Revendiquer l’égalité : conférence sur les femmes en planétologie et exploration planétaire
Imaginez, vous présenter devant une salle remplie de gens et discuter ouvertement de sentiments comme la vulnérabilité, la peur, la colère et la douleur. Selon moi, il s’agit d’un acte de bravoure incroyable. J’ai eu l’honneur d’entendre certains de ces courageux récits personnels prononcés par des participants lors de la Women in Planetary Science and Exploration Conference (WPSE2018), qui a eu lieu les 17 et 18 février 2018, à Toronto, au Canada.
Lorsqu’il s’agit des domaines de sciences, de technologie, d’ingénierie et de mathématiques (STIM), les femmes, les minorités visibles, la communauté LGBTQ+ et toutes les intersections de groupes marginalisés sont, au mieux, sous-représentés et, au pire, ouvertement opprimés. Ces sujets de conversation sur les expériences vécues par ces personnes ne sont pas nouveaux, ils ont lieu depuis des dizaines d’années, mais seulement à huis clos, dans des courriels ou en privé avec un ami proche. Heureusement, une discussion sur ces sujets s’installe dans la culture populaire aujourd’hui. Bien qu’il soit difficile de parler de ces thèmes, il faut les aborder sans plus tarder.
Mais comment faire pour mettre ces conversations à l’avant-plan? Afin de traiter directement de ces enjeux importants, un trio de planétologues, Tanya Harrison, Sara Mazrouei et David Hamilton, a organisé la toute première conférence sur les femmes en planétologie et exploration planétaire. Elle a été présentée comme un colloque universitaire, étudiant les plus récents travaux de recherche, mais a également été élaborée pour « souligner les réalisations des femmes et des chercheurs non binaires, tout en offrant la chance de discuter, de débattre, de réseauter et de soutenir leurs pairs. »
Une conférence universitaire typique axe son programme sur des exposés de recherche. Ce sont de courtes présentations, d’une quinzaine de minutes, faites principalement par des étudiants diplômés qui parlent de leur recherche en cours. À la conférence WPSE2018, les sujets de recherche comptaient météorites, planètes telluriques, exoplanètes, la Lune et les confins du système solaire. Il s’agit d’un des meilleurs moyens de participer activement au processus scientifique et ces exposés sont particulièrement importants pour que les jeunes scientifiques puissent bien s’établir dans leur domaine. Dans la plupart des conférences universitaires, il peut également y avoir une séance consacrée à l’éducation et à la sensibilisation du public, ou possiblement au financement des universités, ou peut-être à la présentation de grands projets à venir auxquels participeront de nombreuses organisations. Toutefois, les conversations traitant directement des problèmes auxquels certaines personnes sont confrontées dans ces domaines ne font jamais partie de la programmation.
La conférence WPSE2018 a équilibré la présentation de recherche universitaire dans les domaines de la planétologie avec les enjeux complexes auxquels sont confrontés les gens qui effectuent le travail. Outre les exposés de recherche typiques, il y a eu de multiples panels axés sur des expériences vécues. Par exemple, des discussions ont eu lieu sur les problèmes de personnes LGBTQ+ dans les STIM, les femmes de minorités visibles dans les STIM et le harcèlement dans les STIM.
Ces conversations ne se sont pas tenues pendant le repas, des événements sociaux après la conférence ou tout autre activité ou forum secondaire. Ces panels étaient au cœur du programme et prévoyaient donc la participation des gens. Pendant ces discussions, des personnes victimes de discrimination et de harcèlement en milieu de travail se sont exprimées sur le sujet et sur la façon dont elles gèrent ces expériences. Par la structure de l’événement, les organisateurs et les participants de la conférence ont remis en question le concept que le travail est indépendant des expériences vécues.
La conférence m’a obligé à repenser à ma propre expérience aux études supérieures. Je suis arrivé à la maîtrise en astrophysique à 21 ans après avoir obtenu mon diplôme de premier cycle. Et j’ai poursuivi mes études jusqu’au doctorat. Je faisais de longues journées et devais gérer une vie au seuil de la pauvreté (être un étudiant diplômé n’est pas particulièrement lucratif). Je devais composer avec la critique constructive sur mon travail et le syndrome de l’imposteur. Je m’inquiétais de la direction que prenait ma carrière et des défis qui accompagnent les relations interpersonnelles. Et j’ai tout fait ça en tant qu’homme blanc cisgenre. Il doit être tellement plus difficile de faire face à ces défis en plus de voir son travail systématiquement dévaluer, de recevoir en toute impunité des commentaires désobligeants sur mon sexe, ou d’être automatiquement exclu en raison de son apparence (sociale ou professionnelle). N’est-ce pas incroyable de réussir malgré tant d’adversité? Dans ma position privilégiée, je n’ai pas eu à subir ces épreuves.
Les gens qui ont assisté à cette conférence, qui ont participé aux panels et qui ont suscité une prise de conscience dans les médias sociaux, nous mettent tous au défi d’aller au-delà de la recherche universitaire et de tenir compte des défis silencieux auxquels certains collègues, amis, membres de la famille sont confrontés. La réaction d’empathie et de soutien de la foule était encourageante. La meilleure façon de décrire la WPSE2018 vient possiblement d’un commentaire entendu à la fin : « Je n’ai jamais vu une conférence remplie d’autant d’humanité. »