Animer les musées grâce à la mise en récit performative
Les musées d’aujourd’hui font face à un défi colossal : dans un monde toujours plus bruyant, comment faire en sorte que les histoires importantes trouvent un écho auprès de la jeune génération?
Quand je marche sur le trottoir, je suis toujours effrayé par le nombre de personnes — surtout des jeunes — qui semblent être constamment distraites par leurs téléphones. Je me garde cependant de les juger, car ce n’est vraiment pas la faute des jeunes. La jeune génération n’a jamais connu d’époque où l’on ne réclamait pas constamment son attention et où l’on ne lui proposait pas une infinité de divertissements sous la forme du service Netflix et d’une profusion de films, de jeux vidéo et d’applications.
En tant qu’éducateur au Musée de l’aviation et de l’espace du Canada, je crois qu’il est capital de capter à nouveau l’attention des jeunes et du grand public. Je ne suis pas seul à être de cet avis; les enseignants, les parents et tous les citoyens responsables sont fiers des histoires de notre pays et ressentent l’obligation de veiller à ce qu’elles ne se perdent pas dans le bruit ambient.
Mais comment pouvons-nous rendre les musées plus vivants? Comment pouvons-nous actualiser nos histoires dans les musées et ailleurs? Selon moi, la solution se trouve dans la mise en récit performative.
Notre amour des histoires (et de la narration) est l’un des aspects qui nous caractérisent en tant qu’humains depuis la nuit des temps. Ici, au Musée, nos guides-interprètes peuvent rendre chaque visite intéressante en racontant des histoires d’innovation. Mais nos histoires vraies rivalisent avec les personnages d’œuvres de fiction remarquablement écrites et adorées, tels que Jon Snow ou Walter White.
Dans ce contexte, il semble évident que, pour relater nos histoires riches (et exactes sur le plan historique), nous devons emprunter et adapter les techniques de nos concurrents. Les histoires de ces derniers sont très captivantes parce qu’elles sont capables de susciter un sentiment de familiarité, de plaisir. Nous aimons tous naturellement entendre parler d’expériences similaires vécues par autrui, apprendre de celles-ci, puis les raconter à d’autres. Tous les musées ambitionnent certainement d’atteindre pareils buts... mais comment devraient-ils transposer ces buts dans le contexte de leurs histoires?
La mise en récit performative gagne en popularité et semble être un outil pédagogique efficace. Il est à noter que la façon la plus populaire d’interagir avec les collections des musées est d’en faire une visite guidée. Il n’y a donc qu’un pas à franchir pour transformer les interventions directes du guide en une véritable « performance ».
La forteresse de Louisbourg, lieu historique national situé sur l’île du Cap-Breton, est un bel exemple de l’utilisation de l’interprétation comme stratégie pour faire découvrir le patrimoine. Le site « vise à transporter les touristes dans un environnement du passé authentique, tridimensionnel et multisensoriel [traduction] » des années 1700. Afin de créer cette illusion, il faut avant tout que les interprètes interagissent avec les visiteurs comme s’ils venaient vraiment du passé[i].
Or, la difficulté souvent associée à cette démarche réside dans le fait que beaucoup de gens considèrent comme « enfantin » le recours à l’interprétation dans ce contexte. Certains croient que cela dévalorise leurs histoires en transformant celles-ci en fantaisies éphémères, les privant ainsi de leur capacité à communiquer avec justesse l’information factuelle. Mais en réalité, la réputation de l’interprétation vient de la capacité de cette dernière à ramener les jeunes dans les musées.
L’interprétation non seulement capte notre attention, mais elle nous permet aussi de comprendre plus facilement l’environnement dans lequel nous nous trouvons. Cette curiosité naturelle nous habite tout au long de notre vie. Nous apprenons continuellement à nous comporter en société en observant les autres (la façon dont ils agissent, s’habillent), qu’il s’agisse d’aînés ou d’amis.
Cependant, les musées doivent se rappeler leurs objectifs lorsqu’ils font la promotion de ces histoires. Selon Freeman Tilden, le père de l’interprétation du patrimoine, les établissements du patrimoine ont comme « tâche d’inciter [les visiteurs] […] à vouloir en apprendre davantage [traduction] ». Il a en outre affirmé que « […] nous ne devons pas oublier que les visiteurs viennent surtout pour se divertir, et non pour s’instruire [traduction] »[ii].
C’est vrai, mais comme musées, nous devons également veiller à ne pas introduire un divertissement dépourvu de sens. L’amusement a certes son utilité (puisque la concurrence capte l’intérêt du public à travers le plaisir), mais nous avons des messages plus profonds à communiquer. Malgré cela, les établissements craignent souvent que la profondeur des messages soit éclipsée par le plaisir que procure la performance des interprètes.
L’étude que j’ai récemment réalisée à Québec a toutefois démontré que les interprétations captivantes incitaient plutôt le public à poser davantage de questions. Elle a révélé que les visiteurs des sites patrimoniaux appréciaient les explications des interprètes, la possibilité de poser des questions et, surtout, le plaisir que leur offrait en général l’expérience. D’ailleurs, lorsque j’ai expliqué la valeur pédagogique de cette étude à mes collègues universitaires, j’ai commencé la présentation en tant que James Wolfe, notamment chaussé de grandes bottes noires (voir la photo). Le recours à cette technique m’a permis de capter fermement l’attention de mon auditoire et d’illustrer parfaitement mon propos. Afin de demeurer des lieux intéressants pour la transmission de connaissances historiques, nos musées doivent mettre en valeur leurs histoires en combinant leurs messages avec le plaisir que procure l’interprétation.
Il serait bête de ne pas profiter du moyen efficace que représente l’interprétation pour raconter nos histoires importantes. En ajoutant la dimension de la performance à ces histoires, nous parviendrons à susciter un sentiment de familiarité et de plaisir à la fois. Ce n’est qu’alors que nous pourrons vraiment rendre nos musées plus vivants.
[i] GORDON, Alan. Time travel: Tourism and the rise of the living history museum in mid-twentieth century Canada, Vancouver, UBC Press, 2016, p. 184-85.
[ii] TILDEN, Freeman. Interpreting our heritage, Chapel Hill, University of North Carolina Press, 2007, p. 55.