Dans les coulisses : les conservateurs ont la tâche complexe de manipuler des artefacts dangereux
Les travaux de déménagement de la collection scientifique et technologique nationale vers le Centre de conservation des collections avancent bien, mais le personnel de conservation d’Ingenium doit manipuler certains artefacts étranges qui nécessitent davantage d’attention.
La conservatrice du Musée, Erin Secord, est une des expertes-résidentes d’Ingenium en matière de manipulation d’artefacts dangereux. Elle précise avec empressement la nature unique de la collection, laquelle englobe trois établissements : le Musée de l’agriculture et de l’alimentation du Canada, le Musée de l’aviation et de l’espace du Canada et le Musée des sciences et de la technologie du Canada.
« Puisqu’il s’agit d’une collection technologique, historique, scientifique, industrielle et agricole, elle déborde de risques qu’on ne retrouve pas, dans les mêmes proportions, dans les galeries d’art ordinaires ou autres musées, explique Mme Secord. Les objets que nous avons ont été fabriqués avec des matières dangereuses ou utilisés dans des environnements dangereux. Donc, quand ils arrivent dans la collection, ils portent certaines traces dangereuses. »
Certains artefacts du Musée de l'agriculture et de l'alimentation du Canada peuvent avoir des relents de pesticides ou d’autres substances nocives. Les artefacts du Musée des sciences et de la technologie du Canada peuvent être d’anciens médicaments ou produits chimiques, lesquels sont potentiellement toxiques. Les artefacts du Musée de l'aviation et de l'espace du Canada posent un risque simplement à cause de leur énorme taille.
Raconter toute l’histoire
Même si la collection comporte sa juste part de risques, Mme Secord affirme que la grande diversité d’artefacts de la collection signifie que les musées d’Ingenium peuvent mieux raconter l’histoire. Non seulement celle des artefacts, mais également celle des gens qui les ont utilisés.
« Nous sommes en fait très chanceux de posséder ces objets, car nous pouvons ainsi raconter toute l’histoire des artefacts, dit Mme Secord. Ils ne font pas qu’être exposés de manière statique. On constate toutes les composantes de l’artefact avec lesquelles un utilisateur ou un opérateur pouvait interagir au quotidien. »
Dans le cadre de cet important projet de déménagement, les artefacts seront envoyés vers des installations plus adéquates dans le nouveau bâtiment. Mme Secord précise que les artefacts seront ainsi plus accessibles.
« Nous prenons toutes les mesures nécessaires pour non seulement préserver la collection dans le nouveau Centre de conservation des collections, mais également pour protéger les gens qui seront en contact avec la collection, et rendre ces artefacts sécuritaires, favorisant ainsi un meilleur accès plus enrichi au nouveau Centre de conservation des collections », dit Mme Secord.
Risques quotidiens
Les risques ne sont pas toujours évidents. Les artefacts pouvant sembler inoffensifs et sécuritaires peuvent, en fait, avoir des propriétés dangereuses. Un œil averti et de solides connaissances de la collection sont essentiels.
« Il y a même des choses qu’on ne juge pas dangereuses, qui le sont, par exemple, de l’équipement d’astrophysique qui contenait de l’acide fluorhydrique quand il était utilisé, explique Mme Secord. Mais, on ne peut savoir ça qu’en explorant l’histoire de l’instrument. Ainsi, si une substance s’échappe de l’artefact, nous saurons qu’il s’agit d’acide fluorhydrique et pas juste de l’eau inoffensive. »
Lorsqu’ils sont entreposés, tous les articles du quotidien que nous tenons pour acquis et considérons sécuritaires peuvent présenter un risque.
« Nous croyons que les piles sont un objet banal du quotidien, mais au fil du temps, les piles se détériorent et émettent beaucoup de matière corrosive », explique Mme Secord.
Elle dit qu’ils vérifient les piles dans les artefacts et s’en occupent convenablement. Mme Secord mentionne un autre article de tous les jours potentiellement dangereux dans la collection, les extincteurs. Ingenium possède une vaste collection d’extincteurs et ils ont tous été adéquatement étiquetés comme étant des artefacts afin de ne pas confondre les pompiers en cas d’urgence. Certains anciens extincteurs contiennent même des produits chimiques toxiques qui étaient auparavant utilisés pour éteindre les feux.
(Légende) Voici un exemple d’un artefact dont les conservateurs prévoient se débarrasser, car le contenu dangereux a trop détérioré l’artefact. Les conservateurs font leur possible pour ne jeter aucun artefact et généralement ne s’en défont que s’ils ont une copie du même artefact en meilleure condition.
Une méthode sécuritaire et consciencieuse
Mme Secord et l’équipe de conservateurs d’Ingenium ont développé un processus pour l’emballage et l’étiquetage de ces artefacts dangereux, lequel est sécuritaire et consciencieux.
Tout d’abord, on effectue une recherche pour les artefacts ayant des propriétés dangereuses particulières, par exemple ceux qui contiennent du mercure. Un conservateur ira ensuite dans l’entrepôt voir s’il y a des artefacts contenant du mercure. Ils seront rapportés à la zone d’emballage et des recherches sur ses origines seront effectuées pour savoir quelles sont les précautions à prendre et quel équipement utiliser pour le processus d’emballage. Dans le cas du mercure, les objets ne peuvent entrer en contact avec aucun métal. Les conservateurs ont donc choisi d’utiliser une boîte de polypropylène. Dans le processus d’emballage, les conservateurs ont également utilisé des matériaux d’emballage de qualité d’archivage pour maintenir la stabilité de l’artefact. Ces mesures sont prises pour s’assurer que les artefacts ne se briseront pas durant le déménagement et l’entreposage dans le Centre de conservation des collections qui est actuellement en construction à côté du Musée des sciences et de la technologie du Canada.
« Ce processus crée également, dans ce cas, un petit environnement pour gérer les risques, explique Mme Secord. Le conservateur a, dans ce cas-ci, des indicateurs de vapeur de mercure pour que toute personne venant y faire des recherches puisse savoir si quelque chose est brisé ou s’il y a un risque d’inhalation de vapeur de mercure et s’il faut consulter davantage d’experts en gestion du risque. »
Mme Secord et les autres conservateurs utilisent également un système d’étiquetage qui incorpore le Système général harmonisé (SGH) pour les artefacts présentant des risques particuliers. Le SGH définit et classe les risques des produits chimiques, et indique les renseignements en matière de santé et de sécurité sur les étiquettes et les fiches de données de sécurité. Par exemple, ils ont des étiquettes pour les artefacts contenant de l’huile et de la graisse, de la moisissure, des pneus à jante divisée, du potassium, de l’iode et de la lidocaïne.
(Légende) Voici quelques onglets étiquetés du système de classement. Dans les dossiers individuels, on retrouve des instructions et des étiquettes concernant le risque spécifique.
La frontière de la conservation
Une collection unique amène son propre ensemble de défis uniques. Dans de nombreux cas, les artefacts que gère l’équipe d’Ingenium ont été discontinués ou très réglementés pendant des décennies, rendant ainsi les procédures de manipulation quelque peu difficiles. Parfois, Mme Secord et son équipe doivent se servir des seules connaissances qu’ils ont sur la manipulation des artefacts.
« Les gens ne sont pas en mesure de nous donner des directives précises. Nous devons donc nous adapter et utiliser les meilleures pratiques du moment afin de servir la collection le mieux possible, dit Mme Secord. Particulièrement quand on a affaire à des objets comme des pneus à jante divisée. Les gens diront qu’il ne faut pas s’en faire puisque le D.D.T. [dichlorodiphenyltrichloréthane] n’est plus utilisé aujourd’hui. Toutefois, nous en avons encore dans notre collection et c’est encore une source de préoccupation pour nous. »
Bien que le personnel de conservation soit très bien formé, Mme Secord souligne qu’il existe encore des lacunes entre les connaissances de conservation et l’expertise industrielle, et qu’ils continuent de collaborer avec des experts pour combler ces lacunes.
(Légende) Erin Secord consulte le système de classement pour trouver les étiquettes correspondantes aux artefacts dangereux de la collection scientifique et technologique nationale.