La redécouverte du bobsleigh des Dudley
Par William Knight et Bruce Dudley
Un mystère plane autour de certains artefacts du Musée. Ne disposant pas d’information quant à la provenance ou à l’histoire de ceux-ci, nous ne savons pas qui les a fabriqués ou utilisés, ni à quelles fins. À l’occasion, il nous arrive toutefois de découvrir l’histoire derrière certains objets. C’est le cas du bobsleigh exposé dans l’Allée des artefacts du Musée des sciences et de la technologie du Canada, à Ottawa.
Il se trouve que ce bobsleigh possède une riche histoire liée à celle des transports dans la ville d’Ottawa, aux joies de l’hiver et à la Grande Dépression, sans oublier le souvenir d’un père bien aimé.
En tant que commissaire de l’Allée des artefacts (la salle d’exposition qui traverse le Musée rénové), j’ai choisi le bobsleigh à l’été 2016. J’étais chargé de sélectionner des objets pour les huit gigantesques vitrines de l’Allée des artefacts, qui explorent chacune un thème en particulier. J’ai trouvé le bobsleigh en recherchant des artefacts pour la vitrine portant sur l’hiver.
La première fois que j’ai vu le bobsleigh, j’ai été immédiatement étonné par sa longueur et par sa peinture rouge vif; malheureusement, on ne trouvait rien sur la date de sa fabrication ni sur le fabricant dans notre catalogue. Hormis le nom du donateur, nous ne savions pratiquement rien sur le traîneau. Nous avons estimé qu’il avait été fabriqué entre 1920 et 1968 (année où il nous a été donné).
Malgré le manque d’information à son sujet, cet objet était parfait pour la vitrine sur l’hiver, qui présente des technologies associées à cette saison. Le traîneau est actuellement exposé à côté d’une carriole du Québec qui date de 1835, d’une motoneige Kitty Cat de 1973, d’une luge de hockey de 2010 et d’un traîneau-jouet dont la date de fabrication est inconnue.
Un jour durant l’hiver dernier, ma collègue Molly McCullough m’a transmis un message publié sur Facebook par Stewart Dudley. Le message racontait à quel point M. Dudley et son père Bruce avaient été ravis de découvrir le bobsleigh au Musée, lequel a rouvert ses portes au public en novembre 2017. M. Dudley père y avait immédiatement reconnu le traîneau de son enfance, que son propre père Hector Dudley avait fabriqué dans les années 1930 pour ses enfants.
M. Bruce Dudley a eu la gentillesse de nous fournir des photographies et leur légende en plus de précisions sur le traîneau, qui nous permettront de compléter la notice de catalogue de l’objet. Suivant les traces de son père Hector, M. Dudley a travaillé comme conducteur de tramway; il participe aujourd’hui comme bénévole à la restauration de deux voitures de tramway jadis utilisées par l’Ottawa Electric Railway Company (OER).
« Cette photo a été prise à l’hiver 1937-1938, voire probablement vers le milieu ou la fin du mois de février 1938, sur le côté sud de la rue Catherine, près de la rue Percy (nous habitions alors sur la rue Percy, à quelques pâtés au nord de la rue Catherine). Les wagons de marchandises derrière nous se trouvent dans les vieilles gares de triage du secteur central qui appartenaient aux Chemins de fer nationaux du Canada. C’est là qu’on y a aménagé le Queensway!
De l’avant à l’arrière du traîneau, on trouve mon frère Garry Dudley, notre cousine Margaret Dickson et moi-même.
La photo a été prise par mon oncle John Dickson, le père de Margaret. Il travaillait comme photographe au sein de la Gendarmerie royale du Canada et il testait la pellicule Kodachrome à cette époque. Pour cette photo, il a utilisé une chambre photographique de 8 po x 10 po et un film en feuille Kodachrome. Je suis certain que l’indice ASA ou ISO n’était pas supérieur à 10. »
~ Bruce Dudley
« Cette photo de mon père Hector Dudley, inspecteur pour la Commission des transports d’Ottawa, a été prise à l’embranchement de l’avenue Holland à la fin du mois de février 1954. Je crois que c’est l’agence photographique Newton qui l’a prise, puisque mon père venait de recevoir un prix en guise de reconnaissance du service courtois qu’il offrait aux usagers.
Mon père a commencé à travailler comme mécanicien pour l’Ottawa Electric Railway Company en 1923; à cette époque, deux hommes conduisaient chaque tramway. À l’avant de la voiture, on trouvait un mécanicien, qui assurait toutes les fonctions relatives à la conduite du tramway, tandis qu’à l’arrière, un agent accueillait les passagers à mesure qu’ils montaient à bord (l’embarquement se faisait alors par les portes à l’arrière de la voiture) pour collecter leurs titres de transport, leur rendre la monnaie ou leur distribuer des correspondances. Au début des années 1930, l’OER a modifié les modalités d’exploitation de ses tramways, qui prévoyaient depuis longtemps l’affectation de deux employés par voiture. Au plus fort de la Grande Dépression, l’OER a combiné les listes d’ancienneté des mécaniciens et des agents pour n’en faire qu’une seule, puis elle a licencié un nombre important d’employés, dont mon père.
Vers 1936, il a été réembauché comme travailleur de nuit dans les garages des autobus de l’OER, où il a travaillé trois ans avant de retrouver un poste dans les tramways au début de 1939. Durant l’année 1937, profitant de ses temps libres à la maison et de ses pauses au garage d’autobus, il a fabriqué à la main le traîneau. Quand nous avons déménagé dans le secteur Laurentian View (adjacent à l’est du quartier Westboro) à la fin de 1939, mon frère et moi avons pu profiter pleinement du traîneau. »
~ Bruce Dudley
« Comme on peut le voir, le traîneau comportait un cadre tubulaire, qui longeait les deux côtés de la plateforme principale et qui se prolongeait sur le devant du volant (lequel venait probablement d’un vieil autobus ou d’une voiture). De courtes tiges l’espaçaient de la plateforme et le reliaient à celle-ci, tout en servant de repose-pieds aux passagers du traîneau.
Parmi les composantes que mon père Hector Dudley a intégrées au traîneau figure un enrouleur de corde de traction fixé à l’avant du traîneau, sous la base du volant. Pour tirer le traîneau jusqu’en haut d’une colline, on saisissait la corde, qui se déroulait alors, et il suffisait de la relâcher une fois au sommet pour qu’elle s’enroule d’elle-même de nouveau.
Je ne sais pas combien de temps il lui a fallu pour fabriquer le bobsleigh; je dirais de six à huit mois, peut-être même davantage. Un de ses amis du garage a appliqué la peinture d’origine et peint de magnifiques bandes décoratives à la main. Cet homme était, semble-t-il, chargé de peindre les ornementations sur les autobus à cette époque.
Vers la fin des années 1950, mes parents ont déménagé dans une nouvelle maison que mon père Hector Dudley a construite dans le secteur Heart’s Desire (proche du pont enjambant la rivière Jock et de l’autoroute Prescott) et qu’ils ont décidé de vendre au début des années 1970. C’est à ce moment que mon père a donné le traîneau au Musée des sciences et de la technologie du Canada. Je crois qu’il lui a également donné un traîneau utilitaire plus petit. Celui-ci se composait d’une plateforme plus courte, mais plus large, et d’une poignée semblable à celle d’un chariot, grâce à laquelle on pouvait le tirer. »
~ Bruce Dudley