se présentait, dit Elaine. Lorsque je suis tombée enceinte, nous avons commencé à songer à comment je pouvais me déplacer de façon indépendante avec un bébé. »
Clifford Wolfe a boulonné une barre en forme de T à côté du siège du conducteur pour qu’Elaine puisse elle-même installer bébé Jamie dans le véhicule et l’en sortir.
La solution de Clifford visait à installer un siège de bébé sur la console du Chevy Blazer, ce qui permettrait à sa fille d’atteindre l’enfant.
« Évidemment avec la sécurité en tête, il a fabriqué une barre en forme de T qu’il a boulonnée au châssis du camion, puis a fixé le siège sur la barre », explique Elaine, ajoutant que la barre est toujours visible dans le Blazer, lequel fait maintenant partie de l’exposition dans le Musée.
Clifford s’est également assuré qu’Elaine pouvait accéder au mécanisme du siège.
« Je n’étais pas assez forte pour pousser le petit bouton au centre pour détacher la ceinture de sécurité, donc il a fabriqué un levier qu’il a fixé au siège, dit-elle. Donc, tout ce que j’avais à faire était de pousser sur le levier pour facilement enlever la ceinture. »
Elaine a deux filles et toutes les deux ont utilisé le siège modifié jusqu’à l’âge de trois ans. Après, elles étaient assez grandes pour s’installer elles-mêmes dans le camion.
La fille d’Elaine, Jamie, avec son parc modifié en arrière-plan.
Les inventions de Clifford ne se sont pas arrêtées au Blazer. Il a également modifié un bureau qu’il a transformé en table à langer pour qu’Elaine puisse s’en approcher avec son fauteuil roulant. Ensuite, il s’est affairé à fabriquer un parc accessible.
« Il a acheté un parc ordinaire, puis l’a monté sur des pattes de table, dit Elaine. Il a demandé à une couturière de poser des fermetures à glissière sur les côtés. Je pouvais donc m’en approcher et les dézipper pour y mettre le bébé. »
Selon Elaine, son père lui a permis de pleinement profiter de la maternité.
« J’ai toujours pensé que mon mari serait le pourvoyeur principal de soins et que je continuerais à travailler. Les objets que mon père a créés m’ont aidée à être la pourvoyeuse principale de soins pour mes enfants. »
Elaine aurait souhaité que son père soit avec la famille quand ils ont visité l’exposition Récits (é)mouvants. Malheureusement, en 2008, Clifford a reçu un diagnostic de cancer et est décédé en 2009.
Du vivant de leur père, la sœur d’Elaine, Karen Wolfe, a aidé leurs parents avec l’entreprise. Après son décès, Karen a mis sur pied sa propre entreprise, Wolfe Mobility, à Picton, en Ontario.
« Son entreprise de distribution de produits pour personnes handicapées est très prospère », affirme Elaine à propos de sa sœur. Bien que l’appareil Elaine Anne Lift System ne fasse pas partie de l’offre de produits actuelle, elle espère le produire un jour.
« Je crois que Karen a lancé son entreprise parce qu’elle voyait à quel point aider les gens et changer leur vie rendait mon père heureux. Il aimait vraiment, vraiment ça. »