Effectuer des tests quand le danger plane : revoir la façon de tester des expériences durant une pandémie mondiale
Face à la COVID-19, le personnel du Musée de l’aviation et de l’espace du Canada a trouvé une solution originale pour effectuer ses tests à l’aide du public.
Lorsque le Musée de l’aviation et de l’espace du Canada a fermé ses portes le 14 mars dernier en raison de la pandémie de la COVID-19, l’équipe responsable des expositions travaillait activement sur le projet Regard sur le ciel. Conçue en partenariat avec NAV CANADA, cette prochaine exposition portera sur le système de navigation aérienne complexe du Canada et mettra notamment en lumière les personnes et les technologies qui assurent la sécurité de l’espace aérien canadien.
En tant qu’agente d’interprétation de cette exposition, je me préparais à la semaine de relâche scolaire en Ontario, une période d’achalandage accru. J’avais prévu des interactions avec des visiteurs du Musée afin de tester la faisabilité de certains éléments interactifs ou jeux de l’exposition. En équipe de deux, des employés devaient interagir avec des participants volontaires. Tout en tenant des panneaux d’instructions et en jouant le rôle de l’« ordinateur », l’un des testeurs se serait entretenu avec le participant, tandis que ce dernier aurait fait des choix qui auraient déterminé le déroulement du jeu. L’autre testeur aurait observé l’interaction afin de noter ce qui semblait procurer du plaisir ou semer la confusion, et il aurait consigné les commentaires des visiteurs.
Eh bien… cela était désormais impossible.
Ma salle à manger après la réception du matériel pour effectuer les tests. Plusieurs gadgets cool, mais personne avec qui les utiliser! À moins que…
Décision rapide
La veille de l’annonce de la fermeture du Musée, le personnel se préparait à l’éventualité du télétravail. L’entreprise montréalaise TKNL, qui travaille à la conception de l’exposition, s’apprêtait à expédier le matériel conçu pour les tests (des maquettes complexes pour trois des expériences interactives de notre exposition). Ce matériel comprenait de faux boutons, des curseurs de saisie, des plateaux de jeu et des tableaux blancs pour tester des jeux de lettres. Étant donné l’incertitude croissante, j’ai demandé à ce que le matériel soit livré chez moi plutôt qu’au Musée. Je ne savais pas ce que j’en ferais à la maison, mais le fait de l’avoir sous la main m’offrirait plus de possibilités.
Dans les jours qui ont suivi la fermeture du Musée, je me suis rendu compte que, pour aller de l’avant, nous n’avions d’autre choix que d’effectuer les tests en ligne. J’ai fait le point sur les questions les plus urgentes afin de déterminer celles pour lesquelles nous pouvions réellement obtenir des réponses à distance. Selon certains éléments du plan initial, le personnel devait manipuler le matériel et observer les réactions des visiteurs. Cela n’était plus possible. Nous pouvions cependant tester des expériences dans lesquelles les participants devaient manipuler eux-mêmes tous les éléments du jeu. Je pouvais donc tester deux des trois jeux : celui dans lequel on utilise l’alphabet phonétique pour résoudre les énigmes d’un jeu de lettres, et un autre où on indique la position des avions sur une grille.
Je n’avais encore jamais rien fait de tel, alors j’étais un peu stressée. Je ne suis pas toujours très habile avec la technologie et j’ai tendance à craindre la nouveauté, ce qui n’est pas idéal durant une pandémie mondiale.
Adaptation du processus
L’équipe de TKNL a été d’un grand soutien. Elle a adapté le matériel en créant pour les participants deux paquets d’éléments à imprimer et à assembler à la maison. J’ai ensuite animé des séances de test avec des volontaires lors de vidéoconférences individuelles. Au début de chaque séance, nous prenions quelques minutes pour examiner chacun des « gadgets » et pour les préparer pour le jeu. Je montrais aux volontaires les objets que nous avions prévu de les faire utiliser et je leur expliquais ensuite comment ils pouvaient faire semblant qu’ils utilisaient les mêmes à la maison.
Assis à la table à manger chez lui, Gavin Mullins teste des éléments interactifs d’une exposition qui sera présentée au Musée de l’aviation et de l’espace du Canada.
Pour commencer, j’ai demandé l’aide de bons collègues qui se sont montrés indulgents tandis que je me familiarisais avec cette nouvelle façon d’effectuer des tests. En essayant de jouer le rôle des deux testeurs à la fois, il m’arrivait de manier maladroitement les cartons aide-mémoire ou de prendre trop de temps pour noter les réponses. J’ai ensuite élargi le cercle des participants en faisant appel à treize autres personnes âgées de sept ans et demi à une quarantaine d’années. Les séances d’environ 45 minutes chacune ont été réparties sur une semaine.
Comme je ne voyais que le visage des participants, j’ai demandé à ceux-ci de me dire ce qu’ils faisaient (ex. : « Je fais glisser l’avion jusqu’à la lettre P, puis j’appuie sur ENTRÉE »). Afin de me permettre d’évaluer la lisibilité des instructions, j’ai également demandé aux participants de lire celles-ci à voix haute. Pour les plus jeunes participants, j’ai invité un parent à rester à portée de voix, c’est-à-dire suffisamment près pour qu’il puisse s’occuper de la logistique si nécessaire, mais suffisamment éloigné éviter qu’il influence l’interaction avec l’enfant.
Analyse des résultats
En fin de compte, les résultats que nous avons obtenus se sont avérés utiles. Nous avons pu mesurer l’intérêt et le plaisir, et relever les sources de confusion, à savoir les étapes où les consignes ne semblaient pas intuitives et celles où les participants ne savaient pas « sur quoi appuyer ensuite ». Cette information est cruciale.
Effectuer des tests à distance présente aussi des inconvénients, qu’il faut prendre en compte. On apprend beaucoup en observant les gestes d’une personne. On perd, jusqu’à un certain point, ce type d’information quand on interagit à distance. En outre, le déroulement des tests à distance manque généralement de naturel, car le testeur joue un double rôle : il interagit en même temps qu’il observe ou prend des notes. Le temps est un autre élément important : pour recueillir les données nécessaires, quelques après-midi, plutôt qu’une semaine, auraient probablement suffi à quatre testeurs travaillant en binôme.
Selon moi, pour être concluants, les tests dépendaient de l’examen critique de nos questions et du choix d’un moyen de communication adapté (la vidéoconférence). Même si nous n’avons pu tester que deux des trois expériences prévues, nous avons pu faire passer ces deux-là à la phase suivante de l’élaboration.
Prochaines étapes
Au moment où je rédige cet article, de nombreuses incertitudes demeurent. Nous ne savons pas quand nous recommencerons à travailler au bureau, ni quand les équipes de conception et de fabrication seront de retour dans leurs ateliers, ni quand nous pourrons à nouveau nous réunir en personne. Nous ne savons pas non plus quand la prochaine phase de tests (pour les prototypes) aura lieu, ni si nous pourrons tester ces éléments en personne ou si nous devrons encore chercher des solutions pour le faire à distance.
J’attends avec impatience le retour à la normale, mais je crois qu’en nous obligeant à trouver des solutions originales, certains défis peuvent s’avérer formateurs sur le plan professionnel. Voilà peut-être le bon côté de la situation, ou le prix de consolation qu’elle nous offre, alors que nos attentes sont bouleversées. Les circonstances m’ont amenée à poser un regard critique sur le projet afin de trouver la meilleure façon d’obtenir des réponses aux questions fondamentales et de déterminer celles qui devraient attendre (malgré mon vif désir de faire avancer les choses). En période d’incertitude, il est important de maintenir l’équilibre : à l’impossible, nul n’est tenu. Je suis ravie que nous ayons pu faire progresser certains éléments des tests planifiés. Nous pourrons ainsi offrir aux visiteurs la meilleure expérience possible quand nous pourrons à nouveau leur ouvrir les portes du Musée.