En coulisses : L’atténuation des risques associés au tiroir d’un atelier de typographie
On ne déplace pas une collection de musée sans se salir les mains. Rappelez-vous toutes les merveilles que contenait le grenier de vos grands-parents quand vous étiez enfant, puis imaginez un grenier de la taille d’un entrepôt. Plusieurs entrepôts, en fait! Voilà ce que le personnel d’Ingenium explore, à Ottawa, à mesure qu’il déplace la collection nationale de science et de technologie vers son nouveau lieu d’entreposage ultramoderne appelé le Centre Ingenium.
Un des grands avantages de déménager une collection de musée, c’est que le personnel peut évaluer les artefacts et la façon dont ils sont entreposés. Le personnel évalue ainsi l’état d’une vaste gamme d’objets, allant des trains aux instruments dentaires, cerne les dangers qu’ils présentent, puis en assure l’empaquetage en vue de leur déménagement et de leur entreposage à long terme.
Comme les coffres aux trésors que vos grands-parents gardaient au grenier, nos boîtes non étiquetées, qui attendent d’être ouvertes, cachent parfois certains dangers. C’est là que les équipes de conservation entrent en jeu. Ces équipes expérimentées peuvent évaluer les risques, les atténuer ou y remédier au besoin.
Pendant le déménagement, nous cherchons généralement à atténuer (réduire) les risques et, si c’est impossible, à y remédier (enlever les risques). L’objectif est de respecter l’échéancier du déménagement tout en nous assurant que la manipulation des objets sera sécuritaire, tant pendant le déménagement qu’à l’avenir, pour toute personne qui accèdera à la collection.
Le tiroir de l’atelier de typographie, vidé d’une partie de son contenu. Remarquez le nid de souris et les tubes d’encre en plomb.
Évaluer les artefacts pour procéder en toute sécurité
En triant le contenu du « grenier » d’Ingenium, j’ai trouvé un unique tiroir caché derrière un tour à métal. Le tiroir débordait de paquets de papier brun, et mon petit doigt me disait qu’ils seraient remplis de caractères de typographie en plomb. À force d’emballer des artefacts et d’échanger avec Sarah Jaworski, conservatrice adjointe en communication, je m’étais familiarisée avec les caractères d’imprimerie en plomb et les ateliers à propriétaire unique, et j’étais consciente que le tiroir contenait probablement d’autres sources de danger. (Pour plonger dans l’univers des caractères typographiques, lisez l’article de Sarah, « À l’intérieur de la boîte à cigares : aperçu d’une petite presse d’imprimerie canadienne ».)
À Ingenium, on a mis en place des protocoles sur la gestion de dangers bien précis. Chaque membre du personnel affecté aux collections reçoit une formation sur les sources de danger, y compris où elles se cachent dans la collection et comment les gérer. Chaque source de danger s’accompagne d’une fiche d’information appelée « évaluation des risques associés aux artefacts et pratiques sécuritaires au travail » (ou RASP, en anglais). Ces fiches renseignent rapidement le personnel sur les dangers associés, en quoi ils consistent et comment les gérer de façon optimale. Elles comportent aussi un système uniforme d’étiquetage des sources de danger. Ces étiquettes emploient les pictogrammes du Système général harmonisé, qui sont faciles à comprendre et qui attirent rapidement l’attention sur les dangers que peut présenter un artefact, tout en invitant à une grande prudence dans la manipulation de l’objet.
Munie de mes fiches RASP et vêtue d’un équipement de protection individuelle (ÉPI), j’étais prête à poursuivre mon examen du tiroir et de son contenu. Après avoir enlevé une partie des caractères en plomb, j’ai découvert certains tubes de plomb contenant de l’encre et divers composés, et certains de ces tubes étaient gravement rongés par la corrosion. J’ai aussi trouvé les traces d’un nid de souris dans un des coins du tiroir. Comme la liste des dangers commençait déjà à s’allonger, il était temps d’appeler d’autres conservateurs, qui m’aideraient à confiner les sources de danger que contenait le tiroir.
Prochaine étape : atténuer les risques!
Une fois l’équipe rassemblée, avec ses combinaisons de protection en Tyvek, ses respirateurs P100, ses lunettes de protection et ses gants en nitrile, nous nous sommes attaqués à la décontamination du tiroir. Nous avons procédé en trois étapes : nettoyage à l’aspirateur, mise en sacs, puis étiquetage. Étant donné l’ampleur de la corrosion qui avait rongé le plomb, tout ce qui sortait du tiroir était sommairement nettoyé à l’aide d’un aspirateur muni d’un filtre ULPA (pour Ultra Low Particulate Air), qui filtre les microparticules. À cause du plomb et des matières animales biodangereuses, chaque objet retiré du tiroir était placé dans son sac de polyéthylène, qui était scellé de façon à confiner la source de danger. Les sacs étaient ensuite étiquetés selon le système RASP, puis placés dans des boîtes de carton Neutracor non acide aux fins d’entreposage. Les boîtes étaient elles aussi étiquetées pour mettre en garde quiconque les ouvrira à l’avenir des dangers qu’elles contiennent.
Une fois le processus bien entamé, nous avons découvert d’autres surprises. Un insecte appelé anthrène des tapis avait grugé la colle naturelle employée dans la fabrication des pinceaux, qui s’étaient donc mis à perdre leurs poils. De plus, les rouleaux de caoutchouc employés pour l’impression avaient fondu dans le nid de souris, les poignées de plastique de divers outils étaient écorchées ou fracassées, et des tubes de plomb dégradés contenaient divers composés chimiques inconnus.
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Nous avons pulvérisé une solution d’eau d’osmose inverse et de Javel à 10 % sur le nid de souris pour le désinfecter, avant de nous en débarrasser. Nous avons enveloppé le tiroir même dans une feuille de polyéthylène pour y confiner le reste des contaminants : le plomb, les matières animales biodangereuses et les contaminants chimiques inconnus. Comme le bois est très poreux, les contaminants y pénètrent profondément. L’aspirateur et le nettoyage ne suffisent donc pas à réduire suffisamment la dangerosité du bois pour en permettre la manipulation à mains nues ou l’entreposage à l’air libre sur une tablette.
Du confinement des contaminants à la décontamination, l’opération a nécessité tout un après-midi. Certains trouveront peut-être cela long, mais lors d’un déménagement, la santé et la sécurité passent avant tout. Les conservateurs sont aux premières lignes pour assurer la sécurité de chaque personne qui entrera en contact avec la collection.
Certains objets peuvent-ils être trop dangereux? Certainement! Ingenium est responsable de la collection la plus dangereuse du Canada, et notre évaluation détermine entre autres si un danger est trop important. Notez qu’on ne se débarrasse pas d’un objet simplement parce qu’il est trop dangereux. Par exemple, Ingenium compte une vaste collection d’objets radioactifs (pour savoir comment nous entreposons nos objets radioactifs, lisez « Dans notre plus petit local d’entreposage d’artefacts »). L’équipe de conservation travaille en collaboration avec le personnel responsable des collections pour recommander la façon de procéder avec les objets dangereux dont il est préférable de se débarrasser. D’autres facteurs interviennent aussi dans la décision, comme l’état de l’objet, sa provenance et si d’autres objets semblables font partie de la collection.
Ce qui rendait cette opération si intéressante, c’était l’étendue des matières dangereuses que contenait le tiroir. L’opération montre à merveille l’efficacité du protocole en vigueur à Ingenium pour atténuer les risques. Grâce au système RASP, qui a guidé la manutention sécuritaire des objets et les procédures d’étiquetage, ce tiroir plein de dangers peut désormais être manipulé et conservé en toute sûreté dans les nouvelles installations d’entreposage du Centre Ingenium.
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