Une question de vie ou de mort : Épidémie de diphtérie, Little Red River, Alberta
En plein coeur de l’hiver 1929, une violente épidémie de diphtérie éclate à Little Red River, une communauté de la Compagnie de la Baie d’Hudson situé à quelque 800 kilomètres au nord d'Edmonton, en Alberta, menaçant la vie de tous ses habitants. Un représentant de la Compagnie est déjà mort et plusieurs personnes sont atteintes.
De nos jours, on vaccine les bébés contre la diphtérie, la population est ainsi immunisée contre cette maladie. Mais en 1929, il s’agissait d’une maladie grave, voire mortelle. À l’époque de l’épidémie de Little Red River, on disposait heureusement d’un remède, l’antitoxine diphtérique. Il y avait tout de même un problème : le médecin le plus proche résidait à 80 kilomètres de la communauté, à Fort Vermilion. De plus, sa réserve d’antitoxine, périmée, n’aurait pas suffi pour enrayer la propagation du mal. Il fallut à deux hommes près de deux semaines pour couvrir en traîneau à chiens sur des terres gelées et enneigées une distance de 480 kilomètres avant d’atteindre le poste télégraphique de Peace River, d’où ils purent envoyer un message de détresse vers Edmonton. Le télégramme arriva à Edmonton le jour de l’An 1929. Il disait ceci : « DIPHTÉRIE. CRAIGNONS ÉPIDÉMIE. ENVOYER ANTITOXINE ». Il ne restait que peu de temps pour contrer le fléau.
Les responsables du Ministère de la Santé à Edmonton réagirent immédiatement. Dès réception de la nouvelle, ils se hâtèrent de préparer suffisamment d’antitoxine pour traiter 200 malades. C’était l’acheminement du médicament jusqu’à Little Red River, dans des conditions hivernales, qui représentait le plus gros défi. Voyager par les airs était l’option la plus rapide. Mais un voyage aussi périlleux exigeait un pilote exceptionnel, une personne capable de risquer sa vie pour sauver celle d’autrui.
Wilfrid "Wop" May
Les autorités de la santé publique s’adressèrent à la petite compagnie aérienne Commercial Airways Ltd., basée à Edmonton en Alberta, qui était dirigée par un vétéran de la Première Guerre mondiale, Wilfrid « Wop » May, et son associé, Vic Horner. Ces derniers possédaient un Avro Avian à cockpit ouvert équipé d’un petit moteur et dépourvu de skis. Ce n’était pas l’appareil idéal pour l’expédition, mais May et Horner acceptèrent de transporter les 600 000 unités d’antitoxine diphtérique jusqu’à Fort Vermilion, d’où elles partiraient pour la petite communauté de Little Red River en traîneau à chiens.
Vic Horner tenant le paquet d’antitoxine diphtérique, le 2 janvier 1929.
Les deux hommes décollèrent de Blatchford Field à Edmonton le 2 janvier 1929 à 12 h 45 et mirent cap au Nord. La température au sol était de -30° Celsius. Le sérum antidiphtérique était enveloppé dans des couvertures de laine et maintenu au chaud par un petit réchaud à charbon. Après seulement quelques heures de vol, ils connurent des difficultés : les lainages enroulés autour du remède avaient pris feu ! Ils effectuèrent un atterrissage d’urgence, jetèrent les couvertures et le réchaud, placèrent les flacons d’antitoxine sous leurs bras et au creux de leurs aines pour éviter que le sérum ne gèle, puis ils décollèrent de nouveau. L’obscurité et une tempête de neige menaçante les contraignirent à se poser à McLennan.
Des responsables de la Santé avaient télégraphié un message avant leur arrivée pour demander qu’une piste d’atterrissage soit dégagée. May et Horner passèrent la nuit à McLennan et repartirent à l’aube, à 9 h 40. Ils volèrent jusqu’à Peace River, firent une halte pour remplir le réservoir de leur avion et repartirent. En suivant la voie ferrée, ils rejoignirent Fort Vermilion tard dans l’après-midi, alors que la noirceur commençait à s’installer. Le médicament fut ensuite envoyé à Little Red River en traîneau à chiens, et tous les habitants de Fort Vermilion et de Little Red River furent vaccinés contre la diphtérie. On ne déplora qu’un seul décès.
Wop May (droite) et Vic Horner (gauche) au retour de leur vol de secours à Fort Vermillion, Alberta, 1929.
Des problèmes de moteur et de santé retardèrent leur vol de retour vers Edmonton, où les attendait une foule de 10 000 personnes ! May et Horner furent accueillis comme des héros. Malgré le froid, l’épuisement et les gelures, les deux hommes recouvrèrent totalement leur santé.