Des cosmologistes de l'Institut Périmètre proposent une nouvelle forme de cristaux « dynamiques »
Cet article a initialement été rédigé et soumis pour faire partie du recueil de récits d’innovation du projet Canada 150 visant à réunir des témoignages sur l’innovation canadienne en collaboration avec des partenaires de partout au pays. Il a maintenant été intégré au Réseau Ingenium, un portail numérique qui met en vedette du contenu en lien avec les sciences, la technologie et l’innovation.
Latham Boyle voulait améliorer un projet de détecteur d’ondes gravitationnelles. Au lieu de cela, lui et Kendrick Smith pourraient être tombés sur un nouveau type de cristaux.
Un cristal est un cristal, n’est-ce pas? Le diamant, le quartz, le graphène et leurs semblables sont des réseaux résultant d’un arrangement symétrique et répétitif d’atomes. Peu importe comment on l’observe, l’intérieur d’un cristal possède une structure prévisible.
Mais que se passerait-il s’il existait un autre genre de cristaux, révélant leur nature cristalline par le mouvement et non par la structure?
Ces cristaux ne montreraient leur symétrie que par le mouvement de leurs particules. Ils sembleraient asymétriques dans des photographies de leur structure interne. Par contre, un film de leurs mouvements internes révélerait avec le temps une chorégraphie bien réglée de leurs particules, et ces cristaux posséderaient en quelque sorte une symétrie dynamique.
L’idée de ce nouveau genre de cristaux est venue au cosmologiste Latham Boyle, professeur à l’Institut Périmètre, alors qu’il réfléchissait à des moyens de détecter des ondes gravitationnelles.
Dans un article récent (accessible dans une version avant impression dans arXiv), M. Boyle et les autres co-auteurs expliquent ce concept. Ils postulent que ces « cristaux dynamiques » pourraient déjà exister dans la nature ou pourraient être fabriqués en laboratoire. Dans l’un comme l’autre cas, les auteurs soupçonnent que ces cristaux pourraient servir à quelque chose, et l’article décrit aussi une méthode générale de construction mathématique de tels cristaux ainsi qu’un protocole expérimental permettant d’en trouver et d’en connaître la structure.
Latham Boyle admet qu’il travaille en territoire inhabituel pour un cosmologiste, mais il dit qu’il est arrivé là honnêtement, en suivant un chemin tortueux venu des confins de l’univers.
Il se penchait sur les plans du télescope LISA (Laser Interferometer Space Antenna – antenne spatiale à interféromètre laser), projet de détecteur d’ondes gravitationnelles formé de 3 satellites suivant la Terre dans son orbite, se transmettant mutuellement des rayons laser formant un triangle. Si une onde gravitationnelle traversait et perturbait le système, les satellites la détecteraient.
Une telle expérience pourrait déterminer des données sur la provenance d’une onde gravitationnelle et son état de polarisation. Mais Latham Boyle soupçonnait que l’ajout d’un 4e satellite – et le choix judicieux des orbites des 4 satellites – permettrait d’obtenir une information beaucoup plus riche et complète.
L’idée était intéressante, mais elle avait peu de chances d’avoir des répercussions à court terme. Poussé par la curiosité, M. Boyle a adopté une démarche de physicien : il a ramené l’idée à son cas le plus simple et tenté de concevoir un système symétrique de 4 satellites en orbite.
Il n’y est pas parvenu. Il n’y avait tout simplement aucun moyen de construire un système symétrique de 4 satellites. Autour de Noël 2012, le chercheur s’est quand même remis à travailler sur son idée, mais cette fois selon une perspective différente.
Au lieu de forcer des objets en mouvement tels que des satellites en orbite à avoir une symétrie statique, pourquoi ne pas rechercher une symétrie qui leur convient, autrement dit une symétrie dynamique?
« Il se trouve qu’il y a vraiment une configuration symétrique d’orbites de 4 satellites », dit-il en dessinant des schémas sur le tableau qui occupe tout un mur dans son bureau de l’Institut Périmètre. « Le plus surprenant, c’est que cette configuration est encore plus symétrique que le tétraèdre régulier, le premier des volumes de Platon, qui constitue la configuration statique de 4 points la plus symétrique. » [traduction]
Un cristal ordinaire (statique) ne change pas si l’on regarde son image réfléchie dans un certain plan ou si on lui fait subir une rotation d’un certain angle. Mais les symétries du système de 4 satellites en orbite mêlent l’espace et le temps. Pour reprendre l’image du film évoquée plus haut, après une certaine rotation, tout se passerait comme si le film avait été ramené un certain temps en arrière.
Excité par cette idée, Latham Boyle en a discuté avec Kendrick Smith, cosmologiste qui était alors en visite à l’Institut Périmètre, où il est maintenant professeur.
M. Boyle ajoute : « Nous sommes tous les deux des cosmologistes. Il était donc naturel que nous discutions. Mais ceci n’est pas vraiment de la cosmologie et je lui en parlais à tout hasard simplement parce que j’étais excité par cette idée.
« Je venais de trouver que cette configuration était l’analogue dynamique du tétraèdre, et je me demandais s’il existait des configurations d’orbites qui soient les analogues dynamiques de chacun des volumes de Platon. » [traduction]
Mais Latham Boyle ne savait pas trop comment procéder. Kendrick Smith a écouté, puis a terminé son séjour à l’Institut Périmètre. Une semaine plus tard, Latham Boyle recevait un courriel. Kendrick Smith avait mis au point une manière ingénieuse de trouver tous les analogues des configurations symétriques de satellites.
« Il n’était pas seulement passionné, ajoute M. Boyle. Il était aussi très doué et avait résolu le problème d’une traite. » [traduction]
La solution proposée par Kendrick Smith donne toutes les configurations symétriques possibles d’orbites de satellites, peu importe le nombre de satellites et le genre de symétrie présente. Les deux chercheurs parlent d’essaims symétriques de satellites.
La notion plus générale d’« ordre chorégraphique » pourrait s’avérer intéressante dans divers contextes : conception de systèmes de satellites dans l’espace; compréhension de la structure microscopique de certains systèmes à N corps en laboratoire; et même en mathématiques pures, où les treillis et les cristaux sont « omniprésents », selon Latham Boyle.
Il pourrait même y avoir des cristaux chorégraphiques dans la nature. Nous pourrions avoir échoué à les observer parce que de tels cristaux modifieraient de manière subtile les lois de diffraction de Bragg (selon lesquelles un rayon diffracté à travers un cristal a la même fréquence avant et après la diffraction).
En particulier, MM. Boyle et Smith ont montré que si un cristal chorégraphique était soumis à une expérience de diffraction, il y aurait un décalage et une différence spécifiques entre les fréquences et les positions respectives des pics de diffraction. En mesurant ces décalages et ces différences, on pourrait en déduire non seulement la disposition des atomes dans l’espace, mais aussi leurs mouvements.
« Cela constitue la principale prédiction expérimentale, ajoute Latham Boyle. Cet autre type de cristal pourrait exister tout en ayant échappé à l’observation à cause de sa nature beaucoup moins intuitive.
« Je ne sais pas si de tels objets existent effectivement dans la nature, mais ça vaut la peine de vérifier. Il y a un signal très net à rechercher. » [traduction]
– Tenille Bonoguore