Un éducateur de musée vous en prie : posez des questions!
Selon moi, le Musée de l’aviation et de l’espace du Canada a besoin d’un nouveau panneau. Voici ce que j’y écrirais :
Chers visiteurs,
Nous vous remercions d’être venus au Musée! Votre présence justifie pleinement son existence. Nous vous invitons à admirer les artefacts et les expositions, et à profiter des activités. Nous vous prions de respecter les règles visant à protéger la collection, mais aussi… de nous poser des questions!
Évidemment, le Musée n’installera pas un tel panneau. Mais comme j’aimerais que les visiteurs des trois musées d’Ingenium — le Musée de l’agriculture et de l’alimentation du Canada, le Musée de l’aviation et de l’espace du Canada et le Musée des sciences et de la technologie du Canada — sachent à quel point il est essentiel qu’ils posent des questions au personnel!
Bien sûr, je comprends qu’il puisse parfois être intimidant d’entamer une conversation (après tout, nous ne nous connaissons probablement pas). Pour faciliter les choses, il nous arrive de briser la glace. Par exemple, le guide d’un musée peut d’abord vous poser une question simple. Mais soyez sans crainte! Sachez que votre réponse, même toute simple, est d’une grande utilité pour le guide.
Voyez-vous, un jour, quand j’étais guide, j’ai reçu un mauvais conseil de mon patron, qui m’a dit de ne poser aucune question aux visiteurs. Pas une seule. Mon ancien employeur craignait que je rabaisse ainsi les gens ou que je leur donne l’impression que je leur faisais passer un test (comme s’ils étaient de retour à l’école). Même si ces appréhensions sont justifiées, mon patron ne comprenait pas vraiment les avantages de cette pratique.
Je ne suis pas en train de dire que les guides devraient toujours poser des questions difficiles et pointues auxquelles correspondent des réponses précises. Cela serait fastidieux et pourrait, à raison, donner à la personne interrogée l’impression qu’elle doit faire ses preuves. Imaginez-vous plutôt à quel point il pourrait s’avérer utile pour tout le monde de savoir ce qui empêche les visiteurs de comprendre l’information présentée.
La vue captivante du bastion du Roi à la Citadelle-de-Québec. (Le petit cercle démontre la portée approximative du canon Armstrong appelé Rachelle).
Permettez-moi de vous donner un exemple de la façon dont votre intervention pourrait modifier votre propre expérience de visiteur, mais aussi contribuer à clarifier l’information pour faciliter sa compréhension par les autres. Lorsque je travaillais à la Citadelle de Québec, j’emmenais toujours les visiteurs au Bastion du Roi. La vue y est splendide (voir la photo). J’expliquais souvent les caractéristiques de « Rachel », le canon Armstrong. Un jour, un visiteur m’a posé une question tandis que je parlais de sa portée, qui est d’environ trois kilomètres. Il voulait avoir une idée de ce que cela représentait à partir de l’endroit où nous nous trouvions. À l’époque, je lui ai répondu en toute franchise que je ne le savais pas (c’était difficile à évaluer d’aussi haut). J’ai toutefois donné suite à sa question et j’ai découvert qu’un repère éloigné sur l’autre rive du fleuve se trouvait à environ trois kilomètres de l’endroit où nous étions.
Je remercie le ciel pour ce visiteur! Je n’ai aucun souvenir de son nom, de son histoire personnelle, ni même de son apparence. Mais je me souviens de sa question. Bien que j’aie attaché de l’importance à la question elle-même, ce que j’ai plutôt continué d’apprécier, c’est le fait que le visiteur m’a simplement posé la question. Voyez-vous, lors des centaines de visites du site que j’ai commentées par la suite, j’ai toujours veillé à mentionner ce point de repère quand je décrivais les caractéristiques de Rachel. À partir de ce moment, chaque fois que je montrais ce repère aux gens, je voyais leur regard perplexe s’éclairer : l’information était devenue compréhensible. Finalement, cette question toute simple m’a permis d’améliorer la visite pour de nombreux autres visiteurs.
Votre question sert vraiment vos intérêts autant que ceux de l’institution ! Elle vous permet d’obtenir immédiatement une réponse personnalisée et précise (la télévision, les films et les documentaires sont géniaux… mais ils ne peuvent en faire autant!). De son côté, l’institution y gagne aussi : elle améliore son offre ou son produit, car elle prend note de ce qui fait votre bonheur.
Dans un monde où une multitude de médias espèrent provoquer ce même résultat, cela n’a peut-être rien d’extraordinaire. Ce qui est toutefois exceptionnel, c’est le fait que, dans le cas qui nous occupe, vous — le public — en êtes le principal artisan. Rien de tout cela ne serait arrivé si ce visiteur n’avait pas posé sa question. (Cela devrait vous conférer un pouvoir important!)
Hélas, je sais personnellement (comme la plupart des guides) ce qui se passe lorsque les visiteurs d’un musée ne posent pas de question. Les visites les plus ennuyeuses que j’aie jamais effectuées sont celles durant lesquelles le public était passif et silencieux. On me traitait comme un téléviseur, et personne ne s’en trouvait plus avancé .
Si cela est le pire qui me soit arrivé, en revanche, les meilleurs visiteurs que j’ai rencontrés étaient ceux qui désiraient me raconter quelque chose. Ces histoires étaient les plus riches… et celles que nous contions lors des visites suivantes (et qui m’ont permis encore une fois d’améliorer ma visite en y apportant des ajouts et des modifications). Finalement, chers visiteurs, ne vous laissez pas intimider par l’uniforme d’un interprète (ou son costume… voir mon article « Animer les musées grâce à la mise en récit performative »), posez-lui plutôt des questions pour enrichir votre expérience patrimoniale et celle de tout le monde!