Emily Crombez, pionnière de l’aviation au féminin, mise à l’honneur sur un timbre commémoratif
Quand elle reçoit un colis, Emily Crombez trouve plutôt sympa que le bureau de poste n’ait pas apposé de cachet sur le timbre commémoratif à son effigie.
Un timbre-poste créé par les Ninety-Nines, l’association internationale de femmes exerçant le métier de pilote, a récemment été émis en l’honneur d’Emily Crombez, figure emblématique de l’aviation au féminin au Canada. Ce timbre célèbre sa contribution en tant que première femme à piloter un bombardier d’eau CL-415 de Bombardier en Amérique du Nord, un fait qu’elle ignorait à l’époque de l’événement question.
Emily Crombez se rappelle parfaitement la première fois qu’elle a vu des bombardiers d’eau. Elle se trouvait alors au Confederation College de Thunder Bay, en Ontario, pour sa formation au pilotage d’avions commerciaux et sa qualification sur hydravion. C’est à ce moment qu’elle s’est fixé un objectif.
« Je me suis dit que je voulais piloter ces appareils », se souvient Emily Crombez, aujourd’hui âgée de 33 ans et jointe par téléphone chez elle à Norwich, en Ontario. « Je me suis adressée au ministère des Richesses naturelles, je lui ai demandé ce que je devais faire pour y arriver, quelles qualifications je devais acquérir. »
Le timbre-poste commémoratif comporte une mention en anglais, qui signifie : « Emily Crombez, première femme à piloter un bombardier d’eau CL-415 pour combattre des incendies de forêt » [traduction d’Ingenium].
Ayant déjà suivi le programme de formation en aviation à prédominance masculine, elle a décidé de se spécialiser davantage. Elle a d’abord piloté des hydravions, qui décollent et atterrissent sur l’eau. Emily Crombez a également piloté des avions de brousse en région éloignée, où elle a souvent dû atterrir sur des pistes en gravier. Les avions de brousse transportent souvent de l’équipement supplémentaire, comme des pneus plus larges que la normale, des skis, des flotteurs ou tout autre article nécessaire pour atterrir sur des pistes sans revêtement.
Emily Crombez a retroussé ses manches et fait ce qu’il fallait pour atteindre son objectif : elle a travaillé comme pilote de brousse, accumulé des heures de vol aux instruments aux commandes d’appareils multimoteurs et postulé aux concours du ministère des Richesses naturelles et des Forêts jusqu’à ce que celui-ci l’embauche. « C’est toujours difficile de décrocher son premier emploi dans le secteur de l’aviation, selon le champ d’activité visé », avance-t-elle.
Ouvrir de nouveaux horizons
Quand Emily Crombez a commencé à piloter des avions de brousse en 2007, on ne trouvait pour ainsi dire aucune pilote de brousse dans le nord de l’Ontario. Décrocher un emploi a donc été difficile, d’autant plus qu’elle n’avait que 19 ans à l’époque. Elle savait qu’en voyant le nom d’une femme sur son CV, les employeurs présumeraient qu’elle ne possédait pas les aptitudes physiques requises pour l’emploi, même si elle avait grandi sur une ferme et qu’elle avait l’habitude du travail physique. Dès qu’elle parvenait à obtenir un emploi, elle se sentait en plus obligée de faire ses preuves.
« Je me disais : “Fais gaffe, parce que si tu te plantes, tu vas tout gâcher pour les autres femmes” », confie Emily Crombez.
Malheureusement, enchaîne-t-elle, quand un homme commet une erreur, celle-ci est bien souvent jugée différemment. Gagner la confiance des passagers, comme les chasseurs et les pêcheurs qu’elle transportait en région éloignée, était aussi difficile.
« Je devais surmonter un double obstacle : j’étais une pilote de brousse, ce qu’ils n’avaient encore jamais vu, et j’avais 19 ans, affirme Emily Crombez. Ils me disaient que j’avais l’air d’avoir 12 ans parce que, comme les pilotes de brousse, je portais des jeans, des t-shirts et une casquette de baseball. »
Enfant, sur la ferme familiale, Emily Crombez ignorait l’existence des bombardiers d’eau. Elle raconte qu’elle savait qu’elle souhaiterait peut-être piloter un avion de brousse ou un avion-poudreur, mais elle n’a jamais eu pour objectif de combattre des incendies. Pour sa carrière, elle envisageait deux possibilités : devenir pilote ou enseignante. Après avoir soumis sa candidature aux deux programmes à l’école secondaire, elle a décidé de commencer par l’aviation, se disant qu’elle pourrait toujours choisir l’enseignement plus tard, si nécessaire.
À l’âge de 15 ans, Emily Crombez a commencé sa formation de pilote, ce qui est incroyablement jeune et même trop pour conduire une voiture. Son mentor, le brigadier-général à la retraite Harvey Roddick, l’a prise sous son aile et accompagnée tout au long de ses études. Emily Crombez, qui ne tarit pas d’éloges sur lui et sa générosité, le côtoie encore aujourd’hui.
Piloter un bombardier d’eau CL-415
Emily Crombez a reçu sa formation à bord du CL-415 en 2014 et a commencé à piloter le célèbre bombardier d’eau la même année. De 1993 à 2015, on n’a construit que 95 de ces appareils. Piloter un CL-415 ne ressemble à rien d’autre selon Emily Crombez, mais cela se rapproche de l’expérience vécue aux commandes d’un hydravion.
« Je dis toujours que ça consiste en grande partie à faire ce qu’on nous apprend à ne pas faire quand on suit une formation au pilotage », explique-t-elle. Elle ajoute qu’en plus de piloter un appareil, il faut apprendre à combattre des incendies en volant à basse altitude près du sol pour faire le plein d’eau et déverser celle-ci, et en effectuant des virages serrés parmi de nombreux avions dans une zone restreinte.
« C’est un peu comme si on poussait l’avion à son maximum », remarque Emily Crombez, même si l’appareil a été construit pour faire cela en toute sécurité. Pousser un avion à la limite de ses capacités fait monter l’adrénaline du pilote, et ce n’est pas tout le monde qui peut piloter un avion de cette façon. À son avis, il faut aussi être un pilote accompli.
« Tout se joue avec les mains et les pieds : on ne peut pas activer le pilote automatique pour faire ce travail », poursuit-elle.
Si elle apparaît seule avec le Canadair CL-415 sur le timbre-poste commémoratif des Ninety-Nines, Emily Crombez s’empresse de souligner que le bombardement d’eau pour combattre les incendies de forêt est un travail d’équipe. Nombre d’avions et de pompiers au sol participent également à l’opération.
« Un seul avion ne peut jamais venir à bout d’un incendie, il faut bien plus que cela », insiste Emily Crombez.
Après avoir piloté un CL-415 pendant quelques saisons, Emily Crombez a senti qu’elle avait besoin de changement. « On a toujours son bagage à portée de main pour être prêt à sauter dans l’avion, dit-elle. On ne sait jamais où on devra aller ni quand on reviendra. Jamais. »
Elle aimait certes le nord de l’Ontario, mais le travail de pilote de bombardier d’eau est saisonnier et sa famille résidait dans le sud-ouest de l’Ontario. À l’instar de certains collègues qui travaillaient comme pilotes pour des compagnies aériennes commerciales effectuant des vols internationaux, elle a saisi l’occasion d’améliorer sa qualité de vie et son emploi du temps en acceptant un poste à Air Canada.
Si piloter le bombardier d’eau CL-415 s’est révélé une expérience sans pareille, Emily Crombez estime que son avion préféré est le Beaver DHC-2 de la firme de Havilland Canada. C’est l’un des premiers appareils qu’elle a pilotés en région éloignée, et elle est d’avis qu’il ne souffre aucune comparaison avec d’autres avions.
Du Beaver, Emily Crombez dit que « c’est un appareil légendaire ». Elle a piloté les modèles de 1951 et de 1953, tous deux dotés de vieux moteurs en étoile. Pour donner une idée de cet appareil performant à ceux qui n’en ont jamais piloté un, elle le compare à une camionnette.
Parmi les autres appareils qu’elle a pilotés, on trouve le Pitts Special, le Twin Otter DHC-6 construit par de Havilland Canada, les avions à réaction Boeing 737 et Boeing 777, et le King Air 350. Elle possède par ailleurs un Citabria, un petit avion biplace à train classique, qu’elle pilote avec son mari.
Son optimisme et sa détermination se reflètent dans les conseils qu’elle prodigue aux jeunes femmes qui envisagent de faire carrière dans un domaine à prédominance masculine comme l’aviation.
« Fixez-vous un objectif, réseautez et déterminez ce que vous devez faire pour parvenir à vos fins », conseille-t-elle.
À cela, elle rajoute qu’il est possible de changer d’avis en cours de route ou de suivre une autre voie. La formation au pilotage coûte parfois très cher, et Emily Crombez a eu la chance de bénéficier de bourses d’études.
Selon elle, « beaucoup de gens sont disposés à aider et à guider les jeunes ». De plus, de nombreuses organisations offrent des bourses d’études.
« Postulez des emplois, même si vous n’avez pas toutes les compétences requises », dit-elle. De manière générale, voilà ce que les femmes devraient plus souvent, selon Emily Crombez, afin de réussir à percer dans les professions à prédominance masculine. Les femmes se heurteront sans doute à des difficultés dans leur parcours, mais elle croit qu’elles doivent en tirer des leçons et faire preuve de résilience.
« On peut toujours trouver un moyen de contourner ou de surmonter un obstacle, il ne faut donc pas abandonner », conclut-elle.
En raison de la pandémie de la COVID-19, Emily Crombez a cessé temporairement de piloter des avions qui effectuent des vols commerciaux. Ayant été très occupée comme pilote ces dernières années, elle se réjouit à l’idée de passer du temps avec sa famille et de partager le repas du soir avec elle durant la période des fêtes. En attendant, la vue du CL-415 sur les timbres-poste commémoratifs apposés sur les lettres et les colis qu’elle recevra pour les fêtes lui rappellera peut-être d’autres souvenirs.