Dans les coulisses : une impression 3D de l'histoire de l'aviation du Canada
Avec le soutien des musées d’Ingenium, j’ai récemment conçu ce modèle imprimable en 3D d’un des plus importants artefacts historiques du domaine de l’aviation au Canada. Le projet a fait appel à plusieurs procédés, dont la numérisation 3D, la conception assistée par ordinateur (CAO) et l’impression 3D au moyen de la modélisation par dépôt fondu (FDM)
Le sujet de ce projet est le moteur Curtiss « Number 3 » qui se trouve dans une vitrine près de l’entrée du Musée de l’aviation et de l’espace du Canada, à Ottawa. Le moteur V8 à refroidissement par eau a été assemblé pour la première fois en octobre 1908, dans l’atelier de l’inventeur et fabricant américain Glenn Curtiss à Hammondsport, dans l’État de New York. En février 1909, ce moteur a propulsé l’avion Silver Dart lors des premiers vols motorisés au Canada, au-dessus des glaces du lac Bras d’Or à l’île du Cap-Breton, en Nouvelle-Écosse. Il a également alimenté plusieurs autres appareils de l’Aerial Experiment Association (AEA) d’Alexandre Graham Bell.
L’avion expérimental Silver Dart avec son pilote membre de l’AEA, John McCurdy (1886-1961). Cette photo a été prise quelques jours après les premiers vols motorisés au Canada.
Ce moteur est un prototype expérimental unique. Il a été largement modifié, les membres de l’AEA ayant eu beaucoup de mal à le faire fonctionner de façon fiable. Il a ensuite été vendu pour servir de moteur auxiliaire sur une goélette de pêche. Le navire a coulé, et ce n’est qu’à la fin des années 1930 que le moteur a été récupéré dans l’Atlantique. Hélas, l’artefact est incomplet, et gravement détérioré. Son groupe motopropulseur avait été modifié pour l’adapter à la goélette. Sa forme définitive reflète magnifiquement son périple dans le paysage du Canada atlantique.
Moteur Curtiss, 1908, no. d'artefact 1967.0512. Le moteur original Curtiss « Number 3 » et une réplique grandeur nature de l'avion Silver Dart de A.E.A (no. d'artefact 1967.0629) sont en exposition permanente au Musée de l'aviation et de l'espace du Canada (Ottawa).
Le technicien Jonathan Cousineau et la conservatrice Carlile Sea des Musées Ingenium, scannent le moteur Curtiss. On remarque les autocollants réfléchissants à la surface de l'artefact.
Le processus de scanning
Le 22 octobre 2019, bien au-delà d’un siècle après la première mise en marche du moteur, des membres de l’équipe de conservation d’Ingenium ont soumis le moteur à un balayage numérique. Ils ont utilisé le numériseur 3D au laser Handyscan 700 de Creaform pour créer une représentation géométrique précise de la forme de l’artefact au moyen d’une série d’autocollants réfléchissants apposés à la surface de l’artefact.
Ce maillage a ensuite été importé dans le logiciel de CAO Autodesk Fusion 360, et a ainsi servi de référence pour créer un modèle imprimable du moteur. Pendant cette démarche, mon objectif est devenu de représenter le moteur tel qu’il était lors de ses vols historiques de février 1909. L’exercice a été tout un défi parce que d’importantes composantes du moteur, aujourd’hui perdues, sont à peine visibles sur les photos d’archives. Certaines parties du modèle final, notamment la pompe à eau à engrenage, sont le fruit de suppositions éclairées.
Comment faire une impression 3D du Curtiss
Les parties du modèle disposées sur la plaque de construction d’une imprimante FDM. La forme de l’artefact est très complexe, de sorte que le modèle a dû être conçu et testé avec précaution afin d’assurer des reproductions fidèles au moyen d’imprimantes 3D grand public.
Allez sur Thingiverse (en Anglais seulement) pour en savoir plus et pour télécharger le modèle du Curtiss.
Le maillage numérisé original (à droite) importé dans le logiciel Autodesk Fusion 360 et restitué, à côté du modèle conçu par ordinateur et ses parties recréées (à gauche).
Technologies émergentes
En réfléchissant aux technologies émergentes telles que la numérisation 3D, l’impression 3D et la réalité virtuelle, il semble intéressant de penser au-delà de la simple duplication d’artefacts dans l’espace virtuel ou d’autres formes de copies numériques. La riche « matérialité » d’un artefact – la qualité de sa fabrication et la texture subtile de ses matériaux, l’usure accumulée par l’âge et l’utilisation, ce qu’il nous fait ressentir, son odeur – est difficile à reproduire. À bien des égards, les artefacts physiques ont une voix, ils nous parlent.
Les nouvelles technologies peuvent être utiles pour élargir notre interprétation d’artefacts, en particulier lorsqu’elles sont utilisées avec d’autres supports tels que des documents d’archives, des photographies et des dessins techniques. J’espère que le modèle arrive à présenter des aspects du moteur qui sont difficiles à distinguer dans l’artefact rescapé. En tant que chercheur, j’ai appris des choses grâce à cette démarche orientée sur la conception que je n’aurais pu comprendre en effectuant plutôt une enquête passive. En déterminant l’emplacement et la configuration probables des pièces manquantes, j’ai approfondi ma compréhension du design et de la fabrication du moteur.
Enfin, je pense que la fabrication de modèles est une démarche précieuse, tant pour la recherche que pour l’interprétation d’artefacts. Historiquement, la modélisation a été l’une des nombreuses activités qui ont subtilement (et pas si subtilement) attiré les jeunes hommes vers des carrières en ingénierie et en technologie. Plus récemment, le nouveau mouvement du bricolage scientifique a rendu de nombreuses facettes de la modélisation plus accessibles et beaucoup plus inclusives. Les imprimantes 3D devenues abordables ont joué un rôle important à cet égard en offrant une façon de diffuser des objets au sein de la vaste communauté des bricoleurs scientifiques. Or, ces mêmes techniques et communautés nous aident à relayer des idées sur notre histoire technologique.
Lectures additionnelles :
Pour en savoir plus et pour télécharger le modèle du moteur Curtiss, visitez Thingiverse (en Anglais seulement).