Le rêve brisé : soixantième anniversaire du « vendredi noir » de l’Avro
C’est aujourd’hui le soixantième anniversaire de l’annulation du programme CF-105 Arrow d’Avro, le premier et le dernier intercepteur supersonique de conception canadienne. Cet épisode demeure l’un des plus controversés de l’histoire de l’aérospatiale canadienne.
À l’époque, la décision d’annuler le programme pouvait sembler hâtive. En réalité, on songeait à abandonner l’Arrow depuis un certain temps déjà. La flambée des coûts, les changements perçus relativement à la guerre et à la menace soviétique, et l’arrivée au pouvoir d’un nouveau gouvernement progressiste-conservateur ayant reçu le mandat clair de réduire les dépenses sont autant de facteurs qui ont joué dans la décision.
On s’inquiétait des retombées politiques (particulièrement dans la circonscription de Malton) et des contrecoups économiques possibles, mais le comité de la défense du Cabinet de John G. Diefenbaker a finalement recommandé que le programme Arrow soit démantelé au début de février 1959. Acquiesçant à la recommandation, le Cabinet a officiellement décidé d’annuler le programme le 17 février. Trois jours plus tard, soit à 9 h 30 le 20 février, le premier ministre Diefenbaker annonçait l’annulation du programme à la Chambre des communes.
La nouvelle de l’annulation n’a pas tardé à circuler dans les médias, si bien qu’en une heure environ, les parents et amis des employés d’Avro en étaient au courant. À 11 h 15, on a annoncé officiellement la décision du gouvernement à l’interphone de l’usine de Malton pour en informer les employés d’Avro. On leur a dit que les activités se poursuivraient normalement jusqu’à ce qu’on puisse obtenir plus d’information d’Ottawa. Mais dans l’après-midi, le président d’Avro, Crawford Gordon, a fait une autre annonce à l’interphone : tous les employés devaient cesser de travailler, déposer leurs outils et leurs instruments, puis rentrer chez eux. D’un seul coup, près de 15 000 personnes venaient soudainement de perdre leur emploi.
Les ingénieurs les plus brillants et les plus talentueux du Canada ont rapidement été forcés de chercher du travail ailleurs. De nombreux employés d’Avro ont déménagé aux États-Unis et en Grande-Bretagne pour apporter leur expertise aux projets extraordinaires de ces pays, à savoir le programme Apollo et le Concorde respectivement. D’autres encore ont dû tirer un trait sur le secteur de l’aviation.
Pour couronner le tout, les six avions dont la construction était achevée — du moins terminée en grande partie — ont été démantelés pour être mis à la ferraille, avant d’être essentiellement détruits quelques mois plus tard. Les plans, les dessins et presque tout ce qui concernait l’Arrow allaient subir le même sort. Si cette pratique est relativement courante pour le matériel classifié, elle est apparue à plusieurs comme un acte malveillant. Certains croient que Diefenbaker aurait ordonné la destruction des avions par dépit, essentiellement pour malmener Crawford Gordon avec lequel il entretenait une relation tendue. Rien de concret ne permet d’étayer cette thèse, mais certains y croient encore aujourd’hui.
Heureusement, nombre de documents, de photographies et d’objets associés au programme Arrow ont survécu. La collection du Musée de l’aviation et de l’espace du Canada comprend beaucoup de documents d’archives et petits objets en plus de souvenirs personnels qui ont appartenu à des employés d’Avro. Le Musée a également le privilège de préserver et d’exposer les plus grands rescapés du programme : le fuselage avant du RL-206 et les bouts d’aile du RL-203.
L’Arrow continue de captiver l’imagination et de susciter la controverse, même 60 ans après l’annulation du programme. Cela est d’autant plus fascinant que l’appareil n’a jamais été testé à la mesure de ses capacités et il n’a jamais été produit ni intégré au parc de l’Aviation royale canadienne. Et pourtant, et peut-être même pour cette raison, l’Avro Arrow tient une place spéciale dans l’histoire de l’aérospatiale canadienne.