L’expédition en terrain glissant
Parlons Énergie et Will Gadd sont descendus dans le glacier Athabasca en Alberta pour y étudier les effets du changement climatique sur le glacier. ’équipe a été rejointe par Martin Sharp, un glaciologue de l’Université de l’Alberta qui a expliqué les impacts passés et futurs du changement climatique sur la région en général et le glacier en particulier.
Pendant son enfance à Calgary, Will Gadd accompagnait souvent son père géologue dans les Rocheuses canadiennes pour explorer la masse de glace la plus accessible et peut-être la plus célèbre d'Amérique du Nord : le glacier Athabasca. Ces excursions entre père et fils sur le glacier ont non seulement inspiré chez Gadd une passion fervente pour le plein air et l’aventure, mais ont aussi ouvert la voie à sa carrière d’athlète de sport extrême primé, d'aventurier de renommée mondiale et de grimpeur de glace parrainé par Red Bull.
Les 30 ans de carrière de Gadd qui ont suivi ces excursions d’enfance incluent des premières : il a battu le record du monde de distance en parapente et est devenu la première personne à monter les eaux glacées des chutes du Niagara. Malgré ces accomplissements, Gadd n'aurait jamais pensé qu’il ferait un jour partie de la toute première expédition scientifique à grimper à l’intérieur du glacier Athabasca au Canada.
Cette expédition historique a été conceptualisée et organisée par l’équipe Parlons énergie du Musée des sciences et de la technologie du Canada pour les aider à en savoir plus sur le glacier et se sensibiliser sur l’impact réel du changement climatique au Canada.
« Quand j’ai entendu parler de ce voyage, ça a été l’un des moments les plus excitants de ma vie parce que j’allais littéralement aller quelque part où personne n'avait mis les pieds avant, » a déclaré Gadd âgé de 50 ans.
Pour Gadd, l'expédition Athabasca était différente de ses ascensions précédentes. « J’ai été à l’intérieur d’une demi-douzaine de glaciers, mais aucun d'entre eux n'était comme celui-ci. » En 2016, il a tenté d’explorer l’intérieur d’un glacier au Groenland, mais la glace était trop instable et a limité son passage à quelques mètres seulement. « Avec le glacier Athabasca, je n’espérais même pas y entrer. Je n’avais vraiment aucune idée à quoi m’attendre. C’est ça qui était passionnant. Pour être honnête, après mon expérience au Groenland je n'avais pas trop d’espoir. »
En décembre 2017, Gadd est descendu avec succès dans le glacier en tant que membre d’une équipe de 10 personnes composée d'explorateurs, de scientifiques, de photographes, d'éducateurs et d'aventuriers de carrière rassemblés par le Musée des sciences et de la technologie du Canada.
L’équipe s'est engagée dans un moulin, un tunnel vertical à la surface du glacier, formé par l’eau passant à travers les fissures de la glace. Une fois à l’intérieur du glacier, à plus de 100 mètres de profondeur, l’équipe a découvert un mini écosystème rempli d'insectes volants et d'organismes microscopiques appelés des biofilms. Leur survie dans la glace défie notre compréhension des limites de la vie dans les espaces les plus froids.
Après la montée, Gadd s'est rappelé de ses excursions d’enfance au glacier dans les années 70. À l’époque, il fallait quelques minutes pour marcher du stationnement au glacier Athabasca. Aujourd'hui, la glace a tellement reculé que les visiteurs doivent marcher une heure avant d'atteindre le bord extérieur. « Une mise en garde rude de l’accélération du réchauffement climatique » dit-il.
« Si les tendances actuelles continuent », affirme Gadd. « Je ne m'attends pas à ce que le glacier Athabasca existe plus tard dans ma vie ou dans celle de mes enfants. À bien des égards, c’est un glacier qui est déjà mort. Pour moi, le changement climatique est évident. Les glaciers disparaissent à une vitesse complètement inouïe. Ce n’est pas abstrait. Nous parlons de centaines de mètres de glace qui ont disparu au cours de ma vie. »
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Alors que Will Gadd et son équipe ont été les premiers à explorer avec succès l’intérieur du glacier Athabasca, deux explorateurs britanniques avaient rejoint la surface il y a plus d’un siècle.
Au cours de l’été 1898, J. Norman Collie et Herman Wooley, accompagnés d’une petite équipe de grimpeurs, faisaient une randonnée dans une région des Rocheuses canadiennes qui était en grande partie inexplorée à l'époque. Dans la soirée du 18 août, après une journée d’escalade difficile, Collie et Wooley ont atteint le sommet du mont Athabasca.
Dans son ouvrage de 1903, Climbs and Exploration in the Canadian Rockies, co-écrit avec son collègue grimpeur Hugh Stutfield, J. Norman Collie raconte comment il a surplombé le paysage glacial à environ 12 000 pieds au-dessus du niveau de la mer :
Nous étions sur le bord d’un immense champ de glace, plus grand que le plus grand en Suisse — c'est-à-dire, plus grand que le Ewige Scheefield et le glacier d’Aletsch combinés — qui s’étendait sur des kilomètres devant nous comme une prairie vallonnée couverte de neige. [...] La vue qui se trouvait devant nous dans la lumière du soir était une de ces vues qui ne se présente pas souvent aux alpinistes modernes. Un nouveau monde s’étalait sous nos pieds : à l’ouest, s’étendait un vaste champ de glace sans doute jamais vu par l'œil humain et entouré de sommets tout à fait inconnus, sans nom et jamais gravis. (Collie et Stutfield 1903)
Ce vaste « nouveau monde » qui captivait tant Collie était le champ de glace Columbia. Cette ancienne particularité géographique a commencé à se former il y a plus de 240 000 ans au cours de la grande glaciation, environ 100 000 ans avant l’âge de glace. Dans ce champ de glace se trouve le glacier Athabasca qui représente une des six branches, également appelées des orteils, du champ de glace Columbia.
Durant les 120 années suivant l'ascension historique de J. Norman Collie et de ses camarades alpinistes, le glacier Athabasca a considérablement diminué. Selon Dr Martin Sharp, glaciologue à l’Université d’Alberta, le glacier a reculé de plus de 1,5 kilomètre et a réduit de la moitié de sa taille originale pendant cette période.
Lorsque Will Gadd lui a demandé de rejoindre l’expédition du Musée, le Dr Sharp, qui avait étudié les cycles glaciaires pendant 40 ans, a accepté sans hésitation. L’expédition lui offrait une occasion rare d’étudier le système de déplacement du glacier. En étudiant les voies d’eau se déplaçant depuis le sommet du glacier, à travers les moulins et vers le fond, Sharp pourrait mieux comprendre le comportement du glacier.
Une fois à l’intérieur, le Dr Sharp a remarqué un brusque changement de température passant de –30 °C à la surface à une température juste en dessous de zéro. Mais il n'était pas du tout préparé à ce qu’il allait découvrir ensuite : les murs intérieurs du glacier étaient couverts de biofilms microbiens colorés.
« Partout où il y avait de l'eau, celle-ci était colonisée par des biofilms microbiens », se rappelle Sharp. « S’il y avait une mince fissure dans le mur et la moindre infiltration d’eau, elle était colonisée. S’il y avait des creux dans le sol qui pouvaient recueillir de l’eau, il y avait des biofilms. Et il s'agissait de différents types d’organismes : il y en avait des rouges, des verts, des violets. Il y en avait en abondance. »
« En fin de compte, la question est de connaitre les limites de la vie sur terre dans le froid extrême. Quelles astuces ces organismes utilisent-ils pour s'en sortir? » demande Sharp. « Si ces organismes peuvent exister alors il est possible que des organismes similaires existent sur d’autres planètes ou d’autres lunes, telle qu'Europa [une lune recouverte de glace en orbite autour de Jupiter]. »
Une semaine après l’expédition, le Dr Sharp a envoyé un collègue au glacier avec Will Gadd pour recueillir plus d’échantillons de biofilms. On teste ceux-ci actuellement dans un laboratoire à Bristol en Angleterre.
Bien que les membres de l’équipe d’escalade aient été ravis de leur découverte, ils étaient inquiets. La vie à l’intérieur d’un glacier est le résultat d'une hausse des températures à l’intérieur.
« Cela signifie que beaucoup de ces glaciers n'en ont plus pour longtemps dans ce monde. Et il se peut qu'ils fondent beaucoup plus rapidement que ce que nous pouvons imaginer, car il y a des changements dynamiques qui rendront leur disparition plus facile » a expliqué Sharp. « À cause du changement climatique, les glaciers ne reçoivent plus la quantité de neige dont ils ont besoin pour se reconstruire après le dégel de l’été. Donc, cela signifie qu’ils vont tout simplement disparaitre sur place. Et cela se produira beaucoup plus rapidement que s'ils continuaient à recevoir de la nouvelle neige. »
Pour nous, au Musée des sciences et de la technologie, ces changements dynamiques au glacier Athabasca ont inspiré notre décision de monter cette expédition pour encourager les Canadiens à parler du changement climatique.
« Le glacier Athabasca est le glacier le plus accessible d'Amérique du Nord, » dit Jason Armstrong, gestionnaire du programme Parlons énergie du Musée des sciences et de la technologie. « Il est visité par de nombreux Canadiens et il est un symbole emblématique des Rocheuses. En montrant à quel point ce glacier a réellement changé au cours des 40 dernières années, nous espérions montrer la réalité du changement climatique. Ce n’est pas quelque chose qui va se passer en l’an 2100, ça se passe maintenant. »
Au-delà de la perte d’une composante légendaire du paysage canadien, Armstrong a expliqué que la fonte des glaciers et des champs de glace aura un impact significatif sur la société, l’environnement et l’économie au Canada et partout dans le monde.
Un impact évident est la menace de la montée des eaux dans le monde entier. Le champ de glace Columbia est le plus grand champ de glace en Amérique du Nord et alimente les océans arctique, pacifique et atlantique du nord. La fonte accrue des glaciers contribue directement à l'augmentation du niveau des eaux dans le monde entier. À un moment donné, l’impact sera tel qu'il touchera même l’économie des sables bitumineux d’Alberta qui utilise l’eau du glacier dans son processus d’extraction du pétrole.
Les impacts à long terme incluent une pression sur l’économie agricole dans l’Ouest canadien qui compte (pour l’instant) sur les eaux de fonte du glacier pour soutenir la production agricole. Selon le Dr Sharp, « si vous perdez cette fonte des glaciers, alors vous perdez essentiellement l’agriculture axée sur l’irrigation qui s’appuie sur l’eau de fin d’automne provenant du glacier. »
En outre, plusieurs communautés de Premières Nations dans le nord d’Alberta seront touchées, car pour leur survie, elles comptent sur l’eau douce de la rivière Athabasca, alimentée par le glacier.
Mais le plus grand risque est représenté par ce que Sharp appelle les « contaminants hérités ». Ces dépôts massifs de matières toxiques ont été piégés dans les calottes glaciaires de haute altitude au cours du siècle dernier. Avec la fonte du glacier, ces contaminants mortels comprenant des matériaux bannis tels que le DDT et les PCB sont libérés de la glace et réintroduits dans l’environnement.
Sharp a expliqué que « beaucoup de ces contaminants sont volatiles, c'est-à-dire qu'ils ne sont pas très stables en phase solide, donc si vous les exposez à une atmosphère raisonnablement chaude, ils passent à une phase gazeuse. Ensuite, ils peuvent se déplacer autour de la planète par la circulation atmosphérique. »
Il se réfère également aux tests d’Environnement Canada qui confirment que le poisson dans la rivière Bow contient des contaminants hérités prouvant ainsi une augmentation des toxines réintroduites dans la chaîne alimentaire. Sharp croit également que les contaminants jouent un rôle dans l’accroissement du DDT trouvé dans les manchots d’Antarctique, bien que cette toxine ait été interdite dans une grande partie du monde dans les années 70.
Le glacier Athabasca a joué un rôle clé dans le soutien de la vie humaine et animale pendant 240 millénaires. Que pouvons-nous faire pour le sauver?
« On doit tout simplement arrêter le réchauffement climatique à l'échelle mondiale » dit Sharp, ajoutant, « c’est ce qui entraine tout cela. Je pense que nous sommes probablement encore dans une situation où si on s’engageait pour climat, on pourrait stabiliser la situation et cela ralentirait peut-être la disparition des glaciers », poursuit-il. « Mais je ne pense pas que cela suffirait à inverser la tendance. Je pense qu'il faudrait réellement refroidir le climat pour les ramener à ce qu’ils étaient il y a 50 ou 100 ans. Et plus on attend, plus cela deviendra difficile ».
Pour Will Gadd, rester positif et se concentrer sur les solutions, c'est la façon d’affronter le changement climatique. Il croit que si nous nous y mettons tous en tant que société, nous trouverons une solution pour sauver les glaciers.
« Pour moi, ce n’est pas forcément une situation désespérée, » dit-il. « Je vois plus ça comme un bon coup de pied au cul. »